The Good Life : Sandro a dix ans… L’âge de raison ?
Ilan Chetrite : Ce n’est pas à moi de le dire, plutôt à ceux qui achètent et portent nos collections. Mais bien sûr, au fil des années, qu’on le veuille ou non, on gagne en maturité. On connaît de mieux en mieux son audience, on se connaît soi-même davantage et, par conséquent, on est plus en phase avec les hommes qui aiment la marque et nos vêtements.
TGL : Qui est cet homme Sandro ?
I. C. : La marque est ouverte à tous les hommes, mais notre coeur de cible est jeune : entre 25 et 35 ans. Ce sont des Parisiens. Nous sommes une marque française, parisienne, à visée internationale.
TGL : En dix ans, les hommes ont-ils changé ?
I. C. : Dix ans, c’est trop peu pour le dire. Il faudrait un recul de cinquante ans… En revanche, la silhouette, elle, a changé. Les hommes sont moins qu’avant dans le look, plus dans le confort. Ils veulent se sentir à l’aise dans ce qu’ils portent. Les lignes sont plus amples, les matières moins raides. Il y a chez les jeunes une aspiration à respirer dans leurs vêtements. Je vois mon petit frère, il parle oversize toute la journée. Notre travail consiste à faire la synthèse entre ces deux générations : les quarantenaires, qui ont du mal à se défaire de leurs jeans serrés, et les plus jeunes.
TGL : C’est aussi un peu vous ?
I. C. : Il y a une part de moi, mais je ne suis pas assez égoïste pour n’y projeter que ma personne. Cet homme doit être multiple et avoir une personnalité diverse. L’identité Sandro est très bien cadrée quant au façonnage, à la fabrication, à la distribution, mais reste assez difficile à définir quant à l’esprit. L’inspiration de chaque collection part d’une sensation, d’une émotion. On la développe, on la travaille. C’est un processus naturel, souple.
TGL : C’est un travail d’équipe ?
I. C. : Bien sûr. Je mets dans chaque collection toute mon énergie, toute ma sensibilité, et ma capacité à travailler avec les autres. Je ne pourrais rien faire seul, l’équipe est indispensable au processus créatif. Il y a beaucoup de réminiscences de mon adolescence, de références aux années 90. J’ai grandi entouré d’hommes qui aimaient s’habiller, et je pense que l’on retrouve les images que j’ai gardées d’eux dans les collections. Et peut-être aussi des femmes. On peut retrouver chez Sandro Homme leur allure, leur dégaine. Cette ligne, c’est le déversoir de mes souvenirs d’enfance.
TGL : La femme inspire l’homme ?
I. C. : Non, il y a aussi mon père. Il a toujours été là. Il a créé la maison avec ma mère. J’aime le concept de la famille, j’adore même. Bien sûr, il y a parfois des accrocs, mais, pour ma part, j’en tire plus d’enrichissements que de frustrations. Sinon, nous travaillons séparément. Chaque sexe a son studio. Nous avons de grandes divergences dans nos approches créatives. Sandro Homme est plus jeune, il a moins d’expérience. Il est plus graphique, plus linéaire dans ses lignes. La femme Sandro assume une part d’androgynie. L’homme aussi. Aujourd’hui, une part de féminité est nécessaire dans une jolie silhouette masculine.
TGL : Y a-t-il des liens entre les deux lignes ?
I. C. : J’applique dans la conception des modèles les recettes du succès chez la femme, elles m’ont facilité l’entrée sur le marché. Pour moi, Sandro, c’est un peu un grand frère. La marque était là avant ma naissance. J’ai fait des études qui n’avaient rien à voir avec ce métier, mais on n’échappe pas à son destin. Je voulais participer à l’histoire, donner une autre vie à la femme, et j’avais besoin d’entreprendre. Je pensais qu’il y avait une opportunité commerciale. Quand je travaillais le dimanche dans la boutique historique du Marais, je voyais les hommes attendre pendant que leurs compagnes essayaient, achetaient. Pourquoi ne pas en profiter pour les habiller ? Je me suis alors astreint à apprendre.
TGL : Le jeune homme a rattrapé les femmes de la famille ?
I. C. : Il semblerait, mais je ne le vois pas ainsi, et je ne l’ai pas fait dans ce but. Je voulais apporter ma pierre au business familial et rétablir une injustice – que les hommes n’aient pas le droit à leur vestiaire chez nous. Je trouvais novateur de donner un homme à la femme. Cela pouvait apporter plus de splendeur à Sandro, en faire une marque globale. Il y avait aussi, sur le marché masculin, un écueil à combler en créant une mode de qualité mais abordable.
TGL : Sandro, c’est une dynastie en construction ?
I. C. : Pas du tout. Le mot me gêne. Ce serait par ailleurs prétentieux de le dire avant que cela se concrétise. Et puis, dans les dynasties, les membres sont rarement épanouis, ils se déchirent. Nous, notre langage familial, c’est le vêtement. Il est notre mode d’expression. Alors je dirais que nous sommes une dynastie de gens heureux. C’est cela notre héritage.
TGL : Si vous deviez tirer un bilan ?
I. C. : Tout est passé très vite. Je n’ai jamais eu l’impression de travailler. J’ai aujourd’hui le désir de savoir profiter de chaque instant et c’est cela que je veux insuffler dans ma mode, qu’elle soit un style de vie à l’image de certaines marques américaines. J’admire Ralph Lauren.
TGL : L’internationalisation, c’est un nouveau challenge ?
I. C. : Il me fait moins peur que l’ouverture de notre toute première boutique. Je me sens prêt à relever ce défi. Sandro Homme a les armes pour grandir et s’imposer à l’international.
TGL : Vous réussissez très bien en Asie, qu’est-ce qui séduit ces acheteurs de Sandro Homme ?
I. C. : Nous y avons un très bon accueil, mais nous ne nous sommes pas encore donné tous les moyens de nous imposer là-bas. Cela va venir. Les Asiatiques sont de plus en plus en phase avec les codes européens, ils sont sensibles à notre esprit parisien. C’est cela qui les séduit, et nous l’incarnons de plus en plus dans notre communication. L’incarnation fait vendre. On vend des images, une manière d’assembler les vêtements, de se tenir, d’être cool, détendu. L’homme ne doit pas montrer qu’il réfléchit à sa manière de s’habiller. Il doit avoir une pointe de nonchalance dans son allure. Cela étant, le point de départ de nos collections sera toujours Paris et les Parisiens.
TGL : Comment voyez-vous les dix ans qui s’annoncent ?
I. C. : Je ne veux pas me poser cette question, mais c’est sûr, accorder encore plus d’attention à la qualité de nos matières. Un tissu peut rendre beau.
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