The Good Business
La griffe italienne sort de ses classiques. Appelé à devenir marque à part entière, le label « No‑Code » qui se veut en marge des courants et des modes, revendique une nouvelle façon de concevoir accessoires et objets grâce au concours de designers, d’artistes ou de sportifs. Premier acte avec la sortie de la Shoeker, une chaussure hybride, fruit de l’union entre « shoe » et « sneaker ».
En novembre dernier, la marque italienne de souliers Tod’s souhaitait créer l’événement à Milan en conviant la presse à une conférence inédite. Sur scène et sur écran géant, de grands noms du design à l’instar de Chris Bangle, longtemps patron (controversé) du design chez BMW et Rolls-Royce, la commissaire d’exposition Angelina Rui et le Coréen Yong Bae Seok, designer automobile qui a fait ses classes au Pininfarina Design Center et auteur de la ligne Tod’s For Ferrari.
A l’issue de leurs échanges sur l’hybridation de la société sur fond de décor à la Matrix, et des conversations sur le « pouvoir de vivre sans codes », était dévoilé le tout nouveau projet Tod’s, un univers baptisé No- Code. A sa tête, l’ancien rédacteur en chef du GQ italien et de Rolling Stones, Michele Lupi, auréolé pour l’occasion du titre de « Men’s Collection Visionary », qui imagine, sous l’étiquette No-Code, « un laboratoire créatif capable de produire des objets sortant des modes ou des collections, un espace immense s’ouvrant à toutes les influences, au design, à l’architecture, au sport comme aux arts, l’ensemble dicté par quelques valeurs chères à la maison Tod’s : l’artisanat et la technologie ».
Le renouveau de la sneaker
Premier objet à sortir du labo, la Shoeker, contraction entre les mots « shoe » et « sneaker », apparaît début novembre 2018. Un succès immédiat, clame la griffe italienne. Confiée au designer coréen Yong Bae Seok, la première pièce No-Code positionne la maison dans l’univers de la sneaker de luxe, où elle était attendue depuis un moment, autour d’un soulier « OCNI » (objet chaussant non identifié).
« L’univers actuel de la sneaker ne ressemble pas à Tod’s, affirme Michele Lupi, et nous ne souhaitions pas lancer une chaussure made by Tod’s, mais fabriquer un produit ancré dans un nouveau monde et une nouvelle pensée. »
Associant une silhouette fluide et élégante, inspirée des archives de la maison, à un esprit sport et technique directement influencé par l’esthétique du design automobile, l’hybride shoeker du designer coréen affiche 300 grammes à la pesée. Un second modèle fera son apparition en janvier, le troisième, fin juin, d’autres sont attendus pour l’hiver (lire encadré).
« Le succès de la shoeker prouve qu’il existe une place pour la sneaker en dehors des créations actuelles », précise Michele Lupi. Le président, Diego Della Valle, qui est tombé sous le charme de la chaussure, l’a d’ailleurs intégrée à sa panoplie de souliers, juste à côté de sa paire de Hogan, l’autre marque du groupe. Signe que les temps changent.
En mars dernier à Genève, No- Code ouvrait un nouveau chapitre avec la présentation du Qooder, un 4-roues hybride tout électrique, mix entre le scooter et la voiture traditionnelle, une nouvelle création guidée par l’idée d’hybridation.
Quelques semaines plus tard, à l’occasion du Salon du meuble de Milan, Tod’s surprenait encore en dévoilant une exposition réalisée par l’architecte et designer italien Andre Caputo, signature des boutiques et des concept-stores Carhartt et Retrosuperfuture et de plusieurs malls à travers le monde.
No- Code fait alors découvrir une installation de cinq abris dans lesquels les visiteurs se promènent à leur guise. Au sein de chacun des espaces, des entretiens filmés avec chaque designer – le Japonais Mai Ikuzawa, l’Américain Chris Bangle ou l’illustratrice italienne Olimpia Zagnoli. « Pour mieux se comprendre, nous prônons le besoin de se déconnecter du produit, explique Michele Lupi, notre envie est simple, montrer que nous sommes différents. »
Dates et chiffes clés
• 1978 : Diego Della Valle crée Tod’s.
• 2018 : à l’occasion des 40 ans de la marque, Tod’s présente son nouveau concept No-Code et révèle son premier chapitre consacré à la Shoeker.
• 2019 : Tod’s inaugure son premier pop-up store No-Code à Milan.
• 275 : le nombre de boutiques Tod’s dans le monde.
• Chiffre d’affaire du groupe Tod’s : 940,4 M €, en 2018.
• Premier prix de la Shoeker : 490 €.
A la recherche des nouveaux héros
Parmi les futurs projets, celui noué avec le navigateur italien Giovanni Soldini, pourrait faire parler dans les prochaines semaines. Le marin héros s’était fait connaître en 1999 par son sauvetage miracle d’Isabelle Autissier à l’occasion de son tour du monde en solitaire dans le Pacifique.
Par la suite, il a été décoré de la Légion d’honneur. Aujourd’hui, il pourrait être le prochain « appelé » du projet No-Code. « Une personnalité remarquable, explique-t-on chez Tod’s, et un univers, celui de la voile, dont le rapport à la technologie comme aux matériaux, peut faire émerger de nouvelles innovations. »
Et Michele Lupi, d’appuyer : « De la voile, en passant par l’automobile ou l’espace, tous ces univers sont inspirants. Notre travail consiste à chercher comment intégrer leurs spécificités dans l’environnement No-Code. » Les projets se multipliant, Tod’s devrait d’ici à quelques mois transformer son label en marque.
L’étiquette Tod’s pourrait s’émanciper de la shoeker, et laisser No-Code prendre la vedette, voire s’ériger en boutique comme cela a déjà été le cas avec les différents pop-up stores installés cette année à Milan, à Hong Kong et à Osaka. Des marchés asiatiques qui semblent intéresser de plus en plus la griffe italienne.
« Les Chinois, les Coréens comme les Japonais adorent le concept No-Code, souligne Michele Lupi. Il s’exporte là où nos valeurs, celles de l’authenticité, du luxe et de l’innovation, sont reconnues et demandées, et s’adapte sans se presser aux demandes du marché. » L’évolution ne connaît d’autres limites que celles qu’on s’impose.
www.tods.com/tods-no-code.html
3 questions à Yong Bae Seok
Directeur créatif de Tod’s.
The Good Life : Avec quelle philosophie avez‑vous conçu la Shoeker ?
Yong Bae Seok : Avec mon profil de designer industriel et automobile, la vision esthétique m’intéresse en premier. La silhouette de la chaussure est capitale, elle donne la première impression. Mes influences, mes sources d’inspiration diffèrent des créateurs de mode traditionnels, j’aime les lignes architecturales et directes d’un Marcello Gandini, l’ingénieur designer de Lamborghini, et concepteur de la Lancia Stratos, un modèle futuriste présenté au salon de Turin en 1970, comme l’élégance intemporelle d’une Porsche 911. Des chefs‑d’oeuvre qu’on retrouve en filigrane dans la construction des Shoeker.
TGL : En quoi cette Shoeker innove sur le marché de la sneaker ?
Y. B. S. : Elle représente d’abord la qualité et l’excellence, une pièce d’artisans, créée en Italie dans les règles de l’art de la maison Tod’s. Une chaussure à la technologie pure, et à la forme inédite. Des mois de recherches pour arriver à un modèle idéal, associant une silhouette classique, fluide et fuselée, référence à l’esprit classique de la maison, à un design innovant et ultraléger. Pour y arriver, la semelle de la shoeker est proposée en caoutchouc EVA naturel, une résine souple et amortissante utilisée généralement pour les chaussures de sport. Les tissus empruntent à l’univers du sportswear mesh et Néoprène, et le cuir italien, pièce maîtresse de la maison Tod’s ajoute la garantie de qualité comme la dimension artisanale à la construction. La Shoeker se porte à tous les moments de la vie, au travail, en soirée, en voyage. Elle n’est aucunement une évolution de la sneaker d’aujourd’hui mais a été conçue comme une chaussure n’entrant dans aucune catégorie.
TGL : Comment la Shoeker devrait évoluer ces prochaines saisons ?
Y. B. S. : Nous sommes à la recherche permanente de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies inspirées par le design automobile, mais pas seulement. La technologie pour la technologie ne nous intéresse pas, et greffer un écran de télé ou des haut-parleurs pour faire parler n’est pas notre objectif. Je suis obsédé par la légèreté, le design et les belles matières, trois valeurs qui continueront à marquer l’empreinte de la Shoeker. Cet automne, les premiers modèles s’accorderont à différentes versions de laine, des matières luxe et une allure sport en total accord avec l’esprit No-Code. D’autres projets devraient naître : des sacs, des blousons et, qui sait, un hélicoptère, ou même un avion… Dans cette organisation, tout est possible !
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