The Good Business
Pour le nouveau président argentin, Mauricio Macri, l’exploitation de ce gigantesque gisement est une priorité. La série de nouveaux investissements étrangers annoncés en début d’année signe un nouvel épisode dans une histoire encore courte, mais déjà très mouvementée, qui met en évidence les forces et les faiblesses de ce pays.
« C’est le début d’une belle histoire », déclarait en avril dernier Patrick Pouyanné, le président de Total juste après l’annonce du développement de son gisement d’Aguada Pichana, situé sur la formation de gaz de schiste de Vaca Muerta, en Argentine. Vaca Muerta, « vache morte » en espagnol, est un gigantesque gisement de 30 000 km2 situé dans l’ouest du pays, en pleine Patagonie et à cheval sur quatre régions administratives – Neuquén, la principale, Río Negro, La Pampa et Mendoza –, découvert en 2010 par le consortium réunissant l’espagnol Repsol et le pétrolier national YPF. Un véritable jack- pot potentiel ! Immédiatement, l’Argentine forait son premier puits de gaz de schiste sur la parcelle de Loma la Lata. Et l’énorme potentiel d’être confirmé en 2013, lorsque l’agence de l’énergie américaine (EIA) annonce que l’Argentine se trouve à la tête de la deuxième réserve mondiale de gaz de schiste, juste derrière la Chine. Les réserves argentines sont alors évaluées à 802 000 milliards de mètres cubes. De quoi se prendre à rêver. Mais la « belle histoire » prend son temps pour démarrer. « L’Argentine est la nouvelle Arabie saoudite. » Cette déclaration de la présidente argentine d’alors, Cristina Kirchner, traduit bien l’enthousiasme parfois excessif que la découverte de ce gisement a provoqué dans tout le pays. Les perspectives de revenus apparaissent alors effectivement gigantesques, pesant près de 3 à 4 % du PIB national.
Le gisement est présenté comme la solution pour enfin reconquérir l’indépendance énergétique du pays. La balance énergétique de l’Argentine est mise à mal du fait de la régulation excessive et de l’absence d’investisseurs étrangers. Importatrice nette de gaz en 2011, l’Argentine a vu ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL) s’envoler, passant de 267 millions de dollars en 2007 à 3,3 milliards en 2014. Soucieux de profiter de cette manne à venir, le gouvernement procède à la nationalisation du champion national YPF, alors détenu à 51 % par Repsol, et n’hésite pas à utiliser cette découverte pour flatter le sentiment nationaliste argentin et s’assurer du soutien de la population. « YPF est très présent dans l’inconscient argentin, comme un symbole de grandeur de la nation argentine », confirme Grégory Lassalle, coauteur de La Passion du schiste – Capitalisme, démocratie, environnement en Argentine, publié en 2016 aux éditions Cetim. Le pays n’hésite pas à mettre en scène sa nouvelle richesse, même si celle-ci n’est encore que théorique. En 2014, le pape François, argentin, se voit offrir par la société YPF un fragment de roche du gisement. La même année, le footballeur Lionel Messi apparaît dans un spot publicitaire de la compagnie financé par YPF.
Le gouvernement est toutefois bien conscient qu’il a besoin à la fois d’investissements étrangers et de technologies qu’il ne possède pas pour réussir à exploiter le filon. D’autant que l’exploitation du gaz de schiste demande de maîtriser des techniques de fracturation très complexes. Il commence donc par atténuer les règles qui encadrent le marché en publiant, dès 2013, un décret sur l’exploitation de gaz de schiste en Argentine. Les exportations de gaz, interdites en 2007, sont ainsi facilitées. Le décret interdit également aux provinces locales de créer de nouveaux impôts. De quoi permettre d’attirer les investisseurs. En 2013, Chevron signe un contrat avec YPF. Malgré les réactions extrêmement négatives face à l’arrivée du géant américain en Argentine, la production de gaz de schiste s’accélère.
Chevron en Equateur
Le choix de Chevron comme principal partenaire pour exploiter le site de Vaca Muerta a soulevé un vent d’inquiétude dans les populations locales, tant l’entreprise a laissé un mauvais souvenir aux populations en Equateur. L’origine du conflit remonte à 1993. La compagnie Texaco a quitté le pays l’année précédente, laissant un territoire ravagé par plus de trente ans d’exploitation pétrolière. Des communautés d’Indiens, soutenues par des ONG, portent plainte contre Texaco. En 2001, Chevron rachète Texaco, reprend le procès, et la société est finalement condamnée à payer 9,5 Mds $. Une somme que Chevron refuse de payer. Les victimes de Texaco menacent alors de saisir les biens de Chevron à l’étranger, dont ceux en Argentine. Avant de signer l’accord avec YPF en 2013, Chevron se serait assuré que ses biens n’allaient pas être saisis dans le pays. La société aurait même menacé de ne plus investir dans le pays si la plainte n’était pas rejetée. La Cour suprême de justice a effectivement invalidé l’embargo requis par les victimes de Chevron en Equateur. Le patron de Chevron, John Watson, signait quelques jours plus tard son accord avec YPF en présence de Cristina Kirchner.