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Bien qu’étant cinquième exportateur mondial de biens et services, et malgré un léger mieux en 2019, la France affiche une balance commerciale négative. Ses piliers des secteurs aéronautiques et du luxe ne suffisent pas à rattraper un déséquilibre qui pourrait sembler structurel. Surtout après une année de crise comme 2020. Toutefois, aux côtés de poids lourds champions de l’export, une myriade de petites entreprises tentent de relever le défi de la compétitivité face à des concurrents européens très agiles comme l’Allemagne ou l’Italie.
En confinement… Le mot sans doute le plus usité de l’année 2020 s’appliquerait-il aussi à l’état chloroformé du commerce extérieur de la France ? Nos exportations de biens ont reculé d’environ 100 milliards d’euros l’an dernier en raison de la crise sanitaire selon le leader de l’assurance-crédit Euler Hermes. Cette chute est la cause directe de l’arrêt, provisoire ou prolongé, des échanges entre pays. Dans l’ordre, la contraction provient de l’Allemagne, premier client de la France (– 14 milliards d’euros selon les calculs d’Euler Hermes), de l’Italie et de l’Espagne (– 7,5 milliards chacun), de la Belgique (– 7 milliards), confirmant la très forte exposition des entreprises françaises à l’Europe. Le marché américain s’intercale avec une baisse anticipée de 8,4 milliards d’euros des débouchés en 2020, nourrie également par l’appréciation de l’euro face au dollar qui dégrade la compétitivité de tous les exportateurs européens. Toute récession entraîne un ralentissement du commerce international, ce qui pèse inévitablement sur la balance commerciale de la France.
Mais elle s’accompagne généralement d’une plus forte baisse des importations – pour l’essentiel celle de la facture énergétique en raison de la chute des cours du pétrole –, de sorte que la balance des échanges s’en trouve améliorée : ainsi de la précédente récession de 2008-2009 comme celle de 1992-1993. Un schéma qui ne s’applique pas à la crise actuelle, comme l’explique Bruno Fernandes, de Coface, l’expert français de l’assurance-crédit à l’export : « La France est forte sur des secteurs généralement peu sensibles aux crises et moins affectés par un ralentissement : aéronautique, pharmacie, cosmétique, maroquinerie, vins et champagne… Pas cette fois-ci ! Nos exportations baissent sur les dix premiers mois d’environ 18 %, dont plus de 40 % pour la seule filière aéronautique, alors que nos importations reculent seulement de 14 %. »
Spécificité française
Le déficit commercial va donc se creuser, passant de 57 milliards d’euros en 2019 à 80 milliards environ selon les estimations du ministère de l’Économie. Parce que la crise du Covid-19 a appuyé là où ça fait mal, sur les secteurs les plus porteurs de notre commerce extérieur, sans compter la perte de recettes du tourisme avec l’arrêt quasi complet des flux de visiteurs étrangers. « Il y a vraiment une spécificité française, avec deux gros secteurs de spécialisation de notre économie : l’aéronautique et le tourisme. On les pensait à l’abri de chocs négatifs, mais leur dégradation en 2020 a pesé lourdement sur la balance commerciale de la France, déjà dans une situation structurelle déficitaire importante », estime l’économiste Vincent Vicard, chargé du commerce international au CEPII.
La filière aéronautique et spatiale – composé des groupes Airbus, Safran, Arianespace ou Eutelsat, mais aussi de nombre d’entreprises intermédiaires – avait apporté une contribution nette positive de presque 30 milliards d’euros en 2019. Elle s’est écroulée cette année jusqu’à peut-être laisser sa place de leader à d’autres secteurs, affectés eux-mêmes mais moins fortement, comme les vins et spiritueux ou les parfums et cosmétiques. En attendant une reprise forte des échanges cette année, le gouvernement a pris des mesures de soutien aux exportateurs : un volet marchés étrangers est inclus dans le plan de relance de l’économie française adopté à l’occasion de la crise sanitaire. Il est doté de 247 millions d’euros pour financer la participation aux salons ou aux foires, pourtant largement virtuels encore aujourd’hui, ou pour contribuer à l’embauche d’un volontaire international en entreprise (VIE).
Une campagne de communication devrait aussi être lancée cette année sur des marchés phares pour promouvoir des labels tricolores comme la French tech ou Taste France. De même, une plate-forme d’information globale sur les pays et leurs secteurs demandeurs va être mise en ligne pour davantage personnaliser l’information à destination des exportateurs.
Encore trop peu de PME exportatrices
Ce travail d’accompagnement, Business France le réalise depuis longtemps. Plus intéressant, l’agence publique estime dans un rapport publié en décembre que le dynamisme de la France à l’international pourrait venir des petites entreprises, une sorte de « génération Erasmus » sans barrière psychologique à l’export. Pour preuve, le nombre de sociétés exportatrices a progressé en 2019 dans un contexte déjà marqué par les tensions commerciales et le ralentissement global des échanges : les PME étaient 3,7 % de plus à exporter par rapport à 2018.
« L’appareil exportateur français se renforce avec une augmentation du nombre d’opérateurs réguliers, ceux qui exportent en continu sur les cinq dernières années », note la direction du Trésor du ministère de l’Économie. En clair, la constance à l’export est sans doute un atout plus profitable que l’augmentation du nombre total d’opérateurs. D’autant que la France reste dominée par les groupes : les 5 % de sociétés les plus grandes ont réalisé 90 % des exportations en 2019, toujours selon la direction du Trésor, davantage que l’Allemagne, dont les géants Volkswagen ou Siemens génèrent pourtant 80 % des exportations.
Cette spécificité française se double logiquement d’une contribution moindre des entreprises de moins de 250 salariés, contrairement à ce qui se passe chez nos voisins européens : l’Italie, l’Espagne ou les Pays-Bas réalisent de 50 à 65 % de leurs exportations grâce aux PME. « Certains grands groupes sont des leaders mondiaux, mais nos PME semblent moins disposées à l’export, avance Bruno Fernandes, de Coface. Il y a des freins culturels, on voit plus le risque que la conquête. Un manque de moyens aussi et des difficultés d’accès à l’information. »
Rendre la balance commerciale de la France structurellement positive
La stratégie d’internationalisation d’une entreprise commence sur son territoire. Le gouvernement avait ainsi déployé en 2018 un nouveau dispositif, baptisé Team Export France, destiné à identifier, sous l’égide des régions, les pépites ayant un potentiel à l’international. À charge ensuite aux experts des chambres de commerce et aux conseillers de Business France de leur apporter les services nécessaires pour préparer leur envol, puis aux correspondants locaux de les soutenir dans le pays visé.
Encore faut-il que la compétitivité-prix, celle qui mesure la capacité à rivaliser avec des concurrents étrangers sur le marché mondial, soit à la hauteur. « Beaucoup a été fait en France pour l’améliorer, depuis le CICE de 2013, mais sans trop de résultats sur les exportations », note Vincent Vicard. « Parce que les entreprises ont surtout rétabli leurs marges, rognées par la précédente crise, ajoute Bruno Fernandes. Typiquement, un secteur comme l’automobile, calé sur le milieu de gamme en France, fait face à de nombreux pays concurrents sur les coûts. On pourrait ajouter le textile, l’habillement, les métaux, le papier… »
Montée en gamme, capacité d’innovation, diversification des marchés : les enjeux de l’après-confinement restent nombreux. Et au-delà… la crise du Covid n’a-t-elle pas suscité questions et débats qui permettront aussi, et surtout, de corriger certains tirs afin de rendre la balance commerciale de la France structurellement… positive ?
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