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El Minzah, hôtel où séjourna de nombreuses fois Paul Bowles, s'est octroyé un lifting pour répondre aux attentes de ses nouveaux clients.
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Horlogerie

A Tanger, on a voulu revivre la Beat Generation

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Elle a inspiré les auteurs comme aucune autre, de Paul Bowles qui venait s'y réfugier à Williams Burroughs qui y a écrit Le Festin Nu. Tanger, la plus internationale des cités marocaines, était il y a quelques décennies le centre névralgique des libertés interdites ailleurs, des milieux underground et d'une bande de potes qui faisait scandale : la Beat Generation. The Good Life est parti chasser les fantômes dans la ville blanche.

Le cinéma RIF, sans doute l’un des points de rencontre les plus fréquentés du Tanger moderne.
Le cinéma RIF, sans doute l’un des points de rencontre les plus fréquentés du Tanger moderne. Fanny Liaux Gasquerel

On atterrit à Tanger, alors que Paul Bowles y aurait débarqué. Dans la lumière blafarde d’un aéroport quasi désert à cette heure avancée, celle à laquelle les vampires rôdent, on passe un contrôle de sécurité rapide et efficace. La pandémie et ses formalités sont effacées des mémoires.

Paul Bowles à Tanger

Eux n’auraient pas eu à faire scanner leurs valises. Dans ce monde parallèle, celui où les voyages s’improvisaient sans prendre en compte une quelconque empreinte carbone, la Beat Generation débarquait à Tanger comme on fait aujourd’hui escale à Paris. Le dramaturge Paul Bowles, poussé par son amie Gertrude Stein, est celui qui aurait accumulé le plus de Miles et de points XP si Flying Blue avait récompensé la fidélité des voyageurs maritimes de l’époque.

Bowles s’est-il un jour attablé face à cette fenêtre du mythique hôtel El Minzah ?
Bowles s’est-il un jour attablé face à cette fenêtre du mythique hôtel El Minzah ? Fanny Liaux Gasquerel

Sur de très longs séjours, il louait voire achetait une maison pour y écrire une pièce de théâtre. Pour les plus courts, il élisait domicile au mythique hôtel El Minzah. Celui qui surnommait la ville blanche Dream City a laissé sa trace dans les couloirs du temps tangérois, et aux murs de sa Délégation Américaine. Là commence notre introspection, en pleine casbah, après avoir enjambé les flots d’eau souillées et malodorantes ne laissant pas de doute quant à l’emplacement du marché aux poissons de Tanger.

Un mythe méconnu

Si vous connaissez Marrakech… N’y pensez plus. Ici, point de souk bordélique, de Majorelle et d’Yves Saint Laurent. Tanger se mérite. Elle se cache.

Les Colonnes, mythique librairie à Tanger.
Les Colonnes, mythique librairie à Tanger. Fanny Liaux Gasquerel

Comptoir portugais passé aux mains des Espagnols alors que son statut la disait internationale, Tanger est une ville déracinée. Le comble ? On n’y parle que très peu français. Il faudra donc apprendre à articuler en espagnol ou en anglais pour régler son taxi, répondre aux joyeux « Holà ! » que nous lancent les jeunes vendeurs de la médina devant leurs échoppes flambant neuves et, surtout, oublier que le Maroc… ce n’est pas la France ! Là-haut, les murs sont immaculés, les portes en bois dévoilent de merveilleux jardins et des dar – la maison tangéroise – ombragés. En-bas, tout a changé.

La pandémie a eu du bon pour Tanger. Le roi du Maroc, déjà en demande de faire du nord de son pays une nouvelle région à forte attraction touristique, a profité de la fermeture des frontières pour aider la ville à balayer devant sa porte. Est-ce la raison pour laquelle on n’y sent plus l’esprit rock n’ roll un poil décadent que décrit Bowles dans ses mémoires (1989) ? Celui-là même qui plane dans Only Lovers Left Alive, le film de Jim Jarmush (2013) ? L’esprit qui nous hante…

Adam et Eve, les protagonistes du film de Jarmusch.
Adam et Eve, les protagonistes du film de Jarmusch. Only Lovers Left Alive

Une quête nostalgique

Sommes-nous déçus ? Forcément un peu, nos Ray Ban Wayfarer bien plantées sur le nez histoire de se mettre un peu plus dans la peau d’Ève, le vampire monacal du film de Jim Jarmusch.

Tanger se polisse et s’élargit. Le port s’est sacrément modernisé. Les grues s’étendent à perte de vue, jusqu’aux frontières d’une ville qui ne semble pas en avoir. Sauf du côté des remparts de l’ancienne cité fortifiée, où l’on erre en se disant que l’âme de Tanger y subsiste — un peu.

Alors pour chercher cette satanée décadence du rock, en mettant de côté la prostitution adolescente qui courait les rues et dans une moindre mesure le kif qui circulait, on grimpe, on grimpe jusqu’au café Baba. Punaisé aux murs, Anthony Bourdain nous y accueille. La vue prend le relais, un panoramique de la médina. Faire mine de ne pas humer les vapeurs illégales qui s’échappent dans notre dos. Nous y voilà !

Au café Baba, la place to be des Stones, de Patti Smith et même de Daniel Auteuil !
Au café Baba, la place to be des Stones, de Patti Smith et même de Daniel Auteuil ! Fanny Liaux Gasquerel

Les Stones sont passés par là, Patti Smith, Kofi Annan et même Daniel Auteuil. Ce sont désormais des touristes armés de trépieds qui s’attablent pour déguster un thé à la menthe tout en immortalisant le moment pour les abîmes de Tik Tok. Triste rappel à l’ère contemporaine ?

La nouvelle Tanger

Qu’importe, il faut embrasser le changement et, avec lui, cette nouvelle ère dans laquelle est entrée Tanger, polissée mais toujours authentique. En ce mois de janvier, il y fait délicieusement doux. Le tajine se déguste fumant en terrasse. « Un couscous, s’il vous plait ? — Non, c’est que le vendredi, le couscous !« 

L’hôtel Fuentes, où Tennessee Williams écrivit une partie de sa pièce Camino Real.
L’hôtel Fuentes, où Tennessee Williams écrivit une partie de sa pièce Camino Real. Fanny Liaux Gasquerel

Les jolies maisons d’hôtes fleurissent depuis une dizaine d’années à Tanger. Dar Nour, Nord Pinus, Villa Joséphine sont des noms qui font aisément concurrence aux grands hôtels qui s’y installent à leur tour, à l’image du Tazi Palace d’Accor qui vient d’ouvrir ses portes rutilantes sur la colline de Jebel Kebir, offrant une forme de tourisme différente, plus luxueuse.  Si l’on préfère sentir les vestiges du temps, il faut élire domicile au Fuentes ou au Muniria, deux repaires de Beat restés dans leurs jus.

El Muniria, aux portes de la vieille ville.
El Muniria, aux portes de la vieille ville. Fanny Liaux Gasquerel

Un saut au Tingis est indispensable même si ni Kerouac ni Genet ne nous y salueront — ils en étaient des habitués. Plus loin, c’est au café Hafa qu’on touchera encore du doigt la décadence d’un Tanger passé, cette époque dont même notre guide du jour n’a pas idée. Là bas, les tables y sont bel et bien poisseuses, la fumée s’échappe tantôt d’une théière, tantôt, épaisse, d’une bouche. Mélange olfactif intéressant.

Ce café en escaliers avec vue panoramique sur le détroit et sièges en plastique blanc se rapproche de l’idée qu’on se faisait de Tanger : sale et magnifique. On aurait peut-être pu y croiser Mohamed Choukri, auteur triste du Pain Nu (1972), qui consacra également un ouvrage à la vie de son ami Paul Bowles le reclus de Tanger (1997). Peut-être aussi Ahmed Yacoubi, ce jeune marocain dont s’était entiché le plus tangérois des Américains, qu’il avait traduit dans sa langue puis aidé à faire publier les romans.

A contrario du Hafa, le café Tingis a fait table rase de son passé.
A contrario du Hafa, le café Tingis a fait table rase de son passé. Fanny Liaux Gasquerel

Retour dans la médina de Tanger où il faudra veiller à enjamber les sacs de ciment qui jonchent les pavés en attendant d’être utilisés. Poulies et échafaudages gênent les photos. Quelques ruelles sont heureusement prêtes à « poster », pots de fleurs et murs blancs prennent la pause. Vu de là-haut, on aperçoit un paquebot MSC Croisière. Les groupes de touristes guidés par un parapluie nous auront évité mais ce vaisseau XXL signe bien le nouveau statut touristique de la ville blanche. Sommes-nous déçus ?

El Minzah, l’hôtel où séjourna de nombreuses fois Paul Bowles, s’est octroyé un lifting pour répondre aux attentes de ses nouveaux clients.
El Minzah, l’hôtel où séjourna de nombreuses fois Paul Bowles, s’est octroyé un lifting pour répondre aux attentes de ses nouveaux clients. Fanny Liaux Gasquerel

Un trait d’union entre passé et futur

Notre pèlerinage touche à sa fin. Encore faudra-t-il s’aventurer dans la ville nouvelle, sans charme, où les bâtiments se copient et se collent, pour poser un cierge à la mémoire du Dean’s Bar où Bowles, Francis Bacon et même Ian Fleming, le père de James Bond, avaient leurs habitudes. Si les murs pouvaient parler, nul doute que ceux-là auraient des histoires captivantes à raconter.

Le Dean’s Bar s’appelle désormais le Chico’s.
Le Dean’s Bar s’appelle désormais le Chico’s. Fanny Liaux Gasquerel

Il porte désormais du nom de Chico’s et sert des spécialités ibériques. Car, si Tanger a enterré les fantômes de son passé tumultueux, son héritage andalou et son ouverture internationale sont ses focales futures. Il se murmure qu’un trait d’union apparaîtra bientôt, sous la forme de d’un pont qui devrait être construit entre les deux continents, reliant Ceuta à Tarifa… « Il est le pouls du monde, une frontière entre rêve et réalité » , dit un jour Williams Burroughs du port de Tanger. Sans doute ne pensait-il pas que sa parole traverserait les époques.

F.L.G.


Les spots de la Beat Generation à Tanger

El Minzah
85 Rue de la Liberté,
Tanger, Maroc
A partir de 100 € la nuit

Café Baba

Rue Zaitouni,
Tanger, Maroc

Hôtel Fuentes
9 Petit Socco,
Tanger, Maroc
A partir de 25 € la nuit

El Muniria
1 Rue Magellan,
Tanger, Maroc
A partir de 25 € la nuit

Café Tingis

Rue Almohades,
Tanger, Maroc
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