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Si la fréquentation mondiale des stations reste relativement stable, les marchés matures d’Europe et d’Amérique du Nord sont confrontés à un manque d’innovation et au vieillissement de la clientèle. Un pays émerge comme relais de croissance : la Chine. L’industrie du ski pourrait‑elle devenir dépendante ?
Sur fond de crêtes enneigées et d’un ciel bleu azur, l’image colle à l’envie d’air pur et de grands espaces. « La montagne, tout naturellement », clame le slogan de la campagne lancée par Atout France, l’agence de développement touristique, juste avant… le deuxième confinement. La crise sanitaire aura-t-elle raison de la saison d’hiver, « de l’ambiance authentique et conviviale des stations, des multiples activités susceptibles de répondre à toutes les envies », comme le vantait la publicité provisoirement retirée ? « Ce ne sera pas un début de saison normal. Tignes ou les Deux-Alpes, qui avaient déjà ouvert, ont dû refermer leur domaine, mais on continue à préparer la saison en espérant proposer des prestations quasi normales. Une règle est certaine : il faudra porter le masque sur les remontées mécaniques tout l’hiver », assure Laurent Reynaud, le délégué général de Domaines skiables de France (DSF). Les scénarios de fréquentation, forcément aléatoires en fonction de l’évolution de la situation, tablent sur une baisse de 15 à 30 % de l’activité. Certaines stations risquent d’être plus affectées parce qu’elles sont exposées à la clientèle étrangère. Jusqu’au bout, les acteurs ont espéré un démarrage habituel : l’association France Montagnes, qui fédère les professionnels français du tourisme de montagne pour promouvoir la destination, avait même lancé une pétition en octobre pour demander le rétablissement des liaisons directes par Eurostar entre Londres et la Savoie, qui acheminent chaque année 30 000 skieurs britanniques dans la Tarentaise. Le premier confinement avait déjà amputé les dernières semaines de séjour en mars et avril derniers, avec un nombre de journées-skieurs vendues – le critère de référence dans cette activité – en baisse de 16 %. Maigre consolation, l’Autriche (– 12 %) et les Etats-Unis (– 14 %) ont également été touchés. Les trois pays sont solidement installés sur le podium mondial de l’économie du ski, qui ne se porte pas si mal hors contexte sanitaire.
Chaque année, le consultant suisse Laurent Vanat scrute le secteur en compilant l’activité de plus de 2 000 stations dans 72 pays des deux hémisphères, jusqu’au Lesotho ou en Corée du Nord ! L’exhaustivité de son étude le contraint à publier son « Rapport international sur le tourisme de neige et de montagne » au printemps pour l’hiver de l’année précédente. Et pour la saison 2019, l’expert est formel : « C’était la meilleure depuis 2000 ! Avec, certes, une croissance modeste de 2 % et des disparités selon les continents, mais cela contredit la thèse souvent répétée d’une industrie en déclin. »
Le ski, une économie très concentrée
Dans ce panorama, les Alpes restent largement dominantes en totalisant 43 % des journées-skieurs dans le monde, loin devant l’Amérique du Nord. C’est la région la mieux équipée et s’y trouvent les sites les plus visités : Sankt Anton am Arlberg et Wilder Kaiser- Brixental, en Autriche, La Plagne et Les Arcs, en France. Avec Madonna di Campiglio, dans les Dolomites, c’est le top 5 mondial des stations. Le ski est un marché très concentré sur ces quelques destinations géantes – celles qui reçoivent plus de 1 million de visites par saison – et les très grandes – au-dessus de 100 000 visites. Elles représentent seulement 20 % des stations, mais 80 % de la fréquentation totale. « Le marché est mature partout en Europe, dans l’arc alpin comme en Scandinavie, par exemple, explique Laurent Reynaud pour DSF. Notre concurrent principal reste l’Autriche, avec deux modèles très différents : la gouvernance est politique chez nous, avec la délégation de service public, elle est économique en Autriche, qui base son modèle sur l’activité hôtelière. En France, nous avons des grands domaines, reliés souvent entre eux, avec le ski au pied des pistes ; ce n’est pas le cas de l’Autriche. »
Alors que les petites et moyennes stations européennes jouent leur saison sur l’enneigement, affecté par le réchauffement climatique, les grandes investissent dans les équipements et les activités annexes au ski pour trouver la parade. C’est aussi le cas en Amérique du Nord, où l’expert canadien Daniel Scott, de l’université de Waterloo, en Ontario, note que « les années les moins bonnes correspondent en général aux plus chaudes. Néanmoins, le nombre d’opérateurs est resté plutôt stable ces vingt dernières années, avec un modèle d’intégration verticale complètement différent de l’Europe. » Dans les stations renommées d’Aspen ou de Vail, comme pour la très cotée Jackson Hole, dans le Wyoming, un seul opérateur maîtrise les pistes, les remontées, les forfaits, ainsi que les leçons de ski, la location et l’hébergement.
« Il y a même des sociétés qui contrôlent plusieurs sites aux Etats-Unis et au Canada », poursuit Daniel Scott. L’inconvénient : un ski souvent coûteux, avec les forfaits les plus chers au monde. L’avantage : une grosse capacité d’investissement pour améliorer l’expérience. « Le modèle américain, c’est un peu Disneyland à la montagne, avec tous les services à disposition », complète le Français Hugues François, du laboratoire de l’Inrae Ecosystèmes en montagne, qui pointe le défi des prochaines années en Amérique comme en Europe : renouveler les pratiquants, ces baby-boomers qui ont fait la croissance du XXe siècle, alors que la palette des loisirs s’est considérablement développée pour les nouvelles générations.
« La perspective n’est pas très positive, mais il faut parvenir à attirer les clientèles jeunes, en commençant par les scolaires. En France, notamment, l’accueil collectif s’était beaucoup développé dans les années 70, puis il a été considérablement freiné. De même, l’image des grandes stations a un peu vieilli, alors qu’elles ne sont pas les grands méchants de la montagne, mais plutôt les victimes du changement global. » Vu d’Italie, qui reste la cinquième destination mondiale, la qualité de l’offre se révèle être un critère décisif. « Pour attirer les jeunes, il faut les contenter avec des nouveautés, c’est-à-dire toutes les activités complémentaires que propose une station, affirme Sandro Lazzari, le président de Dolomiti Superski. Il faut être attentif à l’ensemble de l’offre touristique : l’accueil, l’hôtellerie, la restauration, la vie du village, pas seulement les remontées mécaniques. Une catégorie tire l’autre. »
Un marché chinois très prometteur
Une autre voie pourrait venir du développement de l’apprentissage en milieu urbain, balbutiant en Europe, en plein boom en Chine, le grand relais de croissance de l’économie mondiale du ski qui va bientôt dépasser la Suisse en fréquentation. Augmentation des pratiquants, construction de stations, développement des équipements… : c’est là-bas que ça se passe, et aussi en ville, avec la construction de 31 dômes dans les principales métropoles, avec pistes synthétiques et simulateurs. « Cela réduit les facteurs d’intimidation que la pratique du ski suscite et fait tomber des barrières d’accès. C’est bien pour les jeunes générations », assure Laurent Vanat qui relève également la perspective des jeux Olympiques d’hiver 2022 à Pékin comme événement accélérateur de ce marché émergent au potentiel considérable, évalué à 120 millions de pratiquants soit l’équivalent actuel du nombre de pratiquants dans le monde !
Le pays compterait déjà 500 sites, du très petit complexe jusqu’au resort luxueux aux standards internationaux. L’ouverture de nouvelles stations, généralement de capacité importante, profite aussi aux entreprises de la montagne, particulièrement à la filière française du secteur qui vend là-bas son savoir-faire. Ils peuvent être exploitants de stations, comme la Compagnie des Alpes et sa filiale CDA Management, qui assure la conception et l’aménagement de domaines skiables et est présente depuis longtemps en Russie et au Japon.
Ils sont surtout fabricants d’équipements, comme l’isérois Poma, leader mondial du téléphérique, ou le savoyard MND, qui propose une approche complète sur la mobilité, les systèmes d’enneigement ou antiavalanches qu’il exporte dans une cinquantaine de pays. La start-up grenobloise Alpinov X, elle, a mis au point un générateur de neige artificielle écoresponsable. Elle vient de faire une levée de fonds pour accélérer son développement, dans ses montagnes voisines d’abord, mais ce sont les cimes du monde qui lui sont promises. L’industrie du ski s’adapte ainsi aux nouveaux défis…
Les chiffres du ski mondial
• Environ 120 millions de pratiquants.
• 400 millions de journées‑skieurs vendues chaque année.
• La part des étrangers dans la fréquentation globale des stations s’élève à 12 %, principalement en provenance de deux pays, la Grande‑Bretagne et l’Allemagne, vers quatre destinations : l’Autriche, la France, la Suisse et l’Italie.
• Top des destinations par régions :
– Les Alpes (France, Suisse, Autriche, Allemagne et un peu d’Italie) : 43 %.
– Les Amériques (Nord et Sud) : 21 %.
– Asie-Pacifique : 16 %.
– Suivent l’Europe de l’Ouest (10 %), l’Europe de l’Est et l’Asie centrale (9 %).
Les chiffres du ski en France
• 10 millions de visiteurs dans les stations françaises, dont 30 % d’étrangers, c’est la fréquentation moyenne des dernières saisons.
• 8 % des Français actifs en moyenne font un séjour à la montagne pour faire du ski.
• 44,9 millions de journées‑skieurs pendant l’hiver 2019-2020, contre 53,4 millions en 2018‑2019 et 53,8 millions en 2017‑2018.
• 250 stations répertoriées par Domaines skiables de France, dont 14 stations internationales représentant 40 % de la fréquentation.
• 18 000 salariés permanents et 120 000 emplois indirects, dont 80 % d’emplois saisonniers.
• Les Alpes du Nord représentent 90 000 des 120 000 emplois. Suivent les Alpes du Sud (15 000), les Pyrénées (10 000) et les Vosges-Jura-Massif Central (5 000).
• 350 M € d’investissements annuels par les opérateurs de domaines skiables.
• 10 Mds € de dépenses annuelles par les visiteurs, en hébergement, équipement, forfaits de ski et nourriture.