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Tout les oppose, sauf la langue, bien sûr. Si proches pourtant – distantes de moins de 80 km –, Rotterdam et Amsterdam cultivent une différence rare en Europe.
La rivalité entre Rotterdam et Amsterdam est plus exacerbée que celle entre Lyon et Saint‑Etienne, par exemple, la bourgeoise et l’industrieuse. Comme en France, leurs clubs de foot incarnent symboliquement cette rivalité : l’Ajax Amsterdam, mondialement réputé pour son jeu élégant, dans son stade Johan Cruyff Arena ultramoderne ; et le Feyenoord Rotterdam, au style de jeu plus rugueux, dans son antique enceinte De Kuip (« la bassine »), mais champion des Pays-Bas en 2017 pour la première fois depuis vingt ans, un signe de son émancipation.
Car à population comparable, Rotterdam souffre d’un complexe d’infériorité. Ville portuaire et populaire, sans passé architectural du fait de sa destruction quasi totale lors de la Seconde Guerre mondiale, elle a longtemps regardé avec envie la capitale des Pays‑Bas, sa vieille ville, avec ses canaux, ses musées et ses restaurants, souvent plébiscitée par les classements touristiques internationaux.
Economiquement, la comparaison n’est pas non plus à son avantage, en dépit de l’activité décisive du port : centre financier du pays avec la Bourse la plus ancienne du monde, Amsterdam accueille de nombreuses multinationales, pas seulement néerlandaise comme Philips ou ING.
Les sièges européens de stars de la nouvelle économie y ont été implantés : Netflix, Uber, Tesla… Bien qu’il soit la propriété du groupe américain Priceline depuis 2005, le géant de réservation en ligne Booking est né aux Pays-Bas et a grandi à Amsterdam, symbole d’une métropole qui a fait très tôt le pari des nouvelles technologies.
C’est cette trajectoire que tente de raccrocher Rotterdam en investissant fortement dans l’innovation. D’ailleurs, le club de Feyenoord a dévoilé les plans de son nouveau stade au design sophistiqué, conçu par la prestigieuse agence d’architecture OMA. Plus grand que la Johan Cruyff Arena, il sera opérationnel en 2023. Et cette fois, ce sont les supporteurs de l’Ajax qui pourront le regarder avec envie.
Chiffres clés
• Population : deuxième ville des Pays‑Bas après Amsterdam, Rotterdam compte 645 000 habitants. Son agglomération dépasse, en population, celle de sa rivale, avec 1,42 million d’habitants d’une grande diversité – on dénombre 167 nationalités différentes. Pour autant, les deux métropoles sont réunies dans la même conurbation du Randstad, une vaste zone très développée de la façade ouest du pays qui englobe également la capitale administrative et politique, La Haye, ou encore la quatrième ville du pays, Utrecht. Au cœur de ce territoire, on trouve l’aéroport international de Schiphol, siège de la compagnie KLM, intégrée au groupe Air France-KLM.
• Economie : la métropole de Rotterdam est dominée par l’activité du port, le premier en Europe et le dixième dans le monde. Selon l’université Erasme, il pèserait pour 45 Mds € dans le PIB des Pays-Bas, soit plus de 6 % de toute l’économie du pays. Cette dépendance se traduit aussi dans les chiffres de l’emploi : 385 000 personnes sont directement ou indirectement liées au port, soit 5 % de l’ensemble de la population active néerlandaise.
• Le taux de chômage : très faible à Rotterdam comme au niveau national, il s’établit à 3,8 % fin 2018. Cette situation de quasi‑plein‑emploi se traduit tout de même par une mutation du secteur industriel (avec l’automatisation des tâches du port, par exemple) vers le secteur des services, notamment de la nouvelle économie.
• Investissements : pour diversifier son économie, la ville a créé, en 2015, l’organisme Rotterdam Partners pour attirer les investissements internationaux. Cela représentait 199 M € en 2018, en premier lieu dans les technologies de l’information (pour 31 %), plutôt que dans le secteur traditionnel des transports et de la logistique (21 %). De même, l’activité de congrès est devenue une priorité : 24 nouveaux salons ont été lancés en 2018, et 31 en 2017. Les revenus dégagés par ce seul secteur d’activité ont augmenté de 37 % sur cette période.
• Tourisme : c’est un axe de diversification de l’économie de Rotterdam : le nombre de visiteurs a progressé de 15 % en 2018, à 1,3 million. Ils viennent majoritairement (53 %) des Pays-Bas, les Français ne représentant encore que 3 % des touristes. La même année, le nombre de nuits d’hôtel s’est établi à 2,128 millions (+ 17 %). Conséquence : la part des emplois liés au tourisme et aux loisirs augmente et représente 6,4 % du marché du travail.
L’épopée de la Holland America Line
On pense toujours que les Pilgrim Fathers, dissidents européens partis créer une « nouvelle Jérusalem », avaient embarqué de Southampton. Erreur. C’est de Rotterdam que les premiers Pères pèlerins commencèrent leur périple. Ils furent une trentaine à poser leurs malles sur le Speedwell, le 22 juillet 1620, et à rejoindre, quatre jours plus tard, d’autres séparatistes sur le mythique Mayflower pour voguer vers la terre vierge dont ils allaient faire les Etats‑Unis d’Amérique.
Sans le savoir, ils furent les fondateurs des voyages de passagers de Rotterdam vers l’Amérique. La traversée durait alors soixante‑dix jours et un nombre croissant d’émigrants choisissaient de fuir l’Europe via la Hollande en espérant trouver une vie meilleure. Les aventuriers partaient alors du port rotterdamois de Delfshaven – le seul qui ne sera pas bombardé lors de la Seconde Guerre mondiale. Avec ses maisons de brique rouge, ses petits ponts et son moulin, cette carte postale détonne aujourd’hui dans le paysage urbain de la ville moderne.
Deux siècles après les premiers départs, la compagnie de navires à vapeur Holland America Lijn (HAL) était créée, précisément en 1873. Son administration fut implantée de l’autre côté de la Nouvelle Meuse. Vingt-cinq ans après sa naissance, la compagnie possédait une flotte de 6 cargos et navires à passagers, notamment exploités entre la Hollande et les Indes néerlandaises.
Mais HAL fut surtout l’un des grands vecteurs de l’émigration européenne vers les Etats-Unis, permettant à 850 000 personnes de s’établir sur le sol américain. Le navire Nieuw Amsterdam fut, le 8 novembre 1971, le dernier à partir de la jetée devant le siège de la HAL, transféré à New York.
Le bâtiment rotterdamois est devenu en 1993 l’Hotel New York, magnifique bâtiment aux ornements Art nouveau où les hôtes plongent dans l’atmosphère des grands départs. La même société propose aussi de dormir sur le SS Rotterdam, un paquebot vintage classé monument historique. Rachetée en 1989 par le groupe américain Carnival Corporation, HAL travaille aujourd’hui exclusivement sur le marché de la croisière, exploitant 15 paquebots de luxe, sur lesquels les conditions de vie ne sont plus tout à fait celles des premiers pèlerins.
Quant au quartier Kop van Zuid – littéralement la « tête du sud » –, où elle a longtemps régné, il est devenu l’un des plus vivants de la ville. Hôtels et restaurants branchés ont investi les anciens entrepôts de thé ou de sucre. La Fenix Food Factory, grouillant marché couvert et vaste food court, accueillera bientôt sur son toit un musée qui retracera l’histoire de cette épopée, signé de l’architecte chinois Ma Yansong.
Rotterdam, le food hub de l’Europe
Pour marcher sur les quais du port de Rotterdam, casque et chaussures de chantier sont obligatoires. Une protection de principe lorsqu’on passe sous les gigantesques robots qui charrient des conteneurs – continuellement et à toute allure –, sur la route de 42 km qui sillonne le port pour buter sur la mer du Nord.
La vitesse est ici le maître-mot. Surtout lorsqu’il s’agit de transborder les produits agricoles. Rotterdam s’accroche à sa position de deuxième exportateur mondial pour ces denrées, derrière les Etats‑Unis. L’an dernier, les exportations néerlandaises de fruits, légumes, fleurs et poissons ont porté sur quelque 90,3 Mds € pour 16 millions de tonnes de marchandises.
Des tonnes de citrons, de bananes et de raisin arrivent d’Afrique du Sud, du Brésil et du Costa Rica, tandis qu’oignons, porc, poulet, fromages et harengs sont expédiés vers toute l’Europe. Sans compter la Chine, premier pays acheteur – et particulièrement addict aux frites surgelées.
La croissance de la demande alimentaire mondiale est une aubaine pour Rotterdam, bien décidée à renforcer ses positions. Un nouveau pôle consacré aux transbordements, portant sur un investissement de 60 M €, sera opérationnel fin 2020 dans la nouvelle zone portuaire, Maasvlakte 2, bâtie en pleine mer.
Il disposera des équipements les plus performants : passage en douane, chaîne du froid, traçabilité, conditionnement et réexpéditions. Face à ce déchaînement industriel, quelques initiatives commencent à émerger pour un fonctionnement plus durable.
Le port néerlandais s’est engagé à être le meilleur élève en 2030. Des récompenses sont accordées aux bateaux fonctionnant au gaz naturel liquéfié, ou affichant un bon bilan carbone. Et si Singapour et Gand le devancent largement sur ce chapitre, Rotterdam commence à installer des panneaux solaires.
Enfin, le ferroutage se met doucement en place. CoolRail a, par exemple, inauguré une liaison ferroviaire directe, spécialement conçue pour les denrées alimentaires, avec des trains à température contrôlée, trois fois par semaine, entre Valence, en Espagne, et Rotterdam. Si la durée d’acheminement est identique, la réduction de CO2 par rapport au transport par camion est de 70 à 90 %. Un bon début.
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