Horlogerie
Le chocolat n’est pas qu’une friandise gourmande. C’est un ingrédient idéal pour raconter une histoire dans une BD entre récit initiatique, polar et documentaire riche d’enseignements.
Dans la vie, Alexis Carret n’a qu’une passion : le chocolat. Employé dans une célèbre chocolaterie de Bruxelles, il n’a pas son pareil pour sélectionner les meilleures fèves de cacao et trouver les idées qui mettront en valeur la matière première. Sans être prétentieux, il sait bien qu’il n’est pas étranger à l’augmentation du chiffre d’affaires de la boutique. Et il n’est pas dupe quand son patron fait le beau auprès des clients – et surtout des clientes – en s’attribuant tout le mérite de sa créativité. Mais il se contente de son sort. Sa passion passe avant tout. « Je vis pour et par le chocolat », constate-t- il avec lucidité, sans la moindre trace d’amertume.
Il résiste en douceur à la pression de sa famille, qui lui suggère d’aller voir ailleurs. Son père, cadre dirigeant d’une grande marque de chocolat industriel, lui reproche son manque d’ambition. Il s’en fiche comme de sa première ganache. Tout comme il ne se formalise pas de son absence de vie sociale, laquelle se limite à son chat et à une copine de jeunesse, Clémence.
Alexis n’est pas seulement un chocolatier talentueux, c’est aussi un chic type. Il s’est pris d’affection pour Manon, une stagiaire sourde, qu’il initie à l’art subtil des assemblages. « Le fruit, la fermentation et la torréfaction… La voilà, la Sainte Trinité ! » lui explique-t-il avec enthousiasme. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes chocolatés d’Alexis Carret, du moins dans le tome 1 de la BD Le Maître chocolatier.
Jusqu’au jour où un certain Benjamin, un ami de Clémence doué pour le commerce, l’embarque dans un projet fou : ouvrir sa propre boutique. Le moment est propice. Sur un coup de tête, Alexis vient de démissionner après avoir appris que son employeur s’était débarrassé de Manon dans des circonstances peu reluisantes.
Benjamin se fait fort d’obtenir les crédits auprès des banques. Ce qu’Alexis et Clémence ignorent, c’est qu’il ne s’adresse pas à un établissement bancaire ordinaire, mais à un financier douteux qui exerce un chantage sur lui. Le genre de personnage qu’il vaut mieux éviter de fréquenter.
Bruxelles, capitale du chocolat
L’histoire se déroule à Bruxelles, forcément. « Forcément », car quiconque a visité la capitale belge sait qu’elle concentre quelques-unes des meilleures enseignes de chocolat. Les auteurs en profitent pour promener le lecteur à travers la ville. Dans les quartiers les plus connus et qui ont fait sa réputation, de la Grand-Place aux Galeries royales Saint-Hubert et aux Marolles, comme dans des lieux nettement moins fréquentés par les touristes, tel Molenbeek, où Benjamin a décidé d’installer leur petite entreprise.
Le Maître chocolatier tient à la fois du récit initiatique et du polar, mais aussi du documentaire consacré à l’univers du chocolat dont les différents aspects sont mis en scène, de sa préparation derrière les fourneaux à son économie mondialisée, le tout agrémenté de considérations historiques instructives. Dans le tome 2, on apprend ainsi que Christophe Colomb a confondu des fèves de cacao avec des crottes de chèvre, laissant à Hernán Cortés l’honneur d’introduire le chocolat à la cour d’Espagne.
Le lecteur a également droit à des scènes cocasses dignes d’un drame bourgeois classique. Le père d’Alexis, modèle exigeant de réussite sociale, se révèle en effet moins être à cheval sur les principes au contact de jeunes prostituées ivoiriennes. Mais le succès du jeune entrepreneur suscite des jalousies et ses adversaires complotent dans l’ombre…
A savourer sans modération
Dans le troisième volet de cette trilogie, paru en février 2021, Alexis sort de Bruxelles pour la première fois de sa vie. Il séjourne au Vietnam, où il visite une plantation de cacao. Une sorte de voyage initiatique, qui nous vaut quelques-unes des plus belles cases de l’album, et qui le conforte dans sa volonté de pratiquer son métier en respectant une certaine éthique. C’est tout le mérite de cette aventure collective que de ne pas s’enfermer dans un seul genre et de varier les plaisirs de lecture.
L’un des deux scénaristes n’est autre qu’Eric Corbeyran, auteur à la production foisonnante auquel on doit notamment l’univers des Stryges illustré par Richard Guérineau. Il s’est associé à Bénédicte Gourdon, une psychologue intervenant auprès de personnes sourdes et créatrice d’imagiers bilingues publiés dans une collection intitulée Signes.
Quant au lecteur, il peut savourer cette trilogie tout en gardant à portée de main une tablette de chocolat, sans le moindre gramme de mauvaise conscience. L’un des dossiers accompagnant les albums nous apprend que le chocolat, en plus d’être un dopant efficace dont les composants régénèrent le cerveau, permet de lutter contre les caries…