The Good Business
Pas de carte, pas de menu. Dans une rue calme d'un quartier chic de Marseille, le chef 1 étoile sert un repas surprise. De ses débuts dans la pâtisserie, chez Fauchon avec Pierre Hermé, Alexandre Mazzia a gardé la rigueur. Ses dîners, qui peuvent compter 22 services, sont des exercices millimétrés qui drainent pourtant toute l’exubérante clientèle marseillaise. Chronique d’un succès.
Son pain au charbon, servi avec un beurre maison au combava, et sa « volaille brûlée satay, aubergine, gualanga » sont à l’unisson avec le décor de la petite salle : murs noirs, béton, chaises noires, sol de chêne clair… Du sobre, de l’efficace, à l’image du chef, vêtu de noir, à la parole rare et au geste précis. Sans doute pour mieux laisser la place à la danse des saveurs qui se succèdent dans les assiettes. A Marseille, les palais attentifs avaient déjà eu l’occasion de remarquer Alexandre Mazzia aux manettes du Ventre de l’architecte, restaurant perché dans les derniers étages de la Cité radieuse de Le Corbusier. C’était dans une autre vie. Le chef a, depuis, cédé à la tentation de s’installer dans ses propres murs et a pris son envol. Le décor radical inclut la cuisine ouverte, minuscule, où la brigade œuvre en backstage. Elle compte pourtant neuf cuisiniers : « Il y a beaucoup de mise en place, et tout est simplifié à l’extrême. » Sauf l’assiette, bien sûr. Au total, 14 personnes pour 24 couverts : l’équipe du microrestaurant est compacte, soudée, fidèle. Certains sont aux côtés de leur mentor depuis huit ans.
Sobriété et concentration
L’atmosphère est en adéquation avec l’assiette : concentrée. Alexandre Mazzia cultive la même sobriété en cuisine qu’en paroles. Mais ce n’est qu’une apparence. Comme chez les danseurs, il faut beaucoup de travail pour que tout paraisse simple. « La structure des plats se construit en double cuisson, et parfois en triple : marinade-vapeur-torréfaction ou encore vapeur-poêlé-fini barbecue. C’est ainsi qu’on obtient un poisson juteux et fondant… » Si ses aficionados aiment retrouver sur leur cheminement gustatif quelques plats signature, comme sa biscotte végétale aux fleurs et condiments framboise-harissa, un petit festival de couleurs, ou l’étonnant dessert « coing, pomme verte, chocolat, panais », chaque jour apporte un récit différent, selon les produits et l’inspiration du moment. « Un repas doit avoir du sens, une colonne vertébrale. » Même s’il s’étire en une succession de services, le chef refuse l’image de la dînette. Ses bouchées sont vives, tranchées ; ses assiettes ont de la « mâche ». On est loin de la verrine et du cappuccino.
Pluie de récompenses
Alexandre Mazzia admet vouer une grande admiration pour Pierre Gagnaire et Alain Passard, tandis qu’il nourrit son inspiration de la pêche méditerranéenne et des produits maraîchers. Né au Congo, près de Pointe-Noire, avec une grand-mère restauratrice sur l’Île de Ré, il raconte que les plats qu’il crée sont associés à des souvenirs : une promenade en pirogue, un retour de pêche à la palourde, une rencontre avec une herboriste qui lui fit découvrir le charbon végétal… Tous ses produits viennent de la pêche et du maraîchage local : de Bandol, de Saint-Cyr, d’Aubagne, et même de jardins ouvriers du 15e arrondissement de Marseille ! Et 80 % de ses légumes sont produits en permaculture. Les inspecteurs du Michelin ont tout de suite adhéré. Six mois après l’ouverture d’AM, la première étoile tombait. Le restaurant a aussi reçu quatre toques Gault & Millau.
Alexandre Mazzia a également été élu créateur de l’année lors de l’Omnivore World Tour Paris 2015. Pas assez pour lui faire perdre la tête. « C’est, bien sûr, un moment d’allégresse, mais ça ne doit pas être une quête. Les étoiles arrivent simplement lorsqu’on donne le meilleur. » Aucun doute à ce sujet quand on le voit chaque matin œuvrer à ses recherches et torréfier ses épices. Naturellement, les sollicitations et les propositions pleuvent, mais le chef ne s’en émeut pas. Pas envie de se disperser. Tout au plus a-t-il ouvert à Aix-en-Provence, avec son frère Jean-Laurent, le Pointe-Noire Bar à mets, qui se veut la synthèse du bar à vins et du bar à tapas. Et ajouter quelques couverts à son microrestaurant ? « Plutôt me restreindre que pousser les murs. » Toute une philosophie pour cet ancien basketteur qui compare la cuisine à un sport de haut niveau.
AM par Alexandre Mazzia
9, rue François Rocca, Marseille (8e)
Tél. +33 (0)4 91 24 83 63
www.alexandremazzia.com
Un repas chez AM, ce sont deux propositions le midi, à 35 et 52 €, une affaire pour un premier contact. Le soir, les menus se hissent à 89 et 110 €, et varient entre 8 et 22 services. Comptez dix jours pour une réservation à déjeuner et jusqu’à huit semaines si vous projetez d’y dîner un week-end.
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