Horlogerie
Les manufactures se pressent dans les paddocks de formule 1 depuis des décennies. Si cette discipline high-tech extrême aux retombées financières généreuses continue de faire rêver les horlogers, elle est de plus en plus pénalisée par un bilan carbone plombé. A l’heure de la prise de conscience écologique, l’industrie horlogère mise également sur des partenariats plus vertueux, comme la voile.
La météo est toujours au beau fixe entre l’horlogerie et les sports mécaniques, la formule 1 (F1) en tête. Les manufactures sont très nombreuses à accompagner les écuries les plus emblématiques. La grille de départ d’un Grand Prix prend souvent des airs de salon horloger, avec plusieurs grandes manufactures au coude-à-coude. Un véritable embouteillage !
Et cela ne date pas d’hier. Spécialiste des chronographes, Heuer – à l’époque pas encore mariée à TAG – est le premier à s’octroyer un petit espace sur la carrosserie d’une monoplace. La marque soutient la Scuderia Ferrari à partir de 1972. Rapidement, d’autres horlogers lui emboîtent les rouages. Tissot s’allie ainsi à l’écurie Ensign en 1977 et en 1978. Puis à Renault jusqu’au début des années 80, avec, au volant, les pilotes stars : Jacky Ickx, Clay Regazzoni, Jacques Laffite ou encore Jean-Pierre Jabouille. Longines débarque en 1980. La manufacture de Saint-Imier est sponsor de Ferrari tout au long des années 80. En parallèle, elle supporte l’équipe Renault à partir de 1981. Depuis lors, les maisons horlogères n’ont cessé de squatter la grille de départ.
Le cas Richard Mille
Aujourd’hui, les manufactures choisissent de sponsoriser les écuries les plus « bankables ». Ainsi, les cinq premières équipes du championnat 2019 – Mercedes-AMG Petronas Formula One Team, Scuderia Ferrari, Aston Martin Red Bull Racing, McLaren F1 Racing Team et Renault F1 Team – sont chacune liées à un horloger.
Comme au jeu des chaises musicales, Roger Dubuis, arrivé un peu tardivement, n’a pas trouvé d’équipe à son goût. Qu’à cela ne tienne, la marque disruptive et iconoclaste du groupe Richemont s’est associée à l’équipementier italien Pirelli, fournisseur exclusif des pneus du championnat de F1 depuis 2011.
Les partenariats s’inscrivent souvent dans la durée. A l’instar d’Hublot ou d’IWC, mariés depuis 2013 respectivement à Ferrari et à Mercedes. Bell & Ross, lié à Renault depuis 2016, a signé en 2019 pour trois années supplémentaires. Richard Mille, lui, constitue un cas à part. L’horloger contemporain, pilier de la F1, soutient trois écuries en parallèle. Un record !
On le croise aussi bien chez Haas Team que chez Alfa Romeo Racing ou encore McLaren F1 Team. Un vrai cumulard. Enfin, petit clin d’œil, le chronographe Ingenieur d’IWC se retrouve plongé au cœur de la course. Il est en effet imprimé directement sur les gants des pilotes de Mercedes-AMG Petronas, Lewis Hamilton et Valtteri Bottas.
Des mécaniques de précision. Formule 1 et horlogerie ont en commun la mécanique de précision ainsi que l’attrait pour la performance, l’innovation et la précision. Les horlogers engagés en F1 s’inspirent de la technique des monoplaces pour concevoir leurs montres les plus pointues. Ils se réapproprient le design, les matériaux, les formes des voitures de course et de leurs pièces.
Les montres reprennent notamment les nouveaux matériaux – titane, nanofibres de carbone, Alusic ou Phynox – employés en F1. Chaque année depuis 2016, Bell & Ross part d’un détail d’une monoplace Renault F1 Team pour imaginer sa collection de montres BR-RS. En 2017, c’est le volant, véritable tableau de bord des formules 1 actuelles, qui inspire la conception de la collection BR-RS17.
Sur ce garde-temps, le cadran reprend le code couleur utilisé sur les volants des monoplaces françaises. Sur cette série de montres, il est détourné pour identifier et hiérarchiser les différentes fonctions horlogères. Le porteur a l’impression d’arborer un petit bout de formule 1 au poignet.
Des retombées monstres
La F1 est un spectacle mécanique qui cartonne. Cette compétition a pris un virage en direction des pays émergents il y a une quinzaine d’années. Existent désormais un Grand Prix de Chine, bien entendu, mais également une course au Vietnam, en Azerbaïdjan ou à Bahreïn. Un calendrier bien appétissant pour les horlogers qui rêvent de conquérir ces contrées lointaines, qu’ils imaginent devenir leurs futurs eldorados commerciaux.
Une chose est sûre, la formule 1 n’a rien perdu de son attrait aux yeux du public. En 2019, les chiffres d’entrées sur les circuits ont frôlé les records historiques. Même succès à la télévision, la F1 étant l’un des événements sportifs le plus regardés, juste derrière la Coupe du monde de football et les jeux Olympiques. Globalement, un Grand Prix est suivi par plus de 100 millions de téléspectateurs dans le monde.
Au total, la discipline agrippe l’attention de presque 2 milliards d’individus à l’année, sans compter ceux – de plus en plus nombreux – qui suivent le championnat sur Internet. Il est tentant, pour les horlogers, d’essayer de s’accaparer une part de ce succès planétaire.
Départ d’Oris. Mais le vent se lève depuis quelques années sur la F1. L’image de ce championnat est devenue moins porteuse depuis qu’une vague verte a recouvert la société. Signe des temps, la marque Oris vient de jeter l’éponge. Il s’agissait pourtant d’un fidèle soutien de la discipline. L’horloger indépendant accompagnait l’écurie Williams depuis seize ans. Un bail !
La maison suisse se concentre désormais sur des partenariats plus écoresponsables, en luttant notamment contre l’invasion des mers par le plastique et pour la préservation du lac Baïkal, aux confins de la Sibérie… La maison horlogère s’engage ainsi sur une nouvelle voie incompatible avec la F1. Pour elle, les démarrages canon et les arrêts aux stands millimétrés, entre pneus brûlés et hydrocarbures calcinés, ne sont plus qu’un lointain souvenir.
Horlogerie et sports mécaniques, une mue nécessaire
La discipline reine des sports mécaniques tente une mue. Elle essaie de chasser les vapeurs d’essence qui l’entourent. Liberty Media, la grande instance de ce sport, a compris que son avenir dépendait de sa capacité à prendre un visage plus durable. Un important travail de réduction de l’impact environnemental s’est engagé depuis quelques d’années. Et des progrès ont déjà été enregistrés. Les moteurs hybrides à récupération d’énergie, lancés en 2014, représentent une première réponse.
Même si leur consommation en course tourne toujours autour de 45 l/100 km de carburant, ils se révèlent beaucoup moins voraces que les atmos ou les turbos d’autrefois. L’hydrogène devrait arriver vers 2025 et mettre tout le monde d’accord. Mais avant cela, les biocarburants vont remplir les réservoirs dès 2021. Par ailleurs, la F1 soigne aussi ses à-côtés. Les paddocks, sortes de villages éphémères dressés à chaque course, pourraient devenir pérennes sur la plupart des circuits.
Jusqu’à présent, ils étaient démontables et acheminés par la route de site en site, sous la forme d’une gigantesque caravane composée d’une centaine de camions. Au sein de cette miniville, les participants sont désormais priés de réduire la quantité de plastique (bouteilles notamment) utilisée. L’objectif est de tendre vers des week-ends de course au bilan carbone neutre à l’horizon 2025.
Il reste encore du pain sur la planche quand on sait qu’entre six et huit Boeing 747 Cargo sont utilisés entre chaque Grand Prix pour transporter le matériel des écuries dans le monde. C’est au prix de tous ces efforts que la formule 1 pourra éventuellement se défaire de son image de bouffeuse de pétrole.
Une mue nécessaire pour que ce championnat conserve les attentions de ses partenaires horlogers. Dans le cas contraire, les manufactures – pression sociétale aidant – pourraient bien finir par se détourner de leur sport automobile fétiche.
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