Horlogerie
Et si la seule valeur marchande sur laquelle on pouvait miser sans aucun risque financier était l'être humain ? De là à le coter en Bourse, il n'y a qu'un pas… HSE est le délire d'un auteur BD anxiogène ou anticipation ?
La première case de HSE est une fiction. Mais une fiction qui pourrait bien, qui sait, devenir réalité un jour. Des petits porteurs ruinés et désespérés attaquent la Bourse de Francfort, défendue par les forces de police. Aux États-Unis et au Japon, des événements semblables ont déjà provoqué la mort de 7 000 personnes. Partout dans le monde occidental, les licenciements en cascade et la crise économique provoquent une misère qui ne cesse de s’étendre. Signe de l’affolement général qui gagne les pays industrialisés, les Bourses mondiales cotent toutes à la baisse. Toutes, sauf une, qui fait figure d’exception dans le marasme ambiant : le HSE. Autrement dit, le Human Stock Exchange, qui propose d’investir dans une valeur pleine d’avenir : l’être humain…
Un univers d’anticipation
Ici, des femmes et des hommes ont donc accepté d’être considérés comme de vulgaires marchandises. On les surnomme les « Red Eyes ». En français, les « yeux rouges ». Rouges à force de travailler jusqu’à l’épuisement ou de rester scotchés à l’écran de leur ordinateur pour suivre l’évolution de leur cotation. Scandaleux ? Pas pour tout le monde. Le HSE fait fantasmer tous ceux qui rêvent d’être riches ou qui ont peur d’être rattrapés par la misère galopante. Parmi eux, un certain Félix Fox, vendeur de voitures par visio-mail. Entrer sur ce marché lui permettrait de financer le traitement médical de sa compagne, Rachel, une jeune libraire. Mais aussi de mieux vivre et de ne plus passer pour un loser aux yeux de son beau-frère. La perspective d’empocher un million d’euro-dollars en guise de capital et de quitter son immeuble envahi par les sans-abri vaut bien quelques menus inconvénients… Comme l’obligation de porter en permanence à son poignet une rate watch, cette montre traduisant en temps réel l’évolution de sa cotation sur le marché. Ou de rendre des comptes à ses chers (dans tous les sens du terme) actionnaires, ce qui implique de suivre quelques règles strictes afin de voir sa valeur augmenter.
HSE, à partir d’une histoire édifiante
Le scénario de HSE, une trilogie publiée chez Dargaud de 2012 à 2016, a été inspiré au scénariste Xavier Dorison par une histoire qu’on lui a racontée. Celle d’une jeune femme qui aurait accepté, pour financer ses études, d’être cotée en Bourse, comme le héros (ou l’antihéros ?) de cette bande dessinée. Info ou intox ? Peu importe, il n’en fallait pas plus à ce scénariste à succès (de W.E.S.T au Troisième Testament et de Long John Silver à Thorgal) pour entrevoir le potentiel de narration d’une telle situation. Un sujet qui l’a d’autant plus séduit que Xavier Dorison, avant de se consacrer à l’écriture, est passé par une école de commerce, où il s’est spécialisé en finance d’entreprise, puis a travaillé pour de grands groupes internationaux. Ce genre d’univers sans pitié et voué au profit, il connaît de l’intérieur…
Un authentique pacte faustien
Dessinée par Thomas Allart sur un mode réaliste approprié au récit, HSE met en scène un véritable pacte faustien. Car Félix Fox, en accédant à la richesse immédiate et à la reconnaissance sociale, doit accepter en contrepartie de perdre son âme. Désormais, il doit agir et penser autrement. Ne pas se contenter de gagner de l’argent, mais aussi le dépenser sans compter, afin de rassurer ses investisseurs. Quitte à se brûler les ailes et à perdre le contrôle de sa vie, dans une spirale infernale qui risque de le transformer en un esclave de luxe privé d’autonomie et de libre arbitre. De loin, la nouvelle existence de Félix pourrait ressembler à un rêve enfin réalisé. Vue de près, elle s’apparente plutôt à un cauchemar des temps modernes. Un cauchemar qui reste une simple fiction, traitée sous forme de bande dessinée, certes. Mais pour combien de temps encore ?