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Avec Android Automotive, Google veut orchestrer l’électronique, de plus en plus présente dans les voitures. Il s’agit d’une version « automobile » du système qui équipe déjà quatre téléphones mobiles sur cinq dans le monde… et ça va tout changer.
L’histoire raconte que les voitures électriques de Tesla ont été conçues comme « des ordinateurs sur roues ». Nées dans la Silicon Valley et imaginées par des ingénieurs issus de l’université Stanford, elles ont adopté tous les codes en vigueur dans le numérique : des composants électroniques en pagaille, un grand écran en guise de tableau de bord, des applications logicielles pour la gestion et l’accès aux différentes fonctionnalités, logiciels qu’il suffit d’actualiser pour ajouter de nouvelles fonctions. Mais ce qui a différencié Tesla des autres constructeurs est à présent en voie de banalisation, car, comme tous les autres secteurs, l’automobile est en train de faire sa transformation numérique. La voiture sera peut-être un jour autonome. En attendant, elle est de plus en plus souvent électrique, ou tout au moins hybride. Et elle sera toujours plus électronique et connectée. « Aujourd’hui déjà, une voiture contient une centaine de microprocesseurs organisés en sous-systèmes pour gérer l’assistance au freinage d’urgence, l’aide à la conduite, etc. Il devient nécessaire d’avoir un système d’exploitation (ou OS pour “operating system”), pour gérer tout cela », explique Eric Kirstetter, associé du cabinet Roland Berger, responsable du secteur automobile. C’est ce que Google se propose de faire avec Android Automotive.
Il s’agit d’une version destinée aux véhicules de son OS Android, déjà largement adopté par de nombreux fabricants de smartphones à travers le monde. Attention toutefois à ne pas le confondre avec Android Auto, application permettant aux utilisateurs de smartphones Android d’afficher et d’utiliser le contenu de leur téléphone mobile sur le tableau de bord de leur voiture. Tout comme CarPlay le fait pour les smartphones d’Apple sous iOS.
Android Automotive est un tout autre animal.
Le but est de ne pas passer par son smartphone. Chef d’orchestre de tous les logiciels contenus dans le véhicule, il gère aussi bien les communications, la musique, la clim, le freinage, la gestion du moteur ou la batterie. La marque de véhicules électriques Polestar a été le premier à l’adopter pour son modèle Polestar 2. Depuis, Google a signé avec de nombreux autres constructeurs, parmi lesquels Renault, GM, Ford ou Stellantis.
Mais s’ils s’intéressent tous à ce système, il n’est pas encore dit qu’ils l’adopteront tel quel. « Certains préfèrent développer leur propre OS pour garder le contrôle du cœur de l’auto, déclare Eric Kirstetter. C’est le cas, par exemple, du groupe Volkswagen. Avec ses différentes marques, il dispose des volumes nécessaires pour bénéficier d’une vraie puissance économique et devenir lui-même développeur de logiciels. » Les jeux sont loin d’être faits. Il faudra compter avec les constructeurs qui opteront pour Google, ceux qui préféreront développer eux-mêmes ce système central, sans oublier les équipementiers qui veulent garder la maîtrise du logiciel de pilotage des sous-systèmes qu’ils fabriquent.
Et aucun de ces acteurs ne veut être le perdant de la bataille qui s’annonce. Pour mettre toutes les chances de leur côté, ils mènent leur transformation numérique à marche forcée. En témoignent les récents recrutements de Luc Julia par Renault et de Ned Curic chez Stellantis. Le premier a quitté la direction de l’innovation de Samsung pour devenir directeur scientifique de Renault. Quant au second, qui dirigeait l’activité Automotive d’Alexa, l’assistant vocal d’Amazon, Stellantis a annoncé qu’il devenait son chief technology officer (CTO), en septembre.
3 questions à Luc Julia, directeur scientifique de Renault.
Ingénieur et spécialiste de l’intelligence artificielle (IA), Luc Julia a participé à la conception de l’assistant vocal Siri avant son rachat par Apple. Après avoir été vice-président responsable de l’innovation et de l’IA pour Samsung, il a rejoint Renault en avril 2021.
Vous venez de prendre la direction scientifique de Renault. De quoi allez-vous vous occuper ? Je vais faire ce que je sais faire : du développement logiciel et de l’intelligence artificielle. Autrement dit, apporter un souffle nouveau à un constructeur automobile de 120 ans qui ne connaît pas le logiciel ! Si Tesla a fait un ordinateur avec plein de choses dedans puis lui a mis des roues, nous, nous allons devoir mettre un ordinateur dans une auto. Mais si Tesla a vendu 300 000 voitures en 2020, Renault en a vendu près de 3 millions…
Sur quelles fonctions le logiciel et l’IA interviennent-ils ? Laissez-moi d’abord dire que le véhicule totalement autonome, de niveau 5 selon la classification en vigueur, n’existera jamais ! Le logiciel intervient pour l’extérieur du véhicule – perception de l’environnement, analyse des images transmises par les caméras, réactions aux événements, planification du trajet –, ainsi qu’à l’intérieur, où il permet de faire de nouvelles choses – réalité virtuelle, communication, utilisation de la voix pour les commandes et le contrôle, etc.
Qu’apporte le logiciel à une voiture ? Le logiciel y est déjà présent depuis les années 80, pour l’injection électronique, par exemple. Aujourd’hui, les technologies numériques permettent de nouvelles fonctions, notamment réduire la consommation, aider à la conduite et rendre le voyage plus agréable. L’un des avantages du logiciel est qu’il permet d’ajouter rapidement et facilement de nouvelles fonctionnalités en les téléchargeant. Il doit être présent dès la conception et la fabrication du véhicule puis tout au long de son cycle de vie.
Un nouveau modèle économique.
Les enjeux de cette transformation par le logiciel sont importants. Ils impliquent un changement complet du modèle économique du secteur. Déjà, les nouvelles technologies et le logiciel prennent une part de plus en plus importante des investissements en recherche et développement. « Ce qui est un véritable défi pour les constructeurs, dont l’activité ne génère pas de marges importantes, de 3 à 8 % maximum », souligne Benjamin Rebiscoul, directeur du secteur Automobile chez Capgemini Invent.
Le changement est d’autant plus profond que cette transformation suppose des recrutements de profils nouveaux, la maîtrise d’outils et de technologies spécifiques, mais aussi des savoir-faire commerciaux et marketing différents. « Regardez, les publicités en presse ou à la télévision n’affichent jamais le prix d’un véhicule, mais seulement le coût des mensualités. On passe d’un modèle de vente à un modèle de location, d’abonnement. On ne connaît plus le prix d’une voiture. On ne vend plus un véhicule, mais une solution de mobilité ! » poursuit-il.
Dans ce nouveau modèle, la valeur du véhicule connecté et dopé à l’intelligence artificielle et au logiciel tient en grande partie aux données qu’il produit, à la fois sur le fonctionnement du véhicule et sur la connaissance de l’utilisateur. Elles permettent d’améliorer les calculs d’itinéraires, de proposer au client une expérience personnalisée, d’optimiser la fluidité du trafic sur certains axes, etc.
Les ambitions de Google dans le secteur apparaissent alors clairement. Qui serait mieux positionné que le géant numérique pour, tout à la fois, fournir les applications logicielles prêtes à l’emploi et collecter, stocker, analyser et traiter les milliards de données produites ? C’est l’objet du centre d’innovation Team Upshift, créé en février 2021 par Ford et Google.