The Good Business
Contrairement aux logos des jeux Olympiques et Paralympiques de Rio – omniprésents sur une multitude de produits dérivés –, l’agence qui les a conçus est plutôt discrète. Tátil est même un parfait exemple de l’attitude low profile qui caractérise les Cariocas. Ce qui n’a pas empêché Fred Gelli, son directeur de création – personnage charismatique et, pour le coup, très conscient de l’être – d’avoir été désigné en 2014 par le magazine d’affaires américain Fast Company comme l’une des 100 personnalités les plus créatives de la planète.
Le défi était pourtant loin d’être gagné. Si la plupart des grands groupes de communication ont une adresse physique à Rio, c’est rarement là où les meilleures opérations marketing voient le jour, même avec la bénédiction du Corcovado. La créativité publicitaire brésilienne pointue qui brille au firmament des festivals internationaux – Cannes Lions en tête – s’épanouit généralement à São Paulo, tous les fils et filles de pub vous le diront. Rio versus São Paulo, c’est donc un peu comme Rome versus Milan. Un environnement d’une beauté à couper le souffle et un patrimoine culturel historique qui séduisent plus les touristes que les hedge funds ou les dircoms. Mais, en parallèle, un mode de vie décontracté qui fait parfois surgir des idées totalement out of the box et les propulse vers un avenir radieux. Tátil en est un bel exemple. En arrivant devant les locaux situés à São Conrado, à mi-chemin entre Ipanema et Barra da Tijuca, rien ne laisse supposer qu’on peut y rencontrer une star de la profession, éminent membre des jurys D&AD et Cannes Lions, et fondateur d’une agence ayant remporté une centaine de prix internationaux. Une façade anonyme qui ressemble à tous ces rez-de-chaussée abritant des cabinets d’assurances ou de kinés en province. Le jour de notre visite, on est même sorti du taxi sous des trombes d’eau (climat tropical oblige !) pour vérifier le numéro, au risque de se faire tremper jusqu’aux os. Contre toute attente, c’était bien là. Une fois la porte franchie, l’esprit normcore persiste. Une réceptionniste chaleureuse, mais pas affable. On est loin du dress code pubard et de l’agencement minimaliste qui règne habituellement dans ce genre de temple de l’image. Plutôt un esprit United Colors of Benetton, version Brésil bon enfant. Des packagings colorés de toutes sortes, simplement posés sans prétention sur des étagères qui pourraient avoir été achetées chez Ikea. On peut regarder de près les écoflacons en forme de goutte d’eau des shampoings Sou de Natura ou les futures canettes de Coca-Cola, en édition spéciale pour les jeux Olympiques, sous toutes leurs coutures. Les toucher, aussi. Normal, puisque l’agence s’appelle Tátil (« tactile », en français) et qu’elle milite pour l’interactivité sensorielle entre les produits et les consommateurs. « J’ai étudié la communication visuelle, mais, pour moi, l’aspect visuel est seulement une dimension parmi d’autres. La communication devrait pouvoir faire appel à tous les sens », avance d’emblée Fred Gelli. Le directeur de création de Tátil Design de Ideias est un pur électron libre. En 1987, à 19 ans, il décide de monter sa propre structure pour fabriquer des packagings en matériaux recyclés, alors même qu’il est encore étudiant. L’écologie le passionne déjà et, surtout, le biomimétisme, qu’il érige en principe design et qu’il enseigne d’ailleurs depuis quinze ans à l’Université pontificale catholique (PUC) de Rio, à laquelle il a lui même été formé.
Biomimétisme et business
« Le biomimétisme est une science qui invite à considérer la nature comme une fantastique source d’inspiration pour les designers, les architectes, les ingénieurs… Et cette science a trois principes clés. Un : un minimum de déchets. Deux : penser de façon non plus linéaire, mais circulaire, ce qui signifie que les déchets sont également des matières premières. Trois : tout est connecté, et la notion d’interdépendance est incontournable. » Joli timing et bonne étoile ? En 1992, à Rio, la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement viendra offrir, à domicile, une caisse de résonnance scientifique et marketing idéale à la philosophie qu’il prêche sans relâche. De quoi booster l’activité de la société pilotée avec son frère et avec son ex‑femme (cette dernière dirige actuellement la filiale de São Paulo, créée en 2003, pour se rapprocher, géographiquement, du géant brésilien de cosmétiques naturels, Natura, dont Tátil conçoit 40 % des packagings). La messe est dite : 35 collaborateurs en 2002, 90 en 2016. Des graphistes, des designers industriels, des rédacteurs, des planeurs stratégiques, et même un biologiste ! Du premier client international au début des années 90, Anita Roddick, la fondatrice de The Body Shop – symbolique à plus d’un titre – à Coca-Cola, qui l’a chargé de redessiner sa bouteille, en passant par Natura, leader brésilien en cosmétiques, Philips, Renault ou Nokia, Tátil a su surfer sur la vague du branding, souvent écologique, mais non exclusivement. Il faut bien vivre… « Et puis j’ai adoré explorer les plastiques pour Nokia », confesse Fred. Si ce designer entrepreneur au look de surfeur, qu’on pourrait presque définir comme le cousin carioca d’Yves Behar (le designer suisse basé à San Francisco), est aujourd’hui crédité de 147 000 résultats lorsqu’on tape son nom sur Google, c’est bien entendu parce que le projet de logo des jeux Olympiques qu’il a présenté – avec charisme ! – en 2010 a été retenu par le Comité international olympique – contre 139 autres propositions d’experts en identité visuelle – pour « son énergie contagieuse, sa diversité harmonieuse, sa nature exubérante et son esprit olympique ». En somme, tout l’esprit que Rio souhaite véhiculer sur les télévisions du monde entier.
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