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Face à de nouvelles contraintes et concurrences, le secteur du diamant s’adapte et fait évoluer ses business‑modèles.
« Le marché du diamant est l’un des quatre piliers fondamentaux d’Anvers, avec le port, le pôle chimique et la mode », détaille Erica Caluwaerts, adjointe au maire chargée de l’économie, du travail, de l’innovation et de l’industrie. « Depuis quelques années, nous œuvrons à ouvrir ces activités, à les développer grâce à l’innovation. Cela vaut aussi pour le diamant ! » Car si le business du diamant fait partie de l’imagerie de la ville, le contexte économique, mais aussi géopolitique, l’oblige à évoluer, à se repenser au-delà du simple cadre pittoresque.
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Aux abords de la gare Anvers-Central, près de 1 600 entre‑ prises, soit 4 500 diamantaires et cour‑ tiers, achètent et vendent des diamants bruts ou taillés dans les quelques rues du Square Mile. Pas moins de 47 mil‑ liards d’euros de pierres venues du monde entier se négocient ici chaque année, dans les quatre Bourses de la ville.
Mais les mines ne sont pas éternelles. « Elles ont une limite d’âge, et plus on creuse profondément, moins on trouve de diamants. Le volume de carats extraits dans le monde est passé de 152 millions, il y a quinze ans à 111 en 2023 », explique Karen Rentmeesters, directrice générale de l’Antwerp World Diamond Centre (AWDC), l’organisme de représentation du secteur.
Les diamants russes mis à l’index
En renforcement des sanctions prises contre la Russie, les pays du G7 inter‑ disent le négoce des diamants russes depuis décembre 2023. Pour l’AWDC, cela impose un processus de traçabi‑ lité et de certification fiable, mais très contraignant. La Russie, premier pro‑ ducteur mondial de diamants bruts, représentait 35 % en volume et 25 % en valeur des diamants traités à Anvers.
« Certes, nous sommes tous d’accord avec cette décision, mais le processus de traçabilité est très long et compliqué à mettre en place, surtout quand on travaille avec plusieurs mines, ce qui est généralement le cas. Par exemple, un trader travaille avec une petite vingtaine de fournisseurs de diamants. Et lorsqu’il s’agit de fournir 1 000 diamants à Cartier, les pierres ne proviennent pas que d’une seule mine, le processus est alors très lourd ! » précise Karen Rentmeesters. Cette interdiction, qui ne s’applique pas aux pays « non G7 », accentue la migration de l’activité vers Dubaï, devenue le premier concurrent d’Anvers, ainsi que vers Tel‑Aviv et Bombay.
Selon le président de l’une des Bourses d’Anvers, le diamant anversois est confronté à trois défis. « Nous devons tout d’abord rajeunir le secteur. La moyenne d’âge est actuellement supérieure à 40 ans, nos membres ne sont pas toujours au fait des réseaux sociaux, de la cybersécurité, etc. Ensuite, nous devons faire évoluer nos modes de financement, ce qui n’est pas facile, car les banques ne comprennent pas la spécificité du monde diamantaire où il faut beaucoup de fonds pour démarrer. Enfin, beaucoup d’entre nous font exactement les mêmes choses, nous devons nous différencier, diversifier nos expériences, adopter de nouveaux modèles, aller jusqu’à réaliser des bijoux, etc. »
Certains ont commencé à relever ces défis. La chaîne de valeur du diamant repose sur de nombreux intervenants, en moyenne 25 depuis la mine qui extrait la pierre jusqu’au produit fini prêt à être vendu. « Mais seules la première et la dernière étape génèrent des marges élevées. Sur les tâches intermédiaires, la marge varie entre – 1 % et + 1,5 % », signale Karen Rentmeesters.
Face au constat que « ce processus fait de nombreux perdants », les quatre fondateurs de HB Antwerp ont lancé un nouveau business-modèle, qui « verticalise la chaîne d’approvisionnement et supprime plusieurs intermédiaires entre la mine et le client final tout en garantissant traçabilité et transparence », explique Margaux Donckier, directrice des affaires publiques de HB Antwerp.
La société ne traite que les diamants bruts de plus de 10 carats extraits de la mine de Lucara Diamond au Botswana, celle-là même qui a trouvé, en août dernier, le deuxième plus gros diamant au monde, d’un poids de 2 492 carats. Au lieu de payer à la mine le prix de la pierre brute, ce qui se fait traditionnellement, HB Antwerp paie à Lucara un prix basé sur la valeur estimée de la pierre une fois polie.
« Ce prix d’achat réévalué en fin de processus augmente le chiffre d’affaires de la mine et, en conséquence, le montant des impôts payés dans le pays et la rémunération des personnels », ajoute Margaux Donckier. Plus de 3 500 données générées tout au long du traitement sont stockées et associées à la pierre. Partagées avec la mine de Lucara, ces données permettent à tout moment de savoir précisément l’origine de la pierre, à quel stade elle se trouve, qui travaille dessus et quelle est la valeur créée.
La menace du diamant de synthèse pèse sur Anvers
Une nouvelle génération de diamantaires et de joailliers voit le jour. En témoigne le parcours d’Ilana Brandwain. Autodidacte passionnée par l’univers du diamant, elle travaille sur commande à Anvers. Elle choisit les pierres et crée des bijoux personnalisés pour des clients qu’elle séduit par son podcast « On Becoming a Diamond », le bouche à oreille, ses contacts avec des influenceuses et sa présence sur les réseaux sociaux.
« Je partage avec eux ma passion en leur ouvrant les portes de cet univers, en les emmenant dans les coulisses, en leur montrant comment on taille un diamant, etc. » résume-t-elle. Anvers doit aussi compter désormais avec le diamant de synthèse, cultivés en laboratoire. Reproductibles à l’infini, ils posent la question de la valeur et de l’attachement.
Il s’en crée tellement qu’ils valent à peine une centaine d’euros le carat ! Leurs détracteurs regrettent que certains investisseurs préfèrent financer des « fermes de diamants » plutôt que d’investir dans l’amélioration des conditions de travail dans les mines et de la traçabilité des pierres. Mais c’est surtout l’impact environnemental qu’ils soulignent.
En effet, Russes et Chinois n’hésitent pas à mobiliser d’importantes sources d’énergie – jusqu’à des centrales nucléaires – pour fournir les hautes pressions et les hautes températures nécessaires pendant plusieurs semaines pour « faire pousser » ces diamants. Reste aux Anversois à trouver le récit qui perpétuera l’attirance pour les diamants naturels, « des produits aujourd’hui bien plus contrôlés en ce qui concerne la traçabilité et les conditions de travail que les terres rares de nos voitures électriques ou de nos smartphones », conclut Karen Rentmeesters.
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