Culture
En attendant qu’il nous fasse bouger à nouveau en live avec ses mélodies planantes, Sébastien Tellier a pris le temps d’échanger avec TGL et d’imaginer une playlist exclusive.
Artiste éclectique et père de deux enfants, Sébastien Tellier a sorti Domesticated en 2020 pour se débarrasser de ses vieux démons puis Simple Mind, un projet plus intime qui replonge dans son répertoire. Un matin de janvier, The Good Life l’a rencontré via skype pour revenir sur ces deux derniers projets et décrypter son processus créatif. A cette occasion, Sébastien Tellier nous a partagé sa playlist d’humeurs du moment. Compte rendu.
The Good Life : Comment concevez-vous les mélodies pour vos chansons ?
Sébastien Tellier : Une mélodie est comme un papillon empirique qui explore tout : il se pose sur une branche, il se flingue sur un fil d’herbe, sur une fleur rouge, il s’envole près de l’eau… Et, d’un coup, il tombe sur quelque chose d’excitant. Voilà ce que c’est de créer une mélodie, il faut être extrêmement libre, chercher beaucoup, puis retenir les passages les plus brillants. C’est aussi un peu comme aller au casino – même si je n’y ai jamais joué – on tente sa chance, et parfois on gagne ! C’est un travail continuel qui accompagne ma vie depuis au moins vingt ans. Quand on fait de la musique on ne peut pas s’empêcher d’y réfléchir. En vacances, sur la route, quand on s’arrête aux péages, c’est à ça que je pense. Même quand on écoute de la radio en famille et on tombe sur une pub, c’est toujours la musique qui m’interpelle.
The Good Life : Domesticated, votre sixième album solo, est un voyage musical spontané, qui célèbre le quotidien. Comment l’avez-vous imaginé ?
Sébastien Tellier : Pour cet album je me suis juste inspiré de ma nouvelle vie. Ces dernières années j’ai passé plus de temps à la maison pour m’occuper de mes deux enfants : il faut leur préparer à manger, changer les couches, penser aux biberons, aux vêtements propres pour tous les jours, etc. Ma routine est devenue complètement différente : plus d’hôtels, plus de voyages à l’international, plus de cocktails en terrasse… En ce moment, je me sens dans un état de soumission, et pourtant, cette perte partielle de liberté m’a porté à m’orienter davantage vers d’autres individus – même si mes enfants restent une partie de moi -, et me fait sentir plus heureux qu’avant. Avant j’étais là pour composer des chansons, tandis que maintenant je veux être un bon papa. Cette vie domestique que j’ai essayé de raconter est donc une façade pour parler de mon état de soumission à la vie.
TGL : Et aujourd’hui, vous vous sentez domestiqué ?
S.T. : Bien que je sois partisan de projets spontanés, quand je fais un album j’aime m’y impliquer au maximum, j’ai besoin de prendre le temps de la réflexion. Un sujet comme celui de la vie domestique est concret, froid et fermé, il y a peu d’affect. Il suffit par exemple de penser aux produits ménagers, aux éponges. Il m’a fallu du temps pour réussir à trouver le bon équilibre et en extirper une sorte de sentimentalisme. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’album n’a que huit chansons.
TGL : Comment s’échapper à sa vie domestique ?
S.T. : J’en parle dans Venezia, une chanson née au Studio Venezia, en collaboration avec Xavier Veilhan, lors de la Biennale d’art de 2017. J’ai eu envie de revenir sur la tentative d’un couple de s’échapper du quotidien en partant en week-end dans cette ville que j’adore, mais… au final on se rend compte que cet essai peut vite se transformer dans un véritable fiasco : une gondole qui prend le mauvais chemin, les restos qui ferment tôt, alors on mange au Burger King… Quand on essaie de s’échapper de sa vie domestique, souvent on n’a pas assez de temps, c’est trop court.
« Accords, mélodies, voix et c’est tout. »
TGL : Simple Mind est un projet encore plus intime, un concert minimaliste dans lequel vous réinterprétez certains de vos morceaux les plus célèbres. Pourquoi cette envie de se mettre à nu ?
S.T. : C’était une façon de mettre ces mélodies dont nous venons tout juste de parler en valeur. Quand je suis en studio pour un nouvel album je suis tellement excité : j’ai envie d’expérimenter, ajouter des synthés… mais derrière tout cela il y a la composition. Parfois quand je répète pour un concert seul à la maison, je veux jouer une chanson piano-voix, et je me dis que c’est dommage de ne pas avoir arrangé la chanson de cette façon-là. De fil en aiguille je me suis aperçu que mes mélodies étaient le mieux que j’avais à apporter. Alors j’ai voulu faire un disque où je fais réécouter mes morceaux. Il s’agit de versions hyper simplifiées : accords, mélodies, voix et c’est tout. On y trouve une sorte de message artistique implicite : dans la musique la composition traverse les âges, la beauté d’une composition est éternelle, alors que la production est un art éphémère. Elle passe avec le temps, certains morceaux de grands compositeurs pourraient être arrangés de façon orchestrale, RnB, dance… Je trouve que cela apporte encore plus de noblesse à une mélodie, la beauté de l’éphémère est tout aussi beau que la beauté de l’éternel.
TGL : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
S.T. : Domesticated est sorti au mois de mai et je n’ai pas pu le défendre en tournée parce qu’on était confinés. Une tournée est vraiment la récompense, on monte sur scène éclairés par les lumières, le public qui applaudit. C’est un style de vie génial, nomade, on s’éclate, on ne prend jamais son petit-déj au même endroit, c’est une façon de découvrir le monde. Être privé de cela, comme c’était le cas au moment de la sortie de Domesticated, c’est frustrant, comme si à l’école on avait rendu une bonne copie et que le professeur n’avait pas pu la noter car il était malade. Alors je travaille sur mon prochain album, pour la libération. Pour quand nous allons pouvoir festoyer avec tout le monde.
Les adresses de Sébastien Tellier en France :
– Le jardin du Ritz pour y boire des cocktails, ritzparis.com
– Les plages immenses de la Côte d’Opale.
– Salle de concert La Cigale, Paris, www.lacigale.fr
– Le musée Grimaldi Forum, Monaco, grimaldiforum.com
Retrouvez plus de Good Tips de Sébastien Tellier dans le prochain numéro de TGL, spécial France en kiosque le 25 février.
La playlist de Sébastien Tellier pour The Good Life :
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