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The Good Boost
Créé il y a trois ans et demi, Planet Farms vient de lancer la production hors sol de son immense ferme d’agriculture verticale high-tech installée dans la banlieue de Milan. Au programme : des salades et des herbes aromatiques cultivées sans soleil ni terre. Ce qui était hier encore une utopie futuriste est en passe de devenir une réalité.
« Une graine pénètre dans l’usine… et il en ressort un sachet de salade prêt à être consommé, s’extasie Daniele Benatoff, co-CEO de Planet Farms. Le consommateur sera le premier à toucher le produit. Entretemps, le processus de culture aura été le plus naturel possible afin d’assurer la meilleure qualité possible, que ce soit en termes de goût, de texture ou encore d’apports nutritionnels. » L’entreprise italienne Planet Farms, fondée par Daniele Benatoff et Luca Travaglini, est à l’origine de la première ferme d’agriculture verticale high-tech du pays, construite à Cavenago, dans la banlieue de Milan, et dont la production a débuté au printemps 2021.
« L’implantation à Milan était une évidence, assure Daniele Benatoff. Luca et moi venons tous les deux de cette ville, nous sommes tous les deux italiens, la gastronomie fait partie de notre culture et nous voulions utiliser les technologies italiennes. Nous avons commencé par construire un laboratoire de recherche et développement qui nous a permis de concevoir et de tester nos recettes et de maîtriser la qualité de nos produits. Tout notre concept repose sur la qualité en termes de fraîcheur, de confiance et de traçabilité. La construction de l’usine a commencé il y a un an. Il s’agit de l’une des plus grandes fermes verticales et de l’une des plus à la pointe de la technologie au monde. »
Totalisant une superficie de plus de 9 000 mètres carrés dans un bâtiment imaginé par l’agence Dordoni Architetti, cette ferme verticale high-tech dont l’investissement est estimé à près de 25 millions d’euros a commencé par produire des salades et des herbes aromatiques destinées à être vendues en sachets dans les supermarchés locaux.
Intensifier l’agriculture verticale
Le concept d’agriculture verticale s’élabore dès le XXe siècle et inspire aussi bien les ingénieurs, les chercheurs agronomes que les futurologues ou encore les architectes. C’est finalement le microbiologiste et écologue américain Dickson Despommier qui jette, en 1999, les bases théoriques du vertical farming, dont la popularité ne cesse de croître depuis les années 2010.
D’après l’ONU, à l’horizon 2050, la planète comptera près de 10 milliards d’habitants, dont il est estimé que 70 % seront citadins. Face à ces prédictions, le chercheur préconise d’intensifier l’agriculture hors sol en superposant plusieurs étages de cultures au cœur même des villes.
Une solution permettant de ne pas sacrifier davantage de terre à l’agriculture et de permettre néanmoins de couvrir les futurs besoins alimentaires. En attendant l’inauguration de l’usine à Cavenago, c’est dans le laboratoire de Planet Farms que la visite a lieu, dans une zone industrielle aux bâtiments vieillissants.
Ici, rien ne laisse présager, depuis l’extérieur, ce qui se trame à l’intérieur. « Tout a commencé il y a trois ans et demi, explique Chiara Tenconi, directrice de la recherche pour Planet Farms. C’est ici que nous avons mené la totalité de nos recherches et de nos tests. Aujourd’hui, nous maîtrisons la culture de plus de 90 variétés de salades et d’herbes aromatiques et nous sommes en phase de recherche pour les fruits rouges. »
Au cœur du laboratoire
Après s’être minutieusement désinfecté et avoir revêtu une combinaison blanche, enfilé une charlotte et des chaussons et mis des lunettes de protection, on pénètre dans le cœur du laboratoire. L’imaginaire agricole est déjà profondément bouleversé. Pas de champ à perte de vue, de terre ou de soleil, mais un environnement blanc, aseptisé et contrôlé.
En effet, l’installation d’une ferme verticale représente d’abord une prouesse technologique avant d’être agricole. C’est grâce aux avancées permises par le développement des diodes électroluminescentes (LED), de la robotique et des technologies de l’information que ces unités de production hors sol organisées sur plusieurs étages rendent possible la culture de végétaux comme les salades et les herbes aromatiques.
Tout commence dans la seeding room, où les graines sont plantées suivant le principe de l’hydroponie. Cette technique d’agriculture verticale utilise des solutions nutritives et un substrat inerte qui se substituent aux apports de la terre. Les racines trempent dans l’eau et absorbent les nutriments dont elles ont besoin pour croître (azote, phosphore, potassium, etc.).
Des plateaux aux nombreux compartiments sont remplis de substrats avant qu’une machine ne vienne y poser les semences, puis de l’eau à basse pression recouvre le tout. « Nous avons effectué beaucoup de recherches pour créer les recettes les plus optimales en fonction du produit que nous souhaitions cultiver, raconte Chiara Tenconi. Tout le processus est automatisé et adaptable aux spécificités de la semence. Nous contrôlons tous les paramètres grâce à des capteurs. »
Une fois que le plateau est rempli, il est prêt à rejoindre la growing room, la salle de croissance. Ce jour-là, on trouve, répartis sur les différents étages, plusieurs types de laitues, de la roquette ou encore du basilic. Une pouponnière digne d’un film de science- fiction, où les LED se sont substituées au soleil.
« La nature sans les inconvénients »
« Nous pouvons intervenir et contrôler chacun des paramètres influençant la croissance des végétaux, explique Chiara Tenconi. La température, l’humidité, la circulation de l’air, le taux de CO2, l’exposition à la lumière. Nous suivons les périodes de photosynthèse et reproduisons l’alternance jour/nuit et nous sommes également capables de produire les combinaisons de lumière les plus adéquates en jouant sur les pourcentages de couleurs en fonction du résultat qu’on veut obtenir en termes de qualité organoleptique et nutritionnelle. Ici, nous recréons les conditions parfaites de la nature sans en subir aucun des inconvénients. »
Dans cette « nature » optimisée et affranchie non seulement des aléas météorologiques, des saisons, mais aussi des bactéries, des champignons et des insectes, le rendement est également annoncé comme supérieur à celui des cultures traditionnelles.
Une laitue met en moyenne deux semaines à pousser dans cet environnement contre deux mois et demi dans un champ. Par ailleurs, le milieu entièrement contrôlé rend l’utilisation de pesticides inutile.
« Nous pouvons également utiliser des semences qui n’auront pas été traitées pour pousser dans les champs, souligne Chiara Tenconi. Et donc cultiver à nouveau des espèces anciennes jugées trop faibles pour l’environnement extérieur actuel. » L’ambition des fermes verticales high-tech est immense. Produire en masse des denrées de qualité au prix du marché, en toutes saisons, de manière locale et au plus près des consommateurs.
« Du fait d’une densification verticale, tout l’espace alloué est optimisé et rend possible une installation à la périphérie des centres-villes, où le foncier est généralement élevé, explique Daniele Benatoff. La chaîne d’approvisionnement est entièrement intégrée dans notre processus, ce qui permet une traçabilité complète du produit. La réduction des distances permet quant à elle de mettre à la disposition des consommateurs des produits extrêmement frais et d’éviter les émissions de CO2 dues à leur acheminement et à leur réfrigération. »
Le Japon, pays pionnier de l’agriculture verticale
Si l’initiative de Planet Farms est inédite en Italie, elle s’inscrit dans un mouvement émergent qui voit se multiplier les fermes verticales dans le monde, et plus particulièrement en Asie, où le Japon a été l’un des pays pionniers et concentre actuellement 90 % des installations de ce type dans le monde.
Les défis restent néanmoins de taille, comme l’utilisation des LED – qui soulève, notamment, la problématique de l’exploitation des terres rares –, l’aspect énergivore de ces installations ou encore la nécessité de mobiliser de lourds investissements pour financer leur construction.
Face à la multiplication des initiatives, l’optimisme lié à une réelle industrialisation continue malgré tout de convaincre les entrepreneurs et les industriels, qui voient là l’occasion de répondre à des défis cruciaux, à la fois alimentaires, environnementaux et logistiques.
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