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The Good Business
C’est pour financer les recherches de l’éminent pionnier allemand sur les cellules souches, le professeur Augustinus Bader, que Charles Rosier, réputé dans la sphère de la finance pour faire fleurir les plus belles missions de la biotechnologie médicale, a cofondé la marque de cosmétiques premium du même nom, dont il est le CEO. Lancée en 2018 à New York sur une planète cosmétique dominée par d’indétrônables géants, cette gamme de soins doit son singulier pouvoir régénérant à une molécule identifiée par l’expert de Leipzig, molécule qui avait permis, en amont, à un enfant très gravement brûlé de voir sa peau se réparer sans greffe ni chirurgie. Aujourd’hui valorisée à un milliard de dollars, la licorne européenne (basée à Londres) cartonne aux États-Unis et entend conquérir le monde.
Seul un scénariste d’Hollywood se risquerait à inventer cette histoire vraie, cette business adventure que Charles Rosier a construite sur la base d’un cocktail détonant d’expertise, de prise de risque et, dit-il, de naïveté. « J’étais très ignorant du marché de la cosmétique. J’y suis allé avec une énorme naïveté qui m’a permis de foncer. J’étais convaincu du succès de notre produit avant même qu’il n’existe. »
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La crème de la crème
Charles Rosier n’évoque la réussite fulgurante de la jeune griffe cosmétique qu’à la première personne du pluriel, car la flambée de la marque Augustinus Bader sur un échiquier ultradominé par des forteresses comme L’Oréal et Estée Lauder repose sur la savante coordination de deux talents.
Primo : celui d’un chercheur dont les découvertes magistrales risquaient de végéter dans un laboratoire à défaut du financement que ses longs essais cliniques réclamaient.
Secundo : celui d’un entrepreneur égaré dans la finance qui, depuis qu’il a fait ses gammes à Londres chez Goldman Sachs, à l’aube de ses 22 ans, a compris que la lecture du Financial Times et le vertige de voir s’aligner des zéros sur son compte en banque ne suffiraient pas à susciter chez lui une rage de trouver des fonds.
Charles Rosier a grandi au milieu d’une brillante fratrie de médecins. Il en a gardé une admiration inextinguible pour ces grands chercheurs en médecine, dont il a tellement appris que son vocabulaire tient plus du Vidal que du Vernimmen.
Une technologie résolument nouvelle
C’est lors d’un dîner à Leipzig avec Augustinus Bader en 2016 qu’il découvre les photos d’une fillette brûlée aux deuxième et troisième degrés, et dont la peau s’est réparée progressivement, sans cicatrices, sous l’effet d’un gel aux propriétés révolutionnaires alors au stade de prototype.
Encore sous le choc de cette technologie résolument nouvelle dont il perçoit la puissance et la portée, Charles Rosier fait le tour des solutions de financement. Le professeur Bader sait qu’il lui sera difficile de trouver des fonds auprès des laboratoires pharmaceutiques, peu motivés par ce rapport « temps-risques-retour sur investissement » d’une découverte qui concerne majoritairement les habitants des pays émergents, où le feu est couramment utilisé comme mode de cuisson et de chauffage.
« J’aurais pu me contenter de signer un gros chèque, dit Charles Rosier, mais à ce moment-là, je n’avais plus de liquidités. Je venais d’investir dans les recherches du professeur Étienne-Émile Baulieu, grand spécialiste des accidents de la moelle épinière et créateur de la pilule abortive RU 486. C’est alors que j’ai eu l’idée de transcrire la technologie d’Augustinus Bader sur une crème cosmétique d’une qualité exceptionnelle et inégalable, dont les bénéfices permettraient de financer les longs essais cliniques. »
Car en matière de recherche sur les cellules souches, il y a un avant et un après Augustinus Bader. Avant lui, on réparait la peau en injectant des cellules souches que l’on avait cultivées. Le professeur a mis au point une méthode très innovante qui consiste à réveiller les cellules souches dormantes du corps humain.
Mais bien antérieurement à l’approbation de la nouveauté par la régulation cosmétique, Charles Rosier a dû patienter deux ans et enchaîner six allers-retours ParisLeipzig – aucun vol direct ne relie les deux villes – avant que Bader ne consente à lui dire « banco ».
« Longtemps, il m’a pris pour un demi-fou », sourit aujourd’hui Charles Rosier, dont on rêve que son teint de wingfoil surfeur (qu’il est, à ses heures sportives) doive quelque chose à la rich cream d’Augustinus Bader.
C’est quand le financier songe à jeter l’éponge que le professeur lui montre le prototype d’une crème qu’il a concoctée à son insu, sur laquelle il a transcrit sa découverte et qu’il a échantillonnée auprès de ses patients diabétiques.
« Ils ne font que m’en redemander ! » lance-t-il en guise de feu vert. Cette fois, plus de temps à perdre. Charles Rosier active son réseau et vend son appartement de Londres. Il en tire assez pour tenir six mois, le temps de monter une petite équipe, deux chercheurs à Leipzig et quelques salariés à Londres, où la société a son siège. L’entreprise en compte une centaine aujourd’hui.
Par ailleurs, deux sociétés sœurs sont créées, l’une spécialisée dans les produits cosmétiques, l’autre à la biotechnologie, chacune soutenue par un réseau d’actionnaires distinct.
L’un de ces actionnaires se nomme Jacques Veyrat. Coup de chance inouï, le fondateur du groupe d’investissement Impala (ex-président de Louis Dreyfus) est parmi les premiers visiteurs de l’appartement parisien que Charles Rosier s’était aussi décidé à vendre !
Jacques Veyrat n’achète pas l’appartement, mais place 15 millions d’euros dans le projet, à la fois dans ASC Skin Therapeutics et dans ASC Regenity. De quoi booster la recherche sans attendre les rendements financiers promis par la cosmétique. « Notre premier actif marketing, c’est la réalité de notre histoire », affirme Charles Rosier, qui ajoute aussitôt avoir eu de la chance. Une chance qu’il a su cueillir.
À Los Angeles, il est allé à la rencontre de Melanie Griffith, qui a été la première à investir dans un produit dont elle fera savoir haut et fort qu’« il marche » et qu’il s’appuie sur les découvertes d’un fantastique chercheur allemand. Elle est bientôt suivie par Brad Pitt, Demi Moore, Courteney Cox et Victoria Beckham, et aussi par l’influenceuse beauté Bobbi Brown.
À New York également, Rosier et Bader parviendront à séduire quelque 90 journalistes hyperblasés, mais aussitôt épris d’une si belle histoire et de son cycle vertueux : environ 5 % du montant des ventes va à la recherche. Celles du professeur Bader n’ont désormais plus de contraintes financières.
La success-story devrait peser autour de 250 millions de dollars (de ventes au détail) fin 2024 (contre 7 millions en 2018). La pépite a-t-elle vocation à enrichir le portefeuille premium d’un grand groupe, alors qu’un certain Antoine Arnault a rejoint des actionnaires aux signatures capitalistiques –Xavier Niel, Javier Ferran (P-DG de Diageo et d’IAG) – et qu’elle ambitionne de quintupler son chiffre d’affaires ? Affaire à suivre.
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