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La Grèce entend (re)devenir un grand pays viticole en mettant en avant les cépages autochtones qui ont fait sa renommée.
Le propre de l’homme est d’avoir « des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit », affirmait Oscar Wilde. L’homme d’affaires grec Alexandre Avatangelos s’est peut-être inspiré de cette maxime pour relancer, il y a quinze ans, sur la partie nord de l’île de Tinos (coincée entre Andros et Mykonos), un vignoble. Aucune vigne n’y avait été plantée depuis plus de trois mille ans. Son nom : T-Oinos. Sur cette terre aride, jonchée d’innombrables blocs de pierre et balayée une grande partie de l’année par le vent des Cyclades – le meltem –, rien ne peut pousser, hormis la vigne, une plante à part, qui aime les défis et les sols pauvres. « Les vins de T-Oinos sont l’aboutissement de travaux lourds et d’innombrables tâches répétitives, reflétant les vertus de cet écosystème extrême », affirme Gérard Margeon, l’associé d’Alexandre Avatangelos et chef sommelier exécutif du groupe du chef Alain Ducasse.
Avec patience, ils ont donc entrepris l’impensable en plantant plus de 70 000 pieds de blanc, du cépage autochtone assyrtiko sur à peine 8 hectares slalomant entre les roches. A quelques centaines de mètres de ce paysage lunaire, dans une vallée, les terrasses de schiste et d’argile accueillent le cépage indigène rouge mavrotragano. Celui-ci servira à élaborer un vin à la couleur pourpre et à l’énergie débordante.
Au total, en 2019, pas loin de 100 000 pieds de vigne ont enfoui leurs racines dans cette terre mythique. Ressusciter un vignoble millénaire est révélateur de l’état d’esprit actuel qui règne en Grèce. Il reflète bien à quel point ce pays est décidé à revenir en force sur le devant de la scène viticole, non pas avec des cépages internationaux comme le merlot ou le chardonnay, mais bien avec ses cépages indigènes (assyrtiko, moschoϐilero, agiorgitiko, xinomavro, mavrodaphne…).
Certains d’entre eux auraient même des origines qui remonteraient à la Grèce antique, berceau de la culture moderne du vin. Les domaines Anathanassios, Gaia Winery, Katsaros, Gerovassiliou, Sigalas… redonnent ses lettres de noblesse à un pays où la tradition du vin est ancrée dans le sol depuis des milliers d’années. Ces propriétés viticoles travaillent les cépages locaux capables de s’adapter aux conditions extrêmes du pays : un fort ensoleillement, un vent herculéen (pouvant atteindre force 8) sur certaines îles comme Santorin ou Tinos.
Des vins frais, vifs, salins et très originaux
Sur les îles de la mer Egée, notamment à Santorin et à Tinos, les vins sont puissants et intenses, surtout les blancs. Ils proviennent principalement du cépage assyrtiko. « Pour le protéger du vent, à Santorin, il pousse dans de petits nids tapis sur les hauteurs du volcan en sommeil », décrit avec poésie Dionysos Mavrommatis, l’un des trois frères Mavrommatis (avec Andréas et Evagoras) du groupe homonyme et expert en vin hellénique.
Et Dionysos poursuit son explication avec un peu de pédagogie : « Le feuillage important entourant les raisins protège les grappes du sable qui peut avoir un effet aussi dévastateur que le vent et le soleil. C’est pourquoi les vins proposés aujourd’hui ne sont plus lourds et oxydés, mais, au contraire frais, vifs, salins et surtout très originaux. » CQFD.
Si les îles exercent toujours un attrait majeur, notamment sur les touristes, le Péloponnèse jouit d’un emplacement exceptionnel avec son littoral et ses sites ancestraux. Cette région a l’avantage d’être accessible en voiture à partir d’Athènes. Les colonnes historiques que l’on aperçoit du vignoble de Papaionnou nous rappellent le lien étroit qui unit les hommes et le breuvage divin de Bacchus. Son domaine produit des vins biologiques depuis 1984, bien avant que cela devienne une tendance !
Némée, près de Mycènes, est l’appellation la plus importante du pays.
Ici, les hivers sont tempérés et les étés, doux, grâce à l’influence de la mer. Les vignobles s’étagent entre 250 et 800 mètres d’altitude, ce qui leur garantit une fraîcheur indispensable qui rend les vins rouges aériens.
Autrefois timide, la Grèce n’osait pas se revendiquer comme une terre viticole. Elle préférait largement mettre l’accent sur ses spécialités gastronomiques, sur son ciel bleu se reflétant sur une mer azur bordée par des maisons d’un blanc immaculé. Mais depuis deux décennies, les belles propriétés viticoles (notamment celles citées ci-dessus) ont effectué un travail remarquable leur permettant de rivaliser avec les autres pays producteurs.
La nouvelle génération (très souvent des membres de la famille) est partie se former en France, en Californie ou en Australie. Elle est bien décidée à poursuivre le travail entrepris par leurs parents et à se faire une place de choix sur l’échiquier mondial du vin. « Soigne bien ta vigne, tu n’auras pas besoin d’admirer celle de ton voisin », prévient un dicton hellénique. Avec la qualité des vins grecs aujourd’hui, ce petit aphorisme n’a jamais été aussi vrai !