The Good Boost
Dans l’espace, les moteurs chimiques sont concurrencés par les propulseurs électriques et les voiles solaires. Et demain, peut-être, ils le seront par la propulsion nucléaire. Une révolution qui reste à démontrer.
L’année 2022 sera une année charnière pour l’exploration spatiale. Alors qu’on commencera à analyser les premières données envoyées par le télescope américain James-Webb cet été, la Chine devrait inaugurer sa station spatiale d’ici à septembre. Au total, 19 lanceurs, six sondes, une poignée d’atterrisseurs et orbiteurs, deux télescopes et une myriade de satellites devraient aussi être lancés durant les douze mois de 2022. Cette année sera aussi celle où le New Space, cette vague d’initiatives spatiales privées qui supplantent petit à petit celles des administrations publiques, devrait vraiment s’imposer.
« 2022 sera la première année où plus de gens iront dans l’espace en tant que clients que comme fonctionnaires », prophétise, par exemple, Tom Standage, rédacteur en chef du hors-série prospectif annuel du magazine britannique The Economist.
Mais derrière la vitrine du tourisme spatial, 2022 sera surtout l’année de la confirmation pour certaines technologies de propulsion spatiale du futur. La Nasa a confié à la start-up néo-zélandaise Rocket Lab la mission d’équiper un petit satellite de sa nouvelle voile solaire ACS3 sur son microlanceur Electron, et sa mission Psyche sera opérée par le spécialiste américain de la propulsion électrique à effet Hall, Maxar Technologies.
La PME française Comat devrait mettre en orbite le premier satellite fonctionnant grâce à la technologie électrique d’arc sous vide, et la start-up tricolore Gama veut tester sa propre voile solaire d’ici à la fin de l’année.
De nouveaux propulseurs
La propulsion électrique et la voile solaire sont de vieux concepts, théorisés autour des années 60, qui avaient perdu de l’intérêt depuis, faute de performances comparables à la propulsion chimique traditionnelle. « En réduisant les coûts grâce à des moteurs plus simples dès 2006, SpaceX a mis fin à cette course à la seule performance », rappelle Jean-Claude Traineau, directeur Espace à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera).
La commercialisation de lanceurs réutilisables et l’arrivée de la fabrication additive en trois dimensions contribuent à casser encore plus le prix de ces gigantesques machines utilisées pour la propulsion dans l’espace de fusées et de sondes. À titre d’exemple, SpaceX propose aujourd’hui des tarifs moyens de lancement de 4 700 à 12 600 dollars par kilogramme, alors que ceux de son principal concurrent, Arianespace, oscillent entre 8 300 et 18 700 dollars par kilogramme en utilisant son lanceur Ariane 5.
En parallèle, les satellites se font de plus en plus petits et nombreux.
De 39 nano- et microsatellites (1-100 kg) lancés en 2011, les Starlink (SpaceX), OneWeb et consorts en ont envoyé 389 en 2019 et 1 202 en 2020. Et ce n’est pas près de s’arrêter : d’après un rapport d’Euroconsult publié en avril 2021, 13 910 petits satellites (moins de 500 kg) devraient être mis en orbite d’ici à 2030, soit plus de quatre fois plus qu’entre 2011 et 2020.
Généralement lancés en grappes, ces petits satellites ont besoin de se mouvoir pour atteindre leur orbite, ajuster leur orientation ou encore se désorbiter en fin de vie – et ainsi éviter de s’ajouter aux 10 000 tonnes de débris que l’on estime peupler l’espace en 2021. De quoi redonner ses lettres de noblesse à la propulsion électrique. Loin de démontrer autant de performances que les moteurs chimiques – qui ont de beaux jours devant eux pour les lancements depuis la Terre –, les moteurs électriques sont suffisants pour des manœuvres rudimentaires sur de petits engins.
Aujourd’hui, Stéphane Mazouffre, directeur de recherche au laboratoire Icare (CNRS), compte 45 entreprises positionnées sur la propulsion électrique – hors Chine. En démocratisant ces technologies, ces dernières « sont en train de révolutionner l’univers des satellites, comme SpaceX et Blue Origin ont transformé celui des lanceurs », n’hésite pas à affirmer Dan Goebel, chercheur au Jet Propulsion Laboratory (JPL) et responsable de Psyche, l’une des deux futures missions de la Nasa prévoyant d’utiliser la propulsion à effet Hall, tandis que Double Asteroid Redirection Test (DART), la mission qui prévoit d’envoyer une sonde s’écraser sur un astéroïde en 2022 pour le dévier, utilise le moteur ionique à grilles NEXT – pour NASA Evolutionary Xenon Thruster.
Comme l’électrique, la propulsion par voile solaire connaît une nouvelle heure de gloire. Motivé par le succès des missions japonaises Ikaros – pour Interplanetary Kite-craft Accelerated by Radiation of the Sun –, en 2010, et américaine LightSail 2, en 2019, le jeune entrepreneur français Louis de Gouyon Matignon veut placer sur orbite terrestre moyenne son microsatellite Gama Alpha poussé par une voile solaire de 111 m2, dès 2023. Solar Cruiser, la sonde de la Nasa propulsée par une gigantesque voile solaire (1 672 m2), ne sera, elle, pas envoyée avant 2025.
La France, championne de la propulsion électrique
Si le domaine spatial est depuis longtemps l’apanage des Américains, concurrencés hier par les Russes et aujourd’hui par les Chinois, la propulsion électrique, elle, est bien française. « Dans ce domaine, la France possède un écosystème unique au monde », assure Alberto Rossi, responsable du département Propulsion, Pyrotechnie et Aérodynamique au sein du Centre national des études spatiales (Cnes).
Côté recherche, les équipements du Cnes, du CNRS et de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera) nous sont enviés à travers le monde. Mais c’est surtout à notre secteur privé que le docteur en propulsion électrique fait référence. Safran est l’un des deux leaders mondiaux dans la propulsion électrique à effet Hall pour les gros satellites – avec le russe OKB Fakel. ArianeGroup fabrique certes ses propulseurs à radiofréquence ionique en Allemagne, mais cette coentreprise est le fruit d’une collaboration entre deux entreprises françaises, Airbus et Safran.
Quant à Thales Alenia Space, elle est née d’une alliance entre le français Thales et l’italien Leonardo. Sans compter les start-up émergentes : Exotrail et ses propulseurs à effet Hall pour nanosatellites, ThrustMe et ses petits propulseurs à grilles, Comat et ses moteurs à propulsion solide, Ion-X et ses propulseurs à électrosprays, et Gama, qui ambitionne de faire voler sa voile solaire dans l’espace dès 2023. « Nous sommes le seul pays, avec les États‑Unis et peut-être la Chine, à couvrir toutes les technologies de propulsion électrique spatiale », se félicite Alberto Rossi.
Objectif Lune… et Mars
Si la propulsion électrique et la voile solaire parviennent à se montrer efficaces sur des engins plus gros que des smallsats, ils pourraient ouvrir la voie aux missions dans l’espace profond. En attendant, c’est surtout pour accompagner le retour de l’humain vers la Lune que les grandes agences spatiales s’intéressent à ces modes de propulsion moins coûteux, par exemple pour des missions de ravitaillement sur la future Gateway, la base lunaire humaine prévue par le programme Artemis de la Nasa.
Avec, en ligne de mire, le premier pas d’un être humain sur Mars, objectif ultime des États-Unis et de la Chine. Pour l’atteindre, les astronautes pourraient s’aider d’un troisième mode de propulsion alternatif à la propulsion chimique, la propulsion nucléaire.
« Il sera difficile d’utiliser les propulsions chimique ou électrique pour les missions d’opposition vers Mars – l’un des deux types d’approches de la planète qui permettent de rester pour des temps plus courts, mais demandent plus de carburant qu’une mission de conjonction, indique Jeff Sheehy, ingénieur en chef du Space Technology Mission Directorate de la Nasa. C’est pourquoi l’agence envisage d’avoir recours à la propulsion nucléaire. »
À ce jour, pas de mission à propulsion nucléaire de prévue, mais la Nasa a commandé trois concepts de tels systèmes, dont le financement commencera en 2022. « D’ici à dix ou vingt ans, la voile solaire et la propulsion nucléaire se seront fait une place aux côtés des propulsions chimique et électrique », pronostique Louis de Gouyon Matignon. L’année qui vient sera décisive pour lui donner raison. Ou tort.
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