Gilles Barbier / Bernard Wipf

Superhéros
L'art du désenchantement

La Comic Con de Paris ouvre ses portes le 21 octobre. Une preuve de plus de l'engouement suscité par les stars en slip et collants ! L’art étant souvent un miroir des phénomènes de société, les superhéros font aussi une percée sur la scène arty… où leurs capacités sont sérieusement mises à mal.

Dans son ouvrage Sociologie des super­héros, Thierry Rogel (lire encadré) définit assez clairement les caractéristiques du super­héros. Il est jeune et athlétique. Il a des pouvoirs surnaturels. Il opère en milieu urbain, le plus souvent au cœur de Manhattan. Il est justicier à temps partiel, car il a souvent une double vie comme Superman, alias Clark Kent, le binoclard de Smallville qui joue à l’idiot pour garder son identité secrète. La plupart des artistes ont à cœur de mettre à bas ces archétypes. Comme si, dans le monde dans lequel nous vivons, où toutes les valeurs sont en crise, il n’était plus possible de croire aux postulats de la virilité, de l’altruisme ou de l’éternelle jeunesse.
Le plus féroce dans le registre de la désacralisation est sans aucun doute l’artiste Gilles Barbier, qui envoie tout ce beau monde à l’hospice. Se basant sur la date de naissance de Superman (1932) ou de Captain America (1940), l’artiste en tire les conséquences : les superhéros sont des personnes âgées. Dans son ­installation désopilante, Hulk est en chaise roulante, Superman en déambulateur et Captain America est sous perfusion. « J’ai eu l’idée de cette installation après avoir lu un article qui racontait que les studios Disney étaient ­embarrassés parce que Mickey Mouse, créé en 1928, allait bientôt avoir 100 ans, et, du coup, tomber dans le domaine public. Ils essayaient donc de prolonger le droit d’auteur pour en garder le monopole, explique l’artiste. Je me suis demandé quel était l’âge des copyrights des superhéros et je me suis rendu compte qu’ils étaient tous vieux. J’ai donc répertorié les plus célèbres et je les ai représentés à l’âge qu’ils auraient aujourd’hui. »

Heroes every day ?

Séniles, les superhéros ? Vous n’avez pas tout vu ! Avec Virginie Barré, ils ont perdu la ligne et se sont empâtés : ses sculptures de Fat Bat et de Fat Spiderman sont à l’image d’une population américaine dont un tiers désormais est obèse. Sans états d’âme, les superhéros ? C’est sans compter avec Giancarlo Norese qui les fait fondre en larmes, Adrian Tranquilli qui les met à genoux, ou encore Benoit Lapray qui les téléporte de Manhattan aux montagnes de Haute-Savoie ou du Jura, afin de les confronter à la pleine nature et à l’entière solitude. ­D’autres artistes enfin, comme Ian Pool, Gregg Segal, Martin Beck ou Juan Pablo Echeverri se chargent de dégonfler la baudruche une bonne fois pour toutes en confrontant les superhéros aux trivialités du quotidien : Superman récure les toilettes, Wonder Woman descend les poubelles, Flash s’immortalise au Photomaton du coin et Batman finit sa nuit seul avec un bagel pour tout viatique. Ce processus de désacralisation du superhéros va de pair avec un processus de mythologisation de monsieur et madame Tout-le-monde. Si David Bowie chante « We can be heroes, just for one day » depuis les années 70 , une artiste comme Dulce Pinzón clame, elle, « We are ­heroes everyday ! » Basée à New York, cette photographe mexicaine a transformé en super­héros les immigrés latino-américains dont le salaire, souvent misérable, sert à nourrir leur famille restée au pays. Chaque photographie de sa série The Real Stories of the Superheroes est accompagnée d’une légende où figurent le nom du travailleur, sa ville de naissance, sa profession et la somme qu’il envoie régulièrement aux siens. « Après le 11 septembre 2001, raconte l’artiste, j’ai constaté que les médias rendaient hommage à tous ceux qui participaient à la reconstruction de New York, mais oubliaient ceux qui sont toujours dans l’ombre, à savoir les immigrants. J’ai voulu rendre hommage à ces gens qui sont, selon moi, des superhéros dénués de superpouvoirs, mais armés de tout leur courage et de toute leur volonté dans une société qui les ignore. »

Les superhéros de Virginie Barré sont superadipeux, à l’image d’un tiers des américains… Ici, « Fat Bat » (mannequin en résine, 180 x 450 x 100 cm, 2005).
Les superhéros de Virginie Barré sont superadipeux, à l’image d’un tiers des américains… Ici, « Fat Bat » (mannequin en résine, 180 x 450 x 100 cm, 2005). kleinefenn@ifrance.com
« Batgirl », de Nicolas Silberfaden (2011, 30×40 inches)
« Batgirl », de Nicolas Silberfaden (2011, 30×40 inches) Nicolas Silberfaden
Les superhéros ordinaires selon Dulce Pinzón : des immigrés latino-américains dont une partie du misérable salaire est envoyé à la famille restée au pays.
Les superhéros ordinaires selon Dulce Pinzón : des immigrés latino-américains dont une partie du misérable salaire est envoyé à la famille restée au pays. Dulce Pinzón
Les superhéros ordinaires selon Dulce Pinzón : des immigrés latino-américains dont une partie du misérable salaire est envoyé à la famille restée au pays.
Les superhéros ordinaires selon Dulce Pinzón : des immigrés latino-américains dont une partie du misérable salaire est envoyé à la famille restée au pays. Dulce Pinzón

Miroirs grossissants

Nés dans les pages des comics, popularisés à l’échelle planétaire par le cinéma hollywoodien, les superhéros font partie du mythe ­américain. Mais à mesure que le pouvoir de l’Amérique s’effrite, le rêve se disloque. Pour sa série Impersonators, le photographe Nicolas Silberfaden, basé à Los Angeles, a contacté des intermittents qui se déguisent en superhéros pour égayer, à vil prix, des fêtes privées ou des centres commerciaux. Les superhéros ont toujours été des produits de l’entertainment américain, mais les coulisses de l’exploit sont rudes : les sosies photographiés par ­Nicolas Silberfaden sont au bout du rouleau. Nul doute que la mise en berne du superhéros par les artistes est une façon de mettre en question l’hégémonie du modèle américain, et plus largement de pointer la crise mondiale. L’œuvre géante que Mojoko et Eric Foenander ont ­installée devant le nouveau Singapore Art ­Museum est éloquente à cet égard. Il s’agit d’un Superman de 3 mètres de haut, qui mollit et fond comme glace au soleil. Le nom de cette œuvre déliquescente ? No One Can Save Us Now (personne ne peut nous sauver maintenant). Le constat est désenchanté, mais pas encore ­désespéré puisque Hollywood, qui a toujours été le baromètre du moral américain, veut encore y croire. Les Avengers, qui s’y mettent désormais à six pour sauver le monde, parviendront-ils à remettre la planète d’équerre ? Réponse dans le troisième volet de leurs péripéties, qui sortira en 2018.

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