Culture
Les plus grands artistes japonais, Yayoi Kusama, Hiroshi Sugimoto et Isamu Noguchi, ont déjà un musée à leur nom. On peut y découvrir leur œuvre en toute intimité, uniquement sur réservation. Dans ces trois musées, le choc est enchanteur...
Pour un artiste, créer un lieu où exposer ses créations et, d’une certaine manière, célébrer son propre génie est une démarche plutôt rare. En France, Pierre Soulages, centenaire depuis décembre dernier, a son musée à Rodez depuis 2014, mais c’est la communauté d’agglomération qui l’a financé après avoir reçu en donation 500 œuvres du « peintre de l’outre-noir ». Au Japon, en revanche, trois créateurs majeurs ont réalisé ce désir de présenter eux-mêmes leur œuvre.
La peintre et sculptrice Yayoi Kusama, à qui la Fiac 2019 a donné carte blanche pour une installation place Vendôme, a ouvert son musée à Tokyo. Le photographe et architecte Hiroshi Sugimoto, qui a investi l’hiver dernier le domaine de Trianon, au château de Versailles, avec des portraits photographiques et des installations, a créé l’observatoire d’Enoura, un « lieu d’art total » qui surplombe la baie de Sagami.
Et avant eux, le sculpteur, designer et créateur de jardins américano-japonais Isamu Noguchi avait prévu avant son décès que son atelier de Mure, dans l’île de Shikoku, devienne un musée. L’intention de Yayoi Kusama, Hiroshi Sugimoto et Isamu Noguchi n’est pas d’impressionner, et ces trois espaces d’exposition n’ont rien de grandiloquent. Ils invitent au contraire à une incursion intime, un tête-à-tête dans une atmosphère qui favorise la contemplation et le rêve éveillé.
Dans les trois cas, pour assurer cette tranquillité, le nombre de visiteurs est très limité et la réservation, indispensable, jusqu’à deux mois à l’avance. Mais rien n’empêche de prévoir avant le départ de faire escale dans l’un ou l’autre de ces trois musées, dont deux sont à ciel ouvert. Ces hauts lieux de l’art contemporain éclaireront votre voyage.
Zoom sur 3 musées intimes au Japon
Le Yayoi Kusama Museum, à Tokyo
Depuis cinq ans, 5 millions de personnes ont fait la queue dans différents musées du monde pour découvrir les installations immersives Infinity Mirror Rooms de Yayoi Kusama. A la fondation Louis Vuitton, à Paris, durant l’été 2019, les visiteurs pouvaient se retrouver pendant cinquante secondes dans un champ infini de champignons blancs à pois rouges. En 2018, au Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, à Washington, six installations étaient accessibles durant trente secondes chacune. A peine le temps d’une photo Instagram…
Classé meilleure attraction culturelle mondiale par Time Out en 2018, le Yayoi Kusama Museum offre quant à lui deux minutes – une éternité – pour contempler, seul, une Mirror Room de potirons à pois noirs. Le lieu ne reçoit en effet que 50 visiteurs à la fois. Ce petit musée a été créé par l’artiste dans le quartier de Shinjuku, près du studio où elle travaille et de l’hôpital psychiatrique où elle loge depuis quarante ans. Il permet de se faire une idée précise de la trajectoire de cette vieille dame affublée d’une perruque rouge qui, selon Artnet, arrive en troisième position du classement des artistes vivants les plus cotés. 107 Bentencho, Shinjuku, Tokyo. www.yayoikusamamuseum.jp
L’observatoire d’Enoura, d’Hiroshi Sugimoto, à Odawara
Photographe, Hiroshi Sugimoto a exploré, avec sa série Seascapes, les lignes d’horizon des mers du monde entier, et a présenté, en 2018, ses portraits de célébrités en cire (de Louis XIV à lady Diana) au château de Versailles. Architecte, il redessine actuellement le jardin de sculptures du Hirshhorn Museum, à Washington, après en avoir refait le hall d’entrée, devenu un véritable objet d’art. Plasticien, il crée des sculptures épurées à partir de modèles mathématiques. 362‐1 Enoura, Odawara, Kanagawa. www.odawara‐af.com/en/enoura/
L’Isamu Noguchi Garden Museum, à Mure (Japon)
C’est une découverte réservée aux voyageurs qui mettent l’île de Naoshima – ses trois fabuleux musées d’art contemporain conçus par Tadao Ando, son jardin inspiré de Giverny, ses installations dispersées dans la nature et les villages, son délirant bain public avec un éléphant sculpté grandeur nature conçu par l’artiste Shinro Ohtake… – au programme de leur voyage au Japon.
Il suffit alors d’ajouter une journée consacrée à Takamatsu, qu’on rejoint de Naoshima en trente minutes par hydroglisseur. Cette ville héberge le parc Ritsurin, l’un des trois plus beaux jardins zen du Japon (avec ceux d’Okayama et de Kanazawa), qui fut paysagé entre 1625 et 1745 et s’étend sur 75 hectares. Outre ce must, il faut absolument y voir l’Isamu Noguchi Garden Museum de Mure, situé à vingt minutes en taxi du centre-ville. C’est dans ce village que l’Américano-Japonais Isamu Noguchi, sculpteur, créateur de jardins (dont celui de l’Unesco, à Paris) et designer de tables iconiques, de sofas et de lampes Akari en papier, avait établi son second atelier, à l’âge de 65 ans.
Durant les dix-neuf dernières années de sa vie, l’artiste installé à New York partagea son temps entre sa base de Long Island City et Mure, où il vivait dans une ancienne maison de samouraï en bois qu’il avait fait démonter et reconstruire sur son terrain. Isamu Noguchi, qui a ouvert son musée de Long Island City trois ans avant sa mort, en 1988, avait aussi laissé dans son testament des instructions pour que l’atelier de Mure, où il travaillait avec le tailleur de pierre Masatoshi Izumi, devienne un musée. Le billet d’entrée (2160 ¥) doit être réservé au moins deux semaines à l’avance par courriel. www.isamunoguchi.or.jp
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