L’odeur du papier journal et de l’encre d’imprimerie, le ronronnement des rotatives 24 heures/24, des milliers d’exemplaires de quotidiens et de magazines s’empilant au sortir des machines et prestement chargés dans une noria de camions… Il faut aller jusqu’à Roulers, petite ville située au cœur de la Flandre occidentale, à mi-chemin entre Anvers et Bruxelles, pour le voir. Direction le siège du Roularta Media Group et de la plus grande imprimerie offset de Belgique.
Et tout cela n’appartient pas au passé, mais bien au présent. A en croire les propos enthousiastes des dirigeants de Roularta, cette activité print serait même, combinée au numérique, le gage d’un avenir très prometteur pour peu que l’on sache faire preuve d’imagination.
Une nouvelle rotative à 12 millions d’euros
Pas d’inquiétude, donc, si l’on évoque, dans la brochure du rapport annuel 2018 du groupe belge, une « nuit d’épouvante » : ce n’est nullement en relation avec la terrible crise de mutation qui décime la presse papier. La formule sert à relater, avec humour, les centaines « de clients des régies nationales des magazines et des journaux régionaux venus se donner la chair de poule » lors de… la dernière « Halloween Party » organisée par Roularta Media !
Car, très loin de partager les cauchemars qui hantent les nuits de nombre de patrons de journaux papier, le président du conseil d’administration Rik De Nolf, qui a passé la barre de CEO à son gendre Xavier Bouckaert, 44 ans, affiche un optimisme presque insolent.
« Nous croyons toujours au papier et, pour cela, nous modernisons notre imprimerie, qui travaille déjà à 100 % de sa capacité. On vient ainsi de commander une nouvelle rotative allemande d’une valeur de 12 millions d’euros qui va prochainement être installée ici, dans notre usine. Laquelle fonctionne en continu, jour et nuit, avec quatre équipes d’ouvriers. »
Roularta diversifie ses activités
Il faut dire que, outre la trentaine de publications qu’il édite, le groupe Roularta imprime pour des clients extérieurs, parmi lesquels une dizaine de titres prestigieux en France, dont, notamment, Côté Sud, Classica, Ideat, Dim Dam Dom et The Good Life, que vous lisez aujourd’hui.
Le challenge pour Roularta n’est donc pas de trouver de nouveaux clients pour son imprimerie, mais plutôt de nouveaux annonceurs pour ses titres. Afin de compenser la baisse du chiffre d’affaires publicitaire, le groupe a créé une soixantaine d’événements sous sa bannière – tables rondes, croisières avec conférences à bord…
« Nous avons, par exemple, avec le journal Trends un événement économique premium – le “Manager de l’année” –, où les participants paient pour réserver des tables. Tout ce qui compte dans le business est là, il y a un discours du Premier ministre, et les entrepreneurs sont ravis de se retrouver entre eux à cette occasion », explique Xavier Bouckaert.
Autre initiative heureuse prise en 2019, si l’on en juge par la croissance des abonnements, le « New Deal » : il permet à un lecteur abonné, par exemple, au Vif/L’Express, de bénéficier, pour le même prix, de l’accès numérique aux titres Trends-Tendances, Sport/Foot Magazine et à leurs versions néerlandophones Knack, Trends et Sport/Voetbalmagazine. Ainsi qu’à tous les sites web du groupe et à ses archives électroniques des vingt dernières années.
La croissance retrouvée de Roularta
Car l’épopée industrielle de Roularta ne date pas d’hier ! « A l’âge de 9 ou 10 ans, ma sœur et moi aidions à glisser, à l’imprimerie de mon père les dépliants dans les journaux gratuits. Il fallait en faire mille à l’heure », se souvient le président du conseil d’administration, aujourd’hui septuagénaire.
Une expérience moins heureuse a cependant assombri un temps cette success-story commencée par les parents de Rik De Nolf au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Celle vécue, en 2006, lors de l’acquisition par Roularta du groupe Express/Expansion – il sera revendu à Patrick Drahi en 2015, qui l’intégrera au groupe Altice avant de le démanteler.
« Une catastrophe due à l’effondrement du chiffre d’affaires publicitaire et à un marché de la presse très concurrentiel comparé à celui de la Belgique, raconte Rik De Nolf. Imaginez qu’une page publicitaire vaut moins en France qu’en Belgique, et c’est pareil pour le prix de vente des magazines, plus élevé ici ! »
Un patron heureux et serein
Xavier Bouckaert ajoute : « Le problème, c’est qu’il est très difficile de restructurer le secteur de la presse sur le marché français. Surtout si l’on compare avec ce qu’il est possible de faire sur notre marché national ou sur celui des Pays-Bas. Or, le secteur des médias évolue tellement vite que si l’on n’a pas assez de flexibilité pour s’adapter, c’est fatal ! »
Fort de cette flexibilité retrouvée en Belgique et qui permet à quelque 1 300 collaborateurs de travailler dans une ambiance quasi familiale – « One team, one family » proclame le rapport annuel de Roularta – le groupe, aujourd’hui totalement désendetté vis-à-vis des banques, affiche pour l’exercice 2018 une croissance de 8,6 % du chiffre d’affaires (277 millions d’euros).
« Nous avons la nette impression que nous sommes sur la bonne voie », conclut, confiant, Rik De Nolf. Nous le souhaitons à ce patron de presse atypique et affable, l’un des très rares de sa corporation stressée à se dire heureux et serein.