The Good Business
Née il y a 128 ans, l’entreprise Petit Bateau, premier employeur textile de France, s’engage dans une démarche responsable pour préparer un avenir plus vert. On n’a pas fini d’adorer ses vêtements en coton bio.
Même la pandémie de Covid n’est pas venue à bout de Petit Bateau. Mieux, elle a eu l’effet étonnant de booster la réflexion sur l’avenir de cette entreprise née en 1893. Toutefois, si la marque se trouve aujourd’hui dans une position assez enviable, c’est qu’elle a été remaniée de fond en comble après avoir connu de gros problèmes à l’orée des années 80.
Elle a bien failli disparaître à cette époque, mais a été sauvée par le groupe Rocher qui la rachète en 1988. Découvrant l’ampleur du désastre, le groupe Rocher n’hésitera pas à faire quelques difficiles coupes franches et, surtout, aura l’intelligence de conserver le fameux made in France en réhabilitant le site de production de Troyes. Autre idée : produire maison à moindre coût en créant une seconde usine au Maroc, tout en maintenant une qualité irréprochable.
L’improbable atout logistique de Petit Bateau
Alors qu’on sait le secteur textile en perpétuelle difficulté, aucune tempête ne semble ébranler la marque. Petit Bateau affiche même une bonne santé, avec 300 millions d’euros de chiffre d’affaires, ce qui lui permet d’enclencher la vitesse supérieure en investissant massivement dans son avenir industriel. Elle a aussi pris conscience de ses atouts, dont l’un inattendu : son centre de logistique, situé à Buchères, qui lui offre la maîtrise intégrale de toute la chaîne.
Ainsi, Jean-Marc Guillemet, directeur des opérations industrielles et logistiques des usines de Troyes et de Marrakech, explique : « La logistique est un savoir-faire en interne qui s’est révélé être un atout formidable durant la crise sanitaire : on sait gérer les références, les couleurs et les tailles, les invendus, les livraisons. Notre site de Buchères traite toute la production et beaucoup plus de commandes désormais, puisque la part d’e‑commerce s’accroît fortement. Or, la logistique n’est pas un métier naturel pour la filière textile qui délègue ce champ à des sociétés extérieures. Chez nous, son intérêt a souvent été remis en question jusqu’au confinement. Moment où elle s’est révélée stratégique, car les commandes ont continué à être livrées alors qu’elles étaient arrêtées partout ailleurs. »
Un avantage crucial, puisque les achats online étaient devenus, en cette période, la seule source de revenus de l’entreprise. « La logistique, chez nous, a un autre rôle, ajoute Jean- Marc Guillemet, celui de réaliser le rêve de nos stylistes. Aussi devons-nous atteindre les standards qu’ils réclament. Pour adapter les ateliers, nous avons, notamment, monté nos métiers sur roulettes afin de réagencer rapidement et à tout moment. »
Ces changements récents font que Petit Bateau réalise aujourd’hui en dix jours ce qui demandait dix semaines hier.
Une réactivité qui se généralise dans la mode. Considérée comme la capitale de la bonneterie française, Troyes reste le berceau où l’entreprise teint, tricote et confectionne une partie de sa production. L’atelier Saint-Joseph, bâti en 1893, trône d’ailleurs à l’entrée du site, mais est désormais entouré de 25 000 m² de bâtiments industriels sur ce vaste terrain arboré de 40 000 m2. Petit Bateau possède toujours sa seconde usine à Marrakech et travaille avec une dizaine de pays, dont la Tunisie (19 % de la production), choisis pour leur savoir-faire particulier.
L’expansion passe désormais par Internet, qui représente 30 % du chiffre d’affaires. « On vise les 50 %, précise Guillaume Darrousez, ancien patron international d’Yves Rocher, nommé patron de Petit Bateau en juillet 2020. On a quelques raisons de se réjouir, puisque la marque est numéro un en notoriété en France, tandis que 90 % de notre activité est centrée sur l’enfant. De plus, l’actif est performant. Néanmoins, nous devons développer activement le Japon (marché numéro 2), la Chine et les pays démographiquement dynamiques, car l’Europe est vieillissante. Nous resserrons également le nombre de références, stoppons nos collections masculines et favorisons des produits intemporels, classiques, non genrés. »
Petit Bateau a aussi profité de cette période de Covid pour mener la concrétisation de réflexions jusque‑là latentes. « Notre matière la plus importante est le coton, notamment bio, et 40 % du tricot teint est réalisé chez nous. Nous entretenons des partenariats longs, de manière à tracer le fil. Là encore, c’est rare dans le secteur textile. Or, entre problèmes d’approvisionnements, spéculations, groupes mastodontes de la mode qui préemptent les récoltes, il y a plus de demandes que d’offres, donc nous cherchons désormais à travailler en direct avec les producteurs », souligne Guillaume Darrousez.
L’an passé, la marque a acheté 2 174 tonnes de fil nécessaires à l’ensemble de sa production, dont 25 tonnes hebdomadaires pour son usine française. La matière est achetée écrue, chinée ou teinte en Turquie, au Pakistan, en Chine selon son titrage, mais aussi en France ou en Allemagne. Signature Petit Bateau : cette maille est tricotée très serrée, ce qui est une épreuve pour les fils, lesquels doivent résister aux chocs.
Aussi, sur 50 lots environ, cinq sont prélevés à chaque arrivage et subissent 15 contrôles dans le laboratoire : taux d’humidité (trop sec, le fil casse ; trop humide, il ne peut pas être travaillé), allongement des fibres, titrages, longueur, présence de bouloches qui cassent les aiguilles, résistance à la torsion de manière à réaliser des tee-shirts qui ne dévient pas de leur axe – pour ne pas avoir de coutures qui tournent – ou conformité des couleurs importées, scrutées sous des lampes spéciales.
Le taux de refus est ici d’environ… 2 %. Un second laboratoire, à Troyes, réalise les couleurs sur les indications du bureau de style parisien. Des machines de simulation proposent des colorations, comparent les échantillons selon des standards internationaux. Les coloris sont affinés, testés, doivent résister aux frottements, à la sécheresse et à l’humidité, à la lumière, à la sueur ou au chlore.
Usine en ordre de marche
Pas le moindre grain de poussière ne traîne dans l’usine de Troyes, ramené au sol par des brumisateurs d’eau afin qu’aucun ne se loge dans les trames des fils et dérègle les machines. « Il s’agit aussi d’éviter les contaminations entre les couleurs. On chasse les particules en suspension qui pourraient parasiter nos tricotages », révèle un bonnetier qui pilote 5 machines simultanément et la forêt de fils qui y est rattachée.
Le coton sera lavé, ennobli (jacquard, double face, trois couleurs, etc.), blanchi puis teint – pendant huit heures pour les coloris clairs, quatorze heures pour les teintes sombres. Aujourd’hui, 8 litres d’eau sont nécessaires pour colorer 1 kg de coton, mais, parmi les nouvelles orientations, la règle sera de 4 litres par kilogramme et le recyclage du précieux liquide.
Une fois blanchis, les métrages de 350 m de long ressortent d’un énième lavage comme une montagne de crème chantilly. Le tissu est alors pressé, séché dans une soufflerie, puis gratté. Il ressort irréprochable, stable et repassé. 100 % des draps sont encore contrôlés avant l’étape de la confection. La formation dans le secteur textile est le défi du XXIe siècle, aussi, Petit Bateau accueille une école au sein de ce département. Quatorze personnes y sont actuellement initiées aux secrets de la bonneterie durant un an et demi (35 stagiaires ont été embauchés par l’usine à la fin de leur cycle d’apprentissage).
À leurs côtés, 125 techniciennes sont réunies en 9 groupes polyvalents et mobiles. « Le produit passe de main en main selon un ordre précis, de façon à détecter aussitôt les erreurs ou un engorgement de la chaîne », confie la chef de la confection. Dans cet atelier se trouvent également de nouvelles machines intelligentes qui peuvent faire apparaître n’importe quel dessin numérisé, imprimé avec un rendu parfait au pixel près… La marque semble bien partie pour continuer à tracer son sillon.
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