Culture
Musique analogique, travail sur la torsion et sur la chair, telle est la thématique de la dernière création de Yuval Pick, directeur artistique du CCN de Rillieux‑la‑Pape depuis 2011. « Are Friends Electric ? » a été présentée lors de la 17e Biennale de la danse de Lyon, en septembre dernier.
La musique a toujours été capitale dans ses créations, ou plutôt la création musicale. De même que les thèmes ont été récurrents, comme le rapport, ô combien complexe, intemporel et actuel, entre l’individu et le groupe. C’est à nouveau ce que démontre Are Friends Electric ?, donnée pour la première fois à Saint-Étienne en décembre 2015, et qui était interprétée par six danseurs sur un plateau sombre, à peine éclairé d’une lumière blafarde.
« Cette chorégraphie a été créée sur une musique analogique artisanale, sur quelque chose d’électronique et d’humain à la fois, qui paraît non fabriqué, et qui évoque les battements d’un cœur, une respiration, une marche, une transe, explique le chorégraphe. Ce rapport primaire au corps et au son renoue avec une forme de mémoire collective, avec une époque aussi, un peu pop, avec un souvenir qui n’est pas forcément nostalgique. En général, dans toutes mes pièces, la création musicale existait avant la création chorégraphique. Ici, ce fut l’inverse. »
Parcours
Yuval Pick est né en Israël et a pris ses premiers cours de danse à la Bat-Dor Dance School de Tel‑Aviv. En 1991, il rejoint la célèbre Batsheva Dance Company, qu’il quitte en 1995. La même année, il s’envole vers l’Europe pour y mener une carrière internationale, et danse dans les compagnies de Tero Saarinen, de Carolyn Carlson et de Russell Maliphant, entre autres, puis, en 1999, avec le Ballet de l’opéra national de Lyon. Trois ans plus tard, nouveau départ, marqué par la création de sa compagnie, The Guests. Désormais interprète, pédagogue et chorégraphe, il reprend, en 2011, la direction artistique du Centre chorégraphique national de Rillieux‑la‑Pape. Il a créé Popular Music en 2005, 17 Drops en 2008, No Play Hero et Folks en 2012, Loom et Ply en 2014.
Pour cette dernière performance, le chorégraphe s’est inspiré de l’univers musical de Kraftwerk, auteur des albums Autobahn, Radioaktivität, Die Mensch Maschine et Trans Europa Express, dans lesquels planent quelques notes de Schubert, « histoire d’évoquer le glissement d’une époque à une autre, poursuit-il, sans générer de contrastes trop décalés ».
Graphique, répétitive, réfractaire à toute esthétique et à tout maniérisme, Are Friends Electric ? se résume à un travail sur la torsion, sur des déplacements d’axes, sur des boucles de répétition scandées par un métronome. Et plus particulièrement sur une approche organique du corps, sur un travail sur la moelle, la chair, le squelette. Ce travail très intime sur l’essence de l’être s’enrichit de trajectoires inspirées de danses traditionnelles européennes. On retrouve d’ailleurs dans ces pas les grands principes de la danse sociale, le folklore ou le menuet, par exemple, fait de rapprochements et d’éloignements. Logique, puisque Yuval Pick excellait, enfant, dans les danses folkloriques de son village natal, en Israël.
« C’était proche du folklore breton, précise-t-il. J’aime toutes les danses du Moyen-Orient, et si je me sens aujourd’hui profondément européen, je porte indéniablement dans mes créations des traces israéliennes, même si je m’en suis complètement libéré. Car je suis parti de là-bas sans forcément renier mes racines. » En évoquant à sa manière une nouvelle forme de romantisme à l’européenne, Yuval Pick interroge le rapport entre l’homme, la collectivité et le monde mécanisé à travers des problématiques basiques : cohabiter dans un espace commun, développer des strates dans un même environnement, vivre l’ambiguïté entre l’hyperindividualité et l’appartenance collective.
« Mon approche de la danse tend vers cette mise en mouvement des identités juxtaposées, comme un assemblage de couches de sensations et d’émotions », conclut-il. On l’a compris, on est davantage ici dans une réflexion sociétale que dans une démonstration de beaux gestes. Are Friends Electric ? s’inscrivait donc complètement dans l’éclectique panorama de la 17e Biennale de la danse de Lyon.
17e Biennale de la danse de Lyon
C’est le plus grand rendez‑vous international en termes de création chorégraphique contemporaine, de la danse néoclassique à la plus radicale, qui englobe une foule de manifestations et de représentations exceptionnelles : défilé « Ensemble ! » ; résidences, rencontres, conférences (La fabrique du regard, Dancers Studio…) ; exposition Corps rebelles, au musée des Confluences… En tout, 165 spectacles sont donnés, dans 62 lieux de représentation intra‑muros et extra‑muros.
www.biennaledeladanse.com
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