The Good Business
Après le succès de Porto Montenegro, d’autres projets de marinas sont en cours de concrétisation dans les bouches de Kotor. Cette baie, composée de plusieurs golfes intérieurs, s’impose désormais comme un haut lieu du yachting international ainsi que du tourisme de luxe.
Petit Etat, mais grands projets.
Très grands projets, frisant la mégalomanie. Avec ses 13 800 km2 pour 620 000 habitants, le Monténégro affiche de réelles ambitions qui pourraient paraître démesurées. Certes, le pays dispose d’atouts naturels évidents. Situé sur la rive sud-est de la mer Adriatique, face à l’Italie, il profite d’une situation géographique idéale, entre la Croatie, l’Albanie et la Grèce. Trois cents kilomètres seulement de côtes bordées par les eaux bleues de l’Adriatique, en comptant les bouches de Kotor, qui représentent à elles seules le tiers du littoral monténégrin… En s’enfonçant de 14 milles (26 kilomètres) à l’intérieur des terres, cette étendue d’eau de mer, qui ressemble à s’y méprendre à un fjord, s’éparpille en plusieurs golfes, se rétrécit en son milieu, pour ensuite déboucher sur la grande baie qui baigne la vieille ville de Kotor. Un bassin protégé d’une cinquantaine de milles (92,5 kilomètres) de rives, ceinturé par des collines et des montagnes culminant à 1 700 mètres…
Un décor fabuleux, dans lequel s’égrènent criques sauvages, villages de pêcheurs et cités médiévales, le tout classé par l’Unesco au Patrimoine de l’humanité en 1999. Bien évidemment, les bouches de Kotor – ou « Boka Bay » – n’ont pas attendu cette consécration officielle pour attirer, au fil des siècles, des populations venues, de gré ou de force, profiter des lieux : marins byzantins, marchands vénitiens, envahisseurs ottomans, troupes napoléoniennes, militaires et administrateurs de l’Empire austro-hongrois… La plupart ont laissé des traces durables de leur passage. Après les vicissitudes du régime communiste et les guerres qui ont ensuite ravagé l’ex-Fédération yougoslave, dans les années 90, le Monténégro – la plus petite des républiques de l’ex-Yougoslavie – a recouvré son indépendance en 2006. Désormais en paix, cette démocratie parlementaire, grande comme à peine deux départements français, est candidate à l’adhésion à l’Union européenne depuis 2008 et utilise déjà l’euro comme monnaie officielle. Vieux pays neuf, côtes sublimes aux portes de l’Europe, manque évident d’infrastructures portuaires et hôtelières de qualité, le tout panaché d’une inclination législative et fiscale gouvernementale plus que bienveillante vis-à-vis des investisseurs étrangers… En 2006, le milliardaire canadien Peter Munk est le premier à comprendre l’étendue des possibilités offertes par ce petit Etat, très « yachting friendly ».
Un projet pharaonique
Le fondateur de Barrick Gold, première compagnie mondiale d’extraction d’or, a voulu créer la plus grande marina de Méditerranée. Son nom : Porto Montenegro, en toute simplicité. Un projet pharaonique pour un port ultrasophistiqué, capable d’accueillir, 24 heures sur 24, plus de 850 unités, allant du bateau de 12 mètres jusqu’au mégayacht de 180 mètres. Avec, à la clé, tout un panel d’infrastructures très haut de gamme : résidences ultrachic, hôtel 5 étoiles, boutiques de luxe et bars branchés. Monaco n’a qu’à bien se tenir ! Du reste, la légende raconte que c’est justement parce qu’il avait un peu trop attendu, à son goût, pour amarrer son yacht dans le port de la Principauté que Peter Munk s’est lancé dans cette aventure. Un choix visionnaire à l’époque. « Porto Montenegro a été pionnier dans le développement du tourisme de luxe et du yachting », indique Sasa Radovic, directeur du Tourisme monténégrin.
Un type d’investissement désormais privilégié par le gouvernement. Dans le passé, de nombreux – et pas toujours très heureux – investissements immobiliers, massivement financés par les Russes, ont été réalisés dans le sud du pays, du côté de Budva et de ses 17 plages. La crise de 2008 a stoppé ce développement, permettant, en parallèle, une certaine prise de conscience, de la part des autorités locales, des risques de ce bétonnage intensif. « Nous n’avons plus ni le temps ni la place pour faire des erreurs comme il y a dix ou quinze ans, reconnaît Sasa Radovic. Notre stratégie est de trouver de bons partenaires, avec des projets de grande qualité, comme ceux réalisés à Boka Bay. » Pour mener à bien son projet, Peter Munk, considéré comme l’homme le plus riche du Canada, fonde Adriatic Marina. Ses associés sont à l’époque le Français Bernard Arnault, le Britannique Nathaniel Rothschild et le Russe Oleg Deripaska. La société rachète les 24 hectares de l’ancienne base navale yougoslave de Tivat. Le montant de l’opération est de 23 millions d’euros, pour un bail de quatre-vingt-dix ans. Le site militaire a été dépollué et ses bâtiments ont été rasés, à l’exception des quatre jetées construites il y a cent ans, à l’époque de l’Empire austro-hongrois. Seul souvenir de l’arsenal : la grande grue rouge et blanc plantée sur la jetée 1, devenue symbole de la rénovation du site.
Un Australien heureux: Tony Browne, directeur de la marina
Sourire impeccable, mâchoire carrée, regard azur et muscles saillants, Tony Browne a bien la gueule de l’emploi. Cet Australien de 43 ans, auparavant capitaine de yachts de 40 mètres, est le directeur de la marina de Porto Montenegro depuis son ouverture. Il dirige une équipe de 62 personnes en été, et de 30 en hiver, pour accueillir les équipages 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. « Notre taux de remplissage est actuellement de 110 % en été, et de 87 % en hiver », se félicite ce marin heureux. Si Porto Montenegro communique énormément sur sa capacité à accueillir des superyachts, une visite le long des larges quais plantés de palmiers permet de constater que la plupart des unités présentes sont dans le créneau des 40-60 pieds, soit 12-20 mètres. « La taille moyenne des bateaux de la marina est de 19 mètres », confirme Tony Browne. Une longueur qui devrait s’accroître au fil du succès que connaît Porto Montenegro auprès des propriétaires et des capitaines de yachts, de superyachts et de mégayachts qui croisent en Méditerranée. La commercialisation des places de port est également source de satisfaction. A l’été 2014, une quarantaine d’anneaux ont été vendus en contrat long terme – quinze ou trente ans – et une vingtaine pour trois ans, tandis qu’une centaine ont été loués à l’année. Avec ce dernier type de contrat, les tarifs varient de 3 890 € l’an pour un bateau de 6 mètres à… 262 400 € pour un mégayacht de 150 mètres.
Yachting et immobilier de luxe
Avec un investissement global de 270 millions d’euros, Peter Munk fournit les moyens nécessaires pour que son bébé méditerranéen soit à la mesure de ses ambitions. Les choses vont vite. La marina ouvre à l’été 2009 avec 85 places. En 2012, 3 000 yachts ont déjà fait escale à Porto Montenegro. A l’été 2014, les quatre jetées existantes proposent 250 places, dont 54 anneaux réservés aux yachts de plus de 30 mètres. A l’automne 2014, la construction d’un cinquième quai permet d’ajouter 150 emplacements. Avec les 60 anneaux supplémentaires livrés cet été, Porto Montenegro pourra accueillir 460 yachts rutilants. Azimut, Ferretti, Baglietto, Riva, Prestige, Sunseeker… Toutes les marques qui comptent dans le motoryachting actuel reflètent leurs carènes galbées dans les eaux turquoise de Porto Montenegro. Le succès semble bien au rendez-vous, tant en ce qui concerne le yachting que l’immobilier. Les deux allant de pair dans ce type d’opération.
Cinq résidences haut de gamme, déclinant 130 appartements conçus par le cabinet d’architecture londonien Reardon Smith et décorés par l’agence parisienne Tino Zervudachi, ont été rapidement commercialisées. Avec une décoration inspirée des palais de la Renaissance italienne, le Regent Hotel & Residence a ouvert à l’été 2014. Disposant de 50 chambres et de 35 suites, de quatre restaurants et d’un spa, ce complexe 5 étoiles sera le huitième établissement du groupe taïwanais, et le second Regent en Europe, après celui de Berlin. Gestionnaire et non proporiétaire, Regent n’effectue ici que son métier d’hôtelier. Le groupe a passé un contrat de vingt ans avec son bailleur, Porto Montenegro, et 52 chambres ou suites ont été proposées à la vente, à des investisseurs, par Adriatic Marina. Tout comme les autres chambres, elles sont gérées et louées par Regent. Prix de base : 300 000 € pour une chambre standard de 40 m2. A l’exception d’un penthouse d’une superficie de 400 m2, proposé à 7 millions d’euros, toutes les « résidences » ont été vendues avant l’ouverture officielle de l’hôtel. Et près d’un an après celle-ci, la direction annonce être « très satisfaite » de son taux de fréquentation.
En parallèle, Adriatic Marina vient d’annoncer le lancement d’un nouveau projet d’envergure, avec les Regent Pool Residences, des appartements ayant accès libre aux services de l’hôtel. Le prix d’une résidence avec vues sur le port, la mer et les montagnes oscille entre 400 000 et 3,7 millions d’euros. La clientèle de Porto Montenegro est principalement européenne, avec un grand nombre de Britanniques, d’Allemands et de Scandinaves. Les Russes sont également très présents, car ils n’ont pas besoin de visa pour entrer au Monténégro, ce qui n’est pas le cas s’ils veulent se rendre en Croatie. « Les Russes ont acheté 35 % des places de port et 30 % des appartements », confirme Rebecca Milton, directrice des ventes d’Adriatic Marina. Porto Montenegro est-il pour autant le nouveau rendez-vous bling-bling des Russes fortunés, épargnés par la crise ? « Pas forcément, analyse Yann Marteau, directeur commercial et marketing du Regent Porto Montenegro. Je ne pense pas que le site et l’atmosphère de Porto Montenegro attirent une majorité de Russes. Même si son comportement a évolué ces dernières années, c’est une clientèle essentiellement attirée par le clinquant, et pour qui une plage aux abords immédiats est essentielle. » Ce qui n’est pas le cas ici, même si l’environnement raffiné du pool club Lido Mar, avec son espace lounge et sa piscine de 64 mètres sur la mer, son restaurant-terrasse et son night-club, apporte une touche glamour. « L’impression qu’il y a beaucoup d’investisseurs russes au Monténégro vient du fait qu’ils ont été les premiers à revenir après la guerre, dès les années 2000, souligne Sasa Radovic. Les républiques de l’ex-Yougoslavie avaient alors très mauvaise réputation. Les Russes ont ouvert la voie en prouvant que le pays était sûr. »
Dans un pays où le tourisme représente 20 % du PIB, et dont le secteur devrait connaître la croissance la plus rapide du monde dans la prochaine décennie, le développement d’un yachting haut de gamme lié à des resorts ultraluxueux est bel et bien une priorité. « Ce développement se confirme, dans la baie de Kotor, par les trois grands projets portés par les grandes marques mondiales d’hôtellerie de luxe », confirme Yann Marteau. Des opérations aux dimensions XXL et aux enjeux financiers nettement supérieurs à ceux engagés à Porto Montenegro. A seulement 7 kilomètres de là, le russe Metropol Group investit 450 millions d’euros sur l’île de Sveti Marko, pour y construire une nouvelle marina, doublée d’un hôtel Banian Tree. De leur côté, la State Oil Company of Azerbaijan Republic (Socar) et le sud-africain Kerzner International ont débloqué 500 millions d’euros pour ériger Porto Novi, à Herceg Novi.
La première vague de travaux a débuté à l’été 2013. Sur une superficie de 24 hectares, une marina de 250 places, un hôtel One & Only de 120 chambres et 500 villas devraient être opérationnels en 2016. La palme de la démesure revient au suisse Orascom, qui investit plus de 1,5 milliard d’euros sur 690 hectares situés dans le sud de la péninsule de Lustica, autour de la baie de Traste, qui donne sur la mer Adriatique. Les travaux du plus grand projet d’investissement de tourisme et de loisir en Méditerranée doivent débuter à l’été 2015. A terme, en 2018, Lustica Bay devrait compter 7 hôtels, dont un Four Seasons, 750 villas, 1 600 appartements et un golf de 18 trous. Le tout couplé avec une marina flambant neuve, dotée de 180 places pour des yachts mesurant jusqu’à 60 mètres de long. Si elle arrive à son terme, cette frénésie de projets et de réalisations propulsera les eaux calmes et – encore – préservées de Boka Bay parmi les nouveaux must incontournables du tourisme et du yachting de luxe. Une sorte de Monaco flambant neuf, doté de l’appétit d’une Dubaï occidentale. A moins de trois heures de vol de la plupart des grandes capitales européennes. Qui dit mieux ?
Une fiscalité accommodante
« La baie de Kotor est une destination qui va exploser, c’est sûr. C’est le nouveau Saint-Tropez, mais sans le mistral. En été, la baie est protégée du vent et les paysages sont superbes », indique Thomas, capitaine depuis quatre ans de Snowbird, un yacht de 40 mètres loué en charter pour 165 000 € HT la semaine. « Au Montenegro, le client ne paie pas de TVA sur son charter. J’insiste auprès du courtier qui se charge de la location du yacht pour que nous restions à Porto Montenegro », assure ce jeune Belge très satisfait de la qualité de l’accueil et des tarifs raisonnables offerts par Adriatic Marina. Port d’entrée officiel du pays, Porto Montenegro décline de nombreux avantages fiscaux. Les taxes appliquées sur les services de la marina ne sont que de 7 % et, pour les yachts qui quittent les eaux territoriales, le carburant est détaxé – il est donc moins cher que dans les autres ports de l’Union européenne, comme celui de Dubrovnik, en Croatie, à seulement 20 milles (37 km) de là.
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