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Treize ans d’âge, petit calibre, mais très culotté ! RJ‑Romain Jerome se taille une petite place dans le monde horloger avec de provocantes montres de luxe qui font tourbillonner un imaginaire à la Jules Verne. Manuel Emch, son charismatique président, nous livre la recette de ce succès.
Les fans des montres RJ-Romain Jerome n’ont pas l’œil sur l’aiguille, mais sur le morceau de légende incorporé à l’objet : une authentique poussière de Lune, un fragment du mur de Berlin ou de la coque du Titanic ! Ils se laissent aussi embarquer avec délice jusqu’à des confins technologiques déroutants qui incorporent des ressorts tirés de voitures téléguidées, de la rouille, du cuivre ou du téflon. Lors de son entrée en 2004 dans l’univers horloger, ce Petit Poucet n’impressionnait pourtant pas grand monde sur ce territoire saturé de marques adossées à des groupes prestigieux.
Conjonction de planètes
Portée par un discret homme d’affaires du Moyen-Orient, lui-même suivi par un groupe d’actionnaires téméraires, la petite maison vivote. Mais, en 2006, bingo : elle invente le concept fou des « DNA of famous legends ». Ce projet consiste à incorporer des reliques des grandes aventures de l’histoire récente dans les produits. Ainsi du Titanic, dont nul vestige ne peut pourtant être acheté, protection de l’Unesco oblige. L’un des actionnaires convainc le constructeur du transatlantique, toujours en activité, d’en céder un élément métallique. En 2008, ce métal est fondu dans la Titanic-DNA.
RJ-Romain Jerome ne décolle toutefois toujours pas ; jusqu’à ce que les planètes s’alignent enfin, en janvier 2010. Manuel Emch quitte Jaquet Droz, maison qu’il a tirée du fond de la mine en faisant bondir, en dix ans, le chiffre d’affaires annuel de 200 000 euros à 35 millions d’euros ! Ce Suisse-Allemand maîtrise le business – c’est un ancien élève d’HEC Lausanne –, mais il est aussi un designer industriel diplômé avec un goût marqué pour l’art contemporain. Précédé de sa réputation, il remodèle RJ-Romain Jerome où ne subsistent que deux collaborateurs et lance la collection Moon–DNA, avec des garde-temps qui accueillent de la poussière de Lune et des fragments issus des vaisseaux Apollo 11, Soyouz et de la station spatiale internationale (ISS).
« On a enlevé des composants aux enchères pour 1 million d’euros, précise Manuel Emch. L’environnement actuel oblige les sociétés indépendantes à se démarquer, à prendre des risques et même à se montrer beaucoup plus radicales dans leur approche. » Le style de la marque est d’autant plus dépendant de l’inspiration de ce patron de 43 ans que c’est lui-même qui conçoit, en partie, ces montres, aussi architecturales que théâtrales et très masculines.
Sensible à l’émulation, Manuel Emch invite par ailleurs des street-artists ou des tatoueurs à collaborer : « Avec près de 150 points de vente dans 40 pays, on construit peu à peu notre image auprès d’un public jeune, peu attiré par l’horlogerie classique. Y contribuent aussi des icônes comme Elton John, qui s’est offert un modèle de la collection Skull, signé de l’artiste John Armleder. » Les aficionados trouvent leur RJ dans un réseau de boutiques pointues, parmi lesquelles Colette, à Paris, ou Luisaviaroma, à Florence. « Nous pensons ouvrir, en 2016, une galerie-laboratoire à Genève afin d’y établir un contact direct avec notre clientèle. RJ a une identité singulière et son concept de boutique doit sortir des standards connus. » Jusqu’ici, 2 000 montres sont assemblées chaque année dans l’atelier de Genève à partir de mouvements fournis par La Joux-Perret, Agenhor et Concepto.
Caprices exclusifs pour clients fantaisistes
Manuel Emch évoque aussi le récent développement du sur-mesure grâce aux réseaux sociaux et « notamment Instagram, où les clients aiment afficher leurs objets fétiches. Cette année, nous avons réalisé une centaine de montres comprenant des modules ajoutés au mouvement. Elles ne pèsent que 4 % environ de notre activité, mais bien plus lourd en valeur. Ces complications sont vendues dix fois plus cher qu’un produit mécanique classique et la demande a doublé en deux ans ! »
Quatre à cinq nouveautés surgissent chaque année et, parmi elles, il y a un quelques semaines, une montre inspirée du jeu Pokémon. Manuel Emch est également très fier du modèle Berlin-DNA, qui célèbre la chute du mur. « L’East Side Gallery, qui est chargée de la sauvegarde des vestiges, nous a offert un morceau du mur. Nous lui reversons une partie de nos gains pour aider à sa préservation. Le premier cadran en béton du monde que nous avons pu créer a demandé quatre ans de travail ! » RJ-Romain Jerome dépense de 5 à 10 % de son chiffre d’affaires en R&D pour valoriser son image. Quitte à faire chou blanc avec certains produits : la Berlin-DNA ne rapporte pas un centime ! La légende est à ce prix.
Dates clés
- 2004 : création de RJ-Romain Jerome.
- 2007 : lancement de la montre Titanic-DNA.
- 2010 : lancement de la Moon Orbiter-DNA. Manuel Emch devient le patron de la marque.
- 2015 : quinze employés, dont deux à la création, un constructeur et trois horlogers. Un chiffre d’affaires estimé à 15 M € pour 140 points de vente dans le monde. Depuis 2006, 40 modèles ont été conçus.