Lifestyle
Dans Les Indes galantes qu’elle a remarquablement chorégraphié cet automne pour l’Opéra-Bastille, la danseuse de hip-hop Bintou Dembélé a mis tous ses combats. Et a marié l’immariable, le baroque et le krump, dans une sorte de messe moderne.
C’est une cérébrale, mais pas uniquement. Bintou Dembélé est surtout une instinctive. La preuve dans le simple mouvement du bras qu’elle exécute tout en parlant. Un geste anodin qu’elle rend magnifique et qui n’est pas autre chose, pour elle, que celui de sa grand-mère puisant autrefois l’eau de source. Dans ses chorégraphies, le mélange d’influences est omniprésent. Musique live, chant, hip-hop et autres street dances, pour traiter de ce qui lui tient à cœur : la mémoire, l’identité, l’histoire. Thèmes que cette addict à la transmission défend dans un phrasé limpide et fort, d’où jaillit la passion.
Dans ces Indes galantes que le metteur en scène Clément Cogitore (également réalisateur du très remarqué documentaire Indes galantes réalisé pour la 3e Scène de l’Opéra national de Paris) lui a confié, Bintou Dembélé a transposé ses combats, à savoir les inégalités, les sources du racisme, la justice sociale, le legs colonial, le rite, le marronnage, adaptant ainsi cet « opéra héroïque » dans la ville et dans la politique. En un mot, dans la modernité.
Parcours
Née dans l’Essonne en 1975, Bintou Bembélé danse le hip‑hop dès l’âge de 10 ans. Entre autres choses, elle se produit dans divers collectifs, dont Aktuel Force et Mouv’, intègre la compagnie Käfig en 2000, et participe à la tournée de MC Solaar en 1998 pour son album Paradisiaque.
C’est en 2002 qu’elle crée sa compagnie, Rualité (jeu de mots entre « rue » et « réalité »), qui trouve un point de chute deux ans plus tard dans l’Essonne, où elle s’entoure de street‑dancers ainsi que d’universitaires et de personnalités du monde des arts, comme le photographe Denis Darzacq ou l’anthropologue spécialiste des questions coloniales et historienne des arts du spectacle Sylvie Chalaye.
Depuis la naissance de sa compagnie, plusieurs créations ont vu le jour : Rêve L Toi (2002), L’Assise (2005), LOL (2009), Mon appart’ en dit long (2010), Z.H. (2013), S/T/R/A/T/E/S – Quartet (2016) et, enfin, Les Indes galantes pour l’Opéra national de Paris (2019). Elle s’est récemment produite en France ainsi qu’en Suède, en Birmanie, au Chili, en Macédoine du Nord et au Mali.
On saisit mieux alors que le livret de cette œuvre lyrique – qui fait l’apologie des compromis colonialistes, de l’insouciance, de la galanterie, de l’hédonisme, à travers un voyage en Turquie, en Inde, en Amérique du Sud… – lui ait posé quelque problème de déontologie. Problème qu’elle a résolu en choisissant de ne visionner auparavant aucune version de l’opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau.
Agenda
• 30 novembre : Le Syndrome de l’initié, à La Ferme du Buisson, www.lafermedubuisson.com
• 11 janvier : Les Indes galantes, au Centre Pompidou‑Metz, www.centrepompidou-metz.fr
• Renseignements : www.bintoudembele.com
Travail de contamination
« Avec ces Indes galantes, j’ai fait mes premiers pas dans le genre, explique-t-elle, et surtout sur la scène de l’Opéra-Bastille. » Quelle émotion, quel parcours pour celle qui a commencé par se produire sur les grandes places publiques. Et, surtout, quelle production ! Une armée de choristes, de solistes prestigieux – dont la soprano colorature Sabine Devieilhe – ou encore d’enfants sont présents sur scène… Vingt-neuf danseurs venant du krump – une danse née dans les quartiers pauvres de Los Angeles dans les années 2000, signifiant « éloge du puissant royaume » –, mélangés avec des danseurs de breakdance, de voguing, d’électro, de hip-hop, de waacking…
Lire aussi
Rocío Molina : sous les pieds, le feu
Sol León et Paul Lightfoot, éloge de la fragilité
Autant de mondes parallèles que la chorégraphe a fait se rencontrer en laissant l’improvisation guider les pas dans une énergie communicative, et sans l’ombre d’un court-circuit, « histoire de travailler l’idée de la flamboyance », commente-t-elle. Et tout cela en restant fidèle à ses principes : absence de hiérarchie et de catégorie sociale.
« C’était fantastique de voir comment les danseurs ont réagi, ils étaient comme paralysés la première fois qu’ils ont entendu des voix en live, un monde tellement loin d’eux. Il y eut de la surprise, des frissons, presque du désarroi… » Ce « travail de contamination », comme elle l’appelle, s’opère donc par la transmission, qu’elle voit « comme un rite de passage ». Car, parallèlement à la formation, Bintou Dembélé organise des manifestations culturelles dans des collèges, des lycées, des prisons et des universités, et développe un travail d’aide à la professionnalisation en Guyane.
À lire aussi