Culture
Classical playlist d’hiver, d’hommages en tributs. Des virtuoses nous livrent des interprétations magistrales d’œuvres qui le sont tout autant.
- D’un monde à l’autre Lorsque l’auditeur a, comme ici, le sentiment de redécouvrir un cheval de bataille tel que la Sonate pour violon et piano de César Franck, c’est qu’il a affaire à de (très) grands interprètes. Mais si cet album est essentiel, c’est parce qu’il nous propose également les deux sonates pour violon et piano de Gabriel Fauré, deux œuvres que quarante ans séparent. Si la première sonate, une œuvre de jeunesse, a été bien servie par de grands violonistes, comme Arthur Grumiaux, Jascha Heifetz ou Shlomo Mintz, rares sont les versions qui réalisent, comme ici, un équilibre aussi parfait entre un piano fougueux et un violon lyrique. On pouvait compter sur le merveilleux Nelson Goerner pour ne pas jouer les faire-valoir et répondre au violon d’une très grande pureté de Tedi Papavrami. Quant à la deuxième sonate, composée en 1916, étrangement moins appréciée que la première, elle bouleverse, particulièrement en son mouvement lent, qui évoque un monde englouti dans la Première Guerre mondiale. Alpha Classics.
- Paris – Tokyo, AR La pianiste Momo Kodama aime les ponts entre le Japon, son pays d’origine, et la France, son pays d’adoption. Si son disque précédent était consacré à Ravel, Messiaen et Takemitsu, elle confronte ici les études de Debussy et celles d’un compositeur contemporain : Hosokawa. Certaines de ses études sont dédiées à la pianiste, et ne cachent pas leur tribut à Claude Debussy. On connaît l’amour de bien des compositeurs français pour le Japon, et il n’est que de se souvenir que la couverture de l’édition originale de La Mer, de 1905, reproduisait La Grande Vague de Kanagawa, d’Hokusai. Autant il serait inconcevable de jouer les deux cahiers de préludes dans un autre ordre que celui qu’a prévu Debussy, autant le parti qu’a pris Momo Kodama de jouer les études en oubliant la numérotation d’origine et les mêler aux études d’Hosokawa se justifie. Ce disque, qui mêle passé proche et présent, France et Japon, dégage une atmosphère magique. ECM.
- Talents en héritage Pour son premier album, le claveciniste Justin Taylor qui, à tout juste 23 ans, en 2015, a remporté le premier prix du concours international de Bruges, a choisi de rendre hommage à Forqueray père et fils. Antoine, le père, né en 1672, gambiste d’une virtuosité exceptionnelle, a laissé un beau corpus pour viole, mais également pour le clavecin. Quant à Jean-Baptiste, son fils, né en 1699, il impressionnera tellement la Cour de Louis XIV par son talent que son père, jaloux, le fera enfermer, à tout juste 15 ans, à la prison de Bicêtre. Il ira jusqu’à le faire bannir de France dix ans plus tard. Mais Jean-Baptiste reviendra à Paris et prendra finalement la succession de son père à la Cour. Pour ses portraits, Justin Taylor a choisi des œuvres écrites pour le clavecin par le père et le fils, mais également une suite pour trois violes d’Antoine Forqueray, qu’il a judicieusement transcrite pour son instrument. Un disque captivant, d’une très grande poésie. Alpha Classics.
- Athènes – Moscou – Paris, allers simples En 1912, c’est le chef d’orchestre Pierre Monteux qui dirige, au Théâtre du Châtelet, la création du ballet Daphnis et Chloé, inspiré d’un roman grec. Une musique de Ravel, les ballets russes de Diaghilev, le chorégraphe Michel Fokine, des costumes et des décors de Léon Bakst, et Nijinski dans le rôle de Daphnis ! Une affiche qui fait encore rêver. « Du grec habillé à la russe », dirent, à l’époque, certains esprits chagrins. Aujourd’hui, ce ballet est reconnu comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre de Ravel. A l’enregistrement mémorable de Pierre Monteux (1959) et aux magnifiques intégrales de Pierre Boulez, il faut désormais ajouter ce sublime enregistrement de cette intégrale rarement jouée en concert, car elle nécessite un orchestre monumental et des chœurs. François-Xavier Roth dirige son orchestre Les Siècles avec beaucoup de sensualité. Les musiciens, jouant sur des instruments correspondant à la période abordée, donnent à cette version des couleurs et un naturel auxquels on n’était plus habitués. Ajoutons les échappées sublimes que Ravel a offertes à la flûte, « rôle » tenu ici par une Marion Ralincourt idéale. Harmonia Mundi.
- Etonnant dialogue Si ce disque nous propose une – autre – belle interprétation de la Sonate pour violon et piano de César Franck, il vaut surtout pour le Concert d’Ernest Chausson, l’un des monuments de la musique de chambre française, créé en 1892. Ernest Chausson, mort à 44 ans, a laissé un florilège de chefs-d’œuvre, dont son Poème pour violon et son Poème de l’amour et de la mer, pour voix et orchestre. On n’attendait pas forcément Isabelle Faust et Alexander Melnikov dans ce répertoire. Et pourtant, quelle finesse, quel caractère dans cette interprétation à la réussite de laquelle le Salagon Quartet n’est, bien sûr, pas étranger. Si on aime la beauté du violon d’Isabelle Faust, on retiendra particulièrement l’interprétation du pianiste, qui joue sur un Erard de 1885. Alexander Melnikov nous révèle la finesse d’une partition d’une difficulté incroyable. En effet, par un curieux paradoxe, on retient souvent du Concert de Chausson les belles mélodies flatteuses du violon, alors que la partition du piano est redoutable. Harmonia Mundi.
The Good Playlist Classical de cet hiver :
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