Reports
Depuis l’ouverture du premier atelier en 1907, Rossignol n’a cessé d’innover pour rendre la pratique du ski plus confortable et plus compétitive. La maison relève aujourd’hui de nouveaux défis : répondre aux enjeux du changement climatique et étendre son champ d’action.
Le coq tricolore du logo de Rossignol est profondément inscrit dans l’imagerie populaire du ski. Beaucoup de skieurs ont débuté sur les pistes en apprenant la fameuse technique de freinage dite du « chasse-neige », le nez rivé sur le gallinacé dessiné sur leurs spatules. Créée en 1907, la marque française emblématique des sports d’hiver est leader mondial sur le marché du ski depuis les années 70. Au fil des ans, elle a multiplié les rachats stratégiques de griffes de sport – Dynastar, Lange, Look, Time, Raidlight/Vertical, Felt, Dale of Norway – et réalise aujourd’hui 80 % de son chiffre d’affaires hors de France. A travers les baies vitrées de son bureau du siège international du groupe, à Saint-Jean-de-Moirans, en Isère, Bruno Cercley, PDG depuis 2008 (qui quittera la fonction de directeur général au cours du premier trimestre 2021, mais siègera toujours en tant que président au conseil d’administration), profite de la vue sur le massif du Vercors.
D’un ton calme, il résume son plan : développer la diversification de l’offre. Récemment, il a, par exemple, encouragé l’entrée du VTT dans les gammes de Rossignol, à côté des produits destinés à la pratique du ski (alpin et nordique), du snowboard, et des collections de vêtements et d’accessoires de mode. Bien entendu, malgré cette logique d’ouverture, le ski reste au cœur de Rossignol. Et tout particulièrement la compétition. Au rez-de-chaussée du vaste bâtiment aux lignes aériennes en acier, mélèze et verre, un espace attise toutes les curiosités : l’atelier Course.
C’est ici que sont mis au point les skis pour les professionnels. Notamment ceux du multiple champion du monde Martin Fourcade. Dans un grand brouhaha, l’équipe s’affaire sur des tables de travail encombrées, au milieu d’étagères débordantes de pièces détachées. Tout cela évoque les descriptions de l’atelier Rossignol d’origine, à Voiron, en Isère, faites par Emile Allais – le premier médaillé français en ski alpin – dans les années 30, quand il allait y choisir les planches en bois pour ses skis. Il mentionnait ainsi « les effluves de résine, de sève, de copeaux ou de sciure qui planent autour des établis, des raboteuses et des équarrisseuses ».
Aujourd’hui, Alexandre Rabatel, coordinateur de l’atelier Course, assure un accueil dynamique et chaleureux. Le sourire aux lèvres et les bras couverts de tatouages (des dessins d’horloges arrêtées aux heures de naissance de ses quatre enfants), ce passionné de sports de glisse slalome entre les allées de la grande salle en présentant les différentes étapes de la fabrication des skis. Entré dans la maison il y a vingt-cinq ans comme manutentionnaire, il a rapidement gravi les échelons. D’abord promu technicien au développement du snowboard, il a ensuite pris en charge des gammes générales de skis, puis des modèles pour la Coupe du monde, avant de se voir confier la supervision de l’atelier Course.
Rossignol, le ski haute technologie
En s’emparant de morceaux de résine, de fibre, de Titanal (un alliage métallique qui remplace les fibres de verre ou de caoutchouc), il décortique la manière dont les éléments comme la semelle, les noyaux en bois, les quarts (la partie centrale du ski) et les champs (les bandes latérales) sont préparés, moulés manuellement en sandwich, usinés, structurés et encollés (assemblés à la main). « L’usinage de la semelle est une étape cruciale, car elle détermine la façon dont le ski glissera », insiste- t-il.
D’ailleurs, le procédé élaboré par Rossignol est secrètement gardé. « Les composants doivent être positionnés au dixième de millimètre près », souligne Alexandre Rabatel. En fin de parcours, les skis sont fartés et brossés. Une série de finitions qui a pour but d’optimiser leurs performances. Chaque jour, une quarantaine de paires de skis alpins et cinq de skis nordiques sont fabriquées ici. « Nous échangeons en permanence avec les athlètes pour coller au maximum à leurs besoins », précise le coordinateur. Tous les nouveaux produits sont ensuite soumis au test de brisure dans une chambre froide à – 30 °C, censée reconstituer les conditions extrêmes dans lesquelles ils seront utilisés une fois commercialisés. Puis des experts de l’atelier contrôlent leur souplesse, les réglages et la conformité au cahier des charges.
C’est alors aux testeurs terrain de la marque de jouer. Leur job est à faire pâlir de jalousie tous les amateurs de glisse ! Dans un grand bureau aux allures de chambre d’adolescent, Romain Jaccaz et André-Jean Kruajitch, deux joyeux lurons en chemise à carreaux et casquette, interrompent quelques instants leurs échanges potaches pour détailler leurs missions : « Nous sommes chargés de tester tous les prototypes de skis alpins, ainsi que certains produits déjà commercialisés, et même des skis de marques concurrentes. En gros, nous skions entre 150 et 200 jours par an, dans un maximum de conditions, donc partout où il y a de la neige autour du globe. » Installés derrière leur bureau, entre un aquarium où flotte une boîte de sardines et des murs tapissés de caricatures, ils détaillent : « Nous testons le confort, la performance et la régularité des skis en suivant un barème précis qui nous aide à traduire nos sensations en valeurs techniques. Ensuite, nous débriefons avec les autres testeurs que nous embarquons parfois avec nous. C’est une équipe de 15 à 20 personnes, d’âges et de niveaux différents : des athlètes, des anciens sportifs et des amateurs. Après, nous envoyons un rapport à l’équipe R&D. »
- Lire aussi : Gore-Tex, l’innovation au sommet
Rossignol dépose, chaque année, une quinzaine de brevets
En moyenne, il s’écoule un ou deux ans entre la fabrication du premier prototype et la commercialisation d’un produit. Romain Jaccaz et André-Jean Kruajitch ont accompagné les grandes évolutions techniques du marché de la glisse des dernières années. Ils remontent le fil : « Il y a eu les skis paraboliques dans les années 90 [des skis courts avec des écarts de largeurs entre le patin, la spatule et le talon, NDLR] et puis l’arrivée des “rockers” [relevé précoce des spatules, NDLR], au début des années 2010. Aujourd’hui, un gros travail reste à faire pour les rendre plus écologiques. »
Nicolas Puget, le responsable recherche, innovation et développement Course, rappelle que le groupe Rossignol dépose, chaque année, une quinzaine de brevets, mais qu’ils ne concernent pas tous la fabrication des skis. Magali Vauge, la responsable R&D de Rossignol Apparel, est ingénieur spécialiste des textiles innovants et imper-respirants. Assise dans un canapé du showroom, entre les portants de présentation des nouvelles collections, elle explique : « Nous améliorons en permanence la ventilation, la perméabilité, le maintien musculaire et la compression de nos tenues. Aujourd’hui, 90 % de notre gamme est Stretch. » Elle donne l’exemple de la nouvelle technologie Seamless, qui permet de réaliser des vêtements sans couture (thermosoudés), donc plus légers et particulièrement étanches.
Parmi les autres avancées récentes de la marque, Magali Vauge mentionne des sous-vêtements brevetés, développés dans le cadre d’un partenariat officiel avec les médecins urgentistes du CHU de Grenoble, régulièrement confrontés à de graves accidents de ski. Pourvus de mousse absorbante – du même type que celle dont sont équipées les vestes de moto – au niveau des épaules, des côtes flottantes et de la colonne vertébrale, ainsi que de protections sur le coccyx et le bassin, ces sous-vêtements permettent d’atténuer les dommages causés par des accidents relevant de la petite traumatologie.
Tous les membres de l’équipe insistent sur le grand défi du moment : l’innovation au service de l’écoconception. Parmi les leviers de développement de produits moins polluants, la marque met en avant le recours à la membrane écologique Sympatex, en matériaux recyclés et recyclables, sans polytétrafluoroéthylène (PTFE) ni perfluorocarbure (PFC), des composants fréquemment utilisés malgré leur toxicité. Rossignol souhaite aussi utiliser un maximum de matériaux naturels et labellisés FSC et PEFC (pour des forêts durables), notamment pour sa nouvelle gamme de skis Freeride. En rejoignant le Fashion Pact, lancé après le G7 de 2019, et en signant la charte des Nations unies Fashion Industry Charter for Climate Action, la maison affirme son intention de mieux faire pour protéger la planète.
Chiffres clés
• 370 M € de chiffre d’affaires pour le groupe en 2019.
• 70 % du chiffre d’affaires du groupe est réalisé avec la vente d’équipements et de matériel de sports d’hiver.
• Les marques du groupe sont distribuées dans 42 pays.
Lire aussi
Saint-Gobain Sekurit, l’innovation pour ADN
Voiture électrique : Polestar, le trublion