The Good Business
Depuis son QG de l’Est londonien, il pilote Ennismore, le groupe hôtelier qui monte. Elevé à Delhi, cet enfant de la haute bourgeoisie indienne figure déjà dans le top 10 des entrepreneurs britanniques les plus dynamiques. Rencontre.
Au quatrième étage d’un immeuble industriel, poussez la porte vitrée, et vous voilà dans l’ambiance. Au bar, ça discute autour d’un MacBook. Sofas de cuir capitonnés et parquet brut miment un lobby d’hôtel, dans un style loft new-yorkais qui a fait ses preuves. Plus loin, dans l’open space, la ruche attendue bourdonne. A droite sont regroupés les graphistes. A gauche, les designers. Sharan Pasricha, 37 ans, paraît le plus âgé de cette tribu.
Barbe de trois jours, jean et baskets, le patron du groupe hôtelier Ennismore a l’air de partir en week-end. « Je n’ai pas l’impression de travailler. Mon job consiste à rendre les gens heureux, ce qui encourage à ne pas se prendre trop au sérieux. Bien sûr qu’il y a des contraintes, liées à la rentabilité, à la numérisation, et que je ne compte pas mes heures, mais c’est très gratifiant. »
Qu’on ne s’y trompe pas : décontraction et story-telling étayent une success-story des plus sérieuses. En 2017, le Financial Times classait Ennismore, le groupe fondé et dirigé par Sharan Pasricha, au 10e rang des entreprises enregistrant la croissance la plus rapide. Les baskets et le style low-key cachent aussi un CV en or massif : sorti de la Doon School, le plus prestigieux des collèges indiens, qui a vu passer Anish Kapoor et Rajiv Gandhi, le jeune Sharan Pasricha s’est ensuite formé à la finance à la London Business School et décroche un MBA.
Sa spécialité : le capital-investissement. Il a alors 29 ans, la fibre entrepreneuriale, et vient d’épouser la fille de Sunil Bharti Mittal, un entrepreneur et philanthrope milliardaire : ce parfait alignement des planètes conduit à la naissance du groupe Ennismore en 2011. « Bien sûr, ça aide de bénéficier d’investissements familiaux, en tout cas au début. Mais cela n’empêche pas de devoir faire ses preuves », tempère l’entrepreneur.
The Hoxton, la trouvaille de Sharan Pasricha
L’aventure commence avec un premier hôtel déniché à Shoreditch qui s’appelle The Hoxton. Après lui avoir fait subir un lifting, Sharan Pasricha lui trouve un petit frère à Holborn. Une collection est née. Elle s’enrichit d’une adresse à Amsterdam, puis d’une autre à Paris qui fait le buzz en septembre 2017, avec trois anciens bâtiments classés du quartier du Sentier convertis en épicentre branché. Et le rythme s’accélère, avec trois ouvertures prévues aux Etats-Unis. « New York, Portland, Los Angeles… 2018 est une année très importante. Je réalise mon rêve américain. Ce sont 600 personnes qui vont rejoindre les rangs de la société aux Etats-Unis, s’ajoutant aux 1 500 salariés actuels. »
L’éventail s’étoffe aussi : le Gleneagles, resort golfique majestueux acquis en 2015 en Ecosse, dans les Highlands, a inauguré un segment haut de gamme ; un segment économique devrait s’ajouter en 2019 avec les premiers NoCo, hôtels design à prix juste. Et après les chambres, viennent les assiettes. Sharan Pasricha a d’abord confié la restauration à un ténor du secteur, Soho House, mais il le développe maintenant en son nom propre. Le groupe se teste sur un concept de restaurant indien chic, le Tandoor Chop House, ouvert à Londres près de Covent Garden.
Il prend aussi la main sur les lieux de dégustation au sein des hôtels. « On peut dire que nous avons grandi, en quelque sorte. La restauration est au cœur de l’expérience du client, nous n’allons plus la sous-traiter. Il y a une ou deux adresses dans chacun de nos établissements, et jusqu’à trois ou quatre dans ceux que nous ouvrons bientôt aux Etats-Unis. Ils connectent l’hôtel au quartier, favorisent les échanges, l’organisation d’événements corporate. »
Qu’y a-t-il de vraiment neuf sous le soleil de la City ? Surfant sur la tendance de l’hôtel expérientiel où dormir n’est que l’une des facettes du séjour, les Hoxton constituent-ils simplement une variation sur le thème de l’hôtel cool-chic-sans chichis, dans la lignée des Ace, Standard et autres Soho Hotels ? Interrogé sur le sujet de ses illustres précurseurs, Sharan Pasricha botte en touche et met l’accent sur les designers qui ont inspiré les projets de la maison.
Le design pensé en interne
Ces partitions sont surtout signées par des bureaux de design locaux dynamiques, comme Nicemakers à Amsterdam, Humbert & Poyet à Paris, et quelques grosses pointures, comme le bureau David Collins pour le Gleneagles. Mais l’essentiel du travail de création s’effectue dans l’open space d’Ennismore.
Quatorze designers et architectes d’intérieur y conçoivent presque tous les éléments des décors, des peintures jusqu’aux appliques. La conception des signalétiques (panneaux, documents, lettrages) revient aux douze designers graphiques. Sur les murs s’étalent, comme dans une salle de rédaction, les visuels des ambiances des nouveaux projets.
« Quel est le secret de la réussite ? Hum… Si je vous le révélais, je devrais ensuite vous tuer, rit Sharan Pasricha. Sérieusement, je dirais qu’il ne faut pas en faire trop. Que ce soit chaleureux et accueillant, mais jamais parfait ni trop ordonné. Il s’agit aussi de rassembler plusieurs types de tribus pour que tout le monde se sente comme chez soi. » Il parle aussi d’éviter l’effet de mode qui, forcément, se démode, de viser l’intemporel, le bon rapport qualité-prix et le confort dans les plus petits détails.
Le chiffre d’affaires ? « Il bouge tout le temps, difficile à dire. » Difficile aussi d’en savoir davantage sur la rentabilité du groupe, mais le type de stratégie, basé sur l’acquisition d’immeubles ou d’hôtels dans des quartiers en devenir, puis upgradés en hôtels branchés, laisse deviner les ambitions financières. Et en somme, de quoi est-il le plus fier ? La main sur la poignée de la porte, il hésite, puis ose la confession. Le meilleur, c’est l’équipe.
« Comme moi, tous ici viennent d’horizons divers, et aucun de l’hôtellerie. On a construit une vraie culture basée sur l’ouverture, le sens du soin à autrui, une structure qui réduit la hiérarchie au minimum. Et une parité hommes-femmes presque égale aux postes de direction. »
Confronté au problème endémique du turnover et du manque de personnel qui affecte tout le secteur de l’hôtellerie, le groupe favorise aussi la mobilité interne. « Plusieurs cadres sup de l’open space ont commencé au service blanchisserie de l’un de nos hôtels », assure Sharan Pasricha. Ils partagent les mêmes origines, européennes, rarement britanniques – et la même incertitude quant à l’avenir après le Brexit.
Dans le lobby de l’hôtel The Hoxton Holborn, la soirée commence doucement. L’entrée, flanquée de grosses malles empilées, ne désemplit pas. Les créatifs à catogan finissent leur Skype, les gens du quartier arrivent pour l’apéro pendant que le DJ s’installe. La réception de l’hôtel est tout au fond. On vous y accueille par votre prénom, en vous remettant un sac en papier à accrocher à la poignée de la porte de votre chambre pour recevoir un petit déjeuner express compris dans le prix de la nuit.
Le wi-fi est direct, sans mot de passe. Dans la chambre, on trouve un petit mot personnalisé, et une bouteille de prosecco dans le frigo. Le grand miroir rond agrandit la pièce, petite mais chaleureuse, dotée d’un lit ultraconfortable. Quelques éléments de déco – la tête de lit en cuir et bois, le guéridon en laiton – donnent l’indispensable touch of class. Une vraie réussite.
Les adresses hôtelières d'Ennismore
• Amsterdam (Ringvaart).
• Londres (Shoreditch et Holborn).
• Paris (quartier du Sentier).
• Ecosse (Gleneagles).
Ouvertures prévues en 2018 :
• New York (Williamsburg).
• Portland (Old Town Chinatown).
• Los Angeles (Downtown).
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