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Le whisky serait-il victime de son succès ? Après des années de crise, entre 1975 et 1995, cette eau-de-vie est revenue sur le devant de la scène, avec, notamment, des 12-ans-d’âge, des 20-ans-d’âge… et parfois plus ! Un argument marketing aujourd’hui mis à mal : c’est désormais le temps des « no age statement », avec tout le discours des distilleries qui l’accompagne.
Comme chaque année, lors du salon Whisky Live qui se tient au mois de septembre, à Paris, la communauté mondiale du whisky s’est donné rendez-vous. Durant deux jours, les représentants des distilleries – venant d’Ecosse, des Etats-Unis, d’Asie, d’Océanie… et de France – proposent leurs nouveautés à un public de plus en plus nombreux. Ce rendez-vous est the place to be pour toutes les appellations.
D’une part, parce que la France est le premier marché mondial du whisky. D’autre part, et concomitamment, parce que le whisky représente, selon le cabinet d’études Nielsen, près de 39 % de la consommation totale des spiritueux en France. Sur les stands, les marques tentent de recréer une atmosphère proche de l’imaginaire de leurs produits. Sur les tables et lors des conférences, le visiteur retrouve des flacons de plusieurs dizaines d’années (20, 30, 40 ans d’âge…), ainsi que de plus en plus de sans-âge, aux noms franchement étranges, qui semblent tout droit venus de la littérature fantasy.
« Il est clair que l’imaginaire des départements marketing tourne à plein régime pour trouver de nouveaux dieux et légendes. Pour certains, il s’agit de revisiter entièrement les folklores gaélique ou viking », affirme Martine Nouet, l’une des grandes spécialistes mondiales du whisky et également auteur du Guide Hachette des whiskies. Cette année, Highland Park, l’une des distilleries les plus septentrionales d’Ecosse – située dans les Orcades, plus proche de la Scandinavie que d’Edimbourg –, a présenté une nouveauté au curieux nom de baptême : Valknut. Ce terme désigne un symbole composé de trois triangles entrelacés. Lié à Odin – le principal dieu de la mythologie nordique –, le Valknut assurerait la transition de l’âme du guerrier vers la mort. Tout un programme !
Chez Ardbeg, basée sur la petite île d’Islay, et une référence pour les amateurs de scotch, les noms des flacons ne sonnent pas toujours écossais : An Oa, Alligator, Uigeadail, Corryvreckan… Thierry Bénitah, l’organisateur du Salon et propriétaire de la Maison du whisky, confirme que les whiskies « no age » sont de plus en plus nombreux : « Le no age statement (NAS) n’est plus une simple tendance destinée à la création de nouveaux produits pour faire parler de la marque. C’est une nécessité imposée par la raréfaction des stocks. Et cette tendance devrait encore perdurer cinq ans, je pense. »
Question de temps…
Pour bien comprendre le phénomène du NAS, il faut remonter quelques décennies en arrière. Entre 1975 et 1995, la demande traverse une grave crise. Les whiskies s’accumulent dans les chais humides. Quand la reprise arrive, au début des années 2000, les maîtres distillateurs disposent d’une palette incroyable de fûts de différentes années pour élaborer leurs whiskies.
Les marques présentent alors régulièrement des flacons ayant subi une longue maturation. Le temps devient un argument marketing de poids pour mettre en avant la qualité des alcools, d’autant que la réglementation édictée par la très influente Scotch Whisky Association impose des règles draconiennes sur la mention d’âge.
Pour avoir l’autorisation d’apposer « 12 ans » sur l’étiquette, il est obligatoire que le whisky le plus jeune entrant dans la composition du flacon ait vieilli au minimum douze années en barrique. Les maisons peuvent ajouter des breuvages beaucoup plus anciens si elles le souhaitent, mais jamais plus jeunes. Peu à peu, fatalement, les stocks s’épuisent… Il faut bien imaginer quelque chose.
Devant l’obligation de gérer la pénurie, les marques sortent des sans-âge, qui jouent désormais les premiers rôles. Chez Glenrothes, le Vintage Reserve est, par exemple, un assemblage de dix millésimes choisis sur les trente dernières années. Hibiki Harmony, le flacon emblématique du japonais Suntory, a remplacé, en toute discrétion, le 12-ans-d’âge : c’est désormais une association de jeunes (entre 4 et 5 ans) et de vieux whiskies. Un argument marketing a donc pris la place d’un autre. Jusqu’à ce que la roue tourne de nouveau et fasse, vraisemblablement, revenir les flacons portant des mentions d’âge.
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