The Good Business
Entre quartiers au clinquant parfaitement assumé et favelas volontairement oubliées, Rio fait le grand écart. Certains promoteurs se sont jetés à corps perdu dans ce qui était devenu, entre 2008 et 2013, une véritable bulle. Las, le marché semble être entré, depuis, dans une étonnante léthargie, et l’effet JO n’être qu’un piètre placebo.
La poussière du titanesque chantier que les ouvriers s’efforcent frénétiquement de terminer avant le 5 août (date de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Rio), recouvre le faubourg de Barra da Tijuca, situé… à 30 kilomètres du centre-ville ! On y soigne les finitions de quatre enceintes olympiques de 10 000 à 16 000 places, du stade aquatique, du vélodrome, du centre de tennis, du golf… mais aussi du village des athlètes, composé de 31 immeubles, de dizaines d’élégantes stations pour les trois nouvelles lignes de bus rapides à voie réservée et d’un réseau de voies express reliées par des entrelacs d’échangeurs. Ce à quoi il faut ajouter la construction d’une centaine de gratte-ciel hauts de 20 à 25 étages à usage de bureaux et, surtout, d’habitations. Le choix de cette riche banlieue carioca comme site principal des jeux Olympiques a été critiqué, car ce sont des habitants aisés qui vont profiter des nouvelles infrastructures. Au premier rang desquelles la prolongation de la ligne de métro, dont le terminus actuel est situé au bout de Copacabana. L’extension desservira les deux quartiers les plus huppés de Rio, Ipanema et Leblon, pour aboutir ensuite à Barra da Tijuca.
Cette immense agglomération, bâtie derrière une plage de 17 kilomètres de sable blanc bordée d’immeubles de front de mer aux deux extrémités (le reste donnant sur une lagune marécageuse), est le repaire de la nouvelle classe « media alta » : des entrepreneurs opérant dans les services (supermarchés, cliniques, écoles privées, hôtels…), de gros commerçants et des professions libérales. Barra da Tijuca a grandi à une vitesse record, passant de 50 000 habitants dans les années 80 à plus de 400 000 aujourd’hui. Mise à la mode par les stars du football Romário, Ronaldo et Ronaldinho, elle ressemble davantage à Miami ou à Los Angeles qu’aux autres quartiers riches de Rio. On y vit derrière de hauts murs, dans des enclaves protégées par des postes de garde. Chacun de ces miniquartiers privés comprend soit des centaines de villas (de 700 à 1 500 m2 avec garage pour cinq voitures), soit une résidence composée d’une dizaine d’immeubles entourés de pelouses, de terrains de tennis, de jardins d’enfants et de piscines. Leur nom – Vogue Square, Santa Monica Gardens, America’s Park, Sundance… – témoigne des aspirations de la néojet-set brésilienne. A Barra da Tijuca, nulle trace des trottoirs en mosaïque noir et blanc qui ornent tous les autres quartiers de Rio. On y fait ses courses en voiture, dans une trentaine de gigantesques centres commerciaux, dont le plus grand d’Amérique latine : le New York City Center, qui héberge plus de 700 magasins, 30 cliniques spécialisées, un cinéma, des restaurants en pagaille, une immense salle de sport, sans compter un business center de onze immeubles.
Le cas du Parc olympique
Pour le maire de Rio, Eduardo Paes, le choix de Barra da Tijuca comme principal site olympique avait des avantages. D’abord, l’espace. La plaine de Barra couvrant plus de 500 km2, il était plus facile de bâtir sur des terrains vagues que de construire dans les faubourgs situés au nord du stade Maracaña, où vivent 3 millions de citadins pauvres dont la vie quotidienne pâtit d’un manque criant d’infrastructures. « Les jeux Olympiques n’apporteront aucun progrès social, et la volonté d’étendre l’urbanisation de Rio sur le front de mer est avant tout destinée à valoriser l’immobilier », regrette Tamara Tania Cohen Egler, de l’Institut de recherche et de planification urbaine et régionale (Ippur). Mais l’attrait de la spéculation offrait la possibilité de financer plus de la moitié des infrastructures par le secteur privé. Carlos Fernando de Carvalho, un milliardaire qui possède d’immenses terrains à Barra da Tijuca, a ainsi investi près de 1 milliard de dollars en partenariat avec l’organisation Odebrecht. Il a pris en charge le village des athlètes – baptisé Ilha Pura et pointé du doigt par la justice brésilienne en raison des conditions de travail « esclavagistes » des ouvriers – avec la possibilité de le transformer ensuite en une résidence de 3 600 appartements donnant sur des jardins tropicaux et sur un lac artificiel destiné à « l’élite qui a bon goût » – comprendre « celle qui peut payer 400 000 euros pour se loger ». Carlos Fernando de Carvalho a aussi investi dans d’autres infrastructures olympiques, comme le centre des médias. Des mises qu’il espère récupérer en bâtissant d’autres gratte-ciel de luxe. Quant au promoteur italo-brésilien Pasquale Mauro, il a financé le golf olympique, au bord duquel il vendra ensuite des immeubles en verre et en marbre rassemblant 140 immenses appartements. Une société à laquelle il est lié a également obtenu le droit de bâtir 23 immeubles d’habitations. Mais il y a un problème. Lorsque les promoteurs ont accepté le deal, le marché immobilier de Barra da Tijuca était en pleine santé : de 2008 à 2013, les prix des terrains et des appartements y ont plus que triplé. Mais depuis que la croissance brésilienne a calé, avant de laisser place à une forte récession, la demande s’est évaporée. Ainsi, sur les 3 600 appartements d’Ilha Pura, moins de 300 ont trouvé preneur. A l’été 2015, face à l’absence d’acquéreurs, la commercialisation du programme a été interrompue. Et il en va de même pour les dizaines d’immeubles de luxe qui sortent de terre aux alentours. Pour l’instant, les promoteurs sont piégés et, dans certains lotissements, les travaux ont été arrêtés une fois le gros œuvre effectué. On verra pour les finitions quand le marché repartira… Mais cela pourrait prendre du temps.
Les nouveaux hôtels de Rio
Malgré la présence de deux établissements de très grand luxe (le mythique Copacabana Palace, inauguré en 1923, et l’extraordinaire hôtel Fasano, à Ipanema) et de quelques hôtels de grandes chaînes (dont le Marriott et le Sofitel, refait en 2007 à Copacabana, le Sheraton, avec vue sur mer et sur favela entre Leblon et São Conrado, le Best Western Arpoador et le Caesar Park géré par Sofitel à Ipanema), l’offre hôtelière carioca était jusqu’ici de qualité très moyenne. La tenue des jeux Olympiques a cependant entraîné une flopée d’ouvertures à Barra da Tijuca, le principal site olympique : les 5‑étoiles Grand Hyatt, Windsor Marapendi, Sheraton Barra, Windsor Barra, Brisa Barra, Grand Mercure et Best Western Americas Fashion, ainsi que douze 4‑étoiles (dont le Novotel faisant face à la plage) et quelques hôtels plus modestes (dont un Ibis) vont contribuer à ajouter près de 10 000 chambres à 30 kilomètres du centre-ville. Certains s’inquiètent du taux d’occupation de ces établissements une fois la parenthèse des Jeux refermée, même si Barra da Tijuca héberge le plus grand centre de conventions de Rio. En ville, en revanche, l’expansion hôtelière prévue (7 000 chambres) sera très modeste. Aucun nouvel établissement de grand luxe n’a ouvert. La rénovation totale de l’hôtel Gloria, un palace historique, est en panne, de même que celle de la tour de l’Hotel Nacional dessinée par Oscar Niemeyer à São Conrado. Et d’autres projets n’ont pas vu le jour à Botafogo ni à Porto Maravilha…
Un marché pétrifié
Au-delà de Barra da Tijuca, toute la ville est en proie à un marasme immobilier. A l’autre bout de Rio, la zone du port a aussi fait l’objet d’un partenariat public-privé visant à la rénover. La ville a fait sa part de travail, remplaçant une disgracieuse voie express surélevée par des tunnels, construisant un tramway qui rejoint le centre-ville, rénovant la place Mauà aux extrémités de laquelle sont désormais posés deux splendides bâtiments abritant le musée de Demain et le musée d’Art de Rio. Pour récupérer plus de la moitié des dépenses (qui s’élèvent à 2 milliards de dollars), la ville vend à des promoteurs le droit de construire plus de 50 immeubles de bureaux et des logements pour 70 000 personnes. Mais, pour l’instant, seuls 43 % des lots disponibles ont été cédés, car la construction n’a commencé que pour à peine 9 % d’entre eux. Si L’Oréal et Nissan, ainsi que la chaîne de distribution locale Lojas Americanas, ont installé leur siège social à Porto Maravilha, les cinq Trump Towers de 38 mètres qui devaient proposer 320 000 m2 de bureaux et 450 000 d’espaces commerciaux – « le plus grand projet immobilier des pays émergents », selon Donald Trump, qui s’est contenté de vendre son nom au programme – sont restées dans les cartons, comme des dizaines d’autres buildings. Les promoteurs attendent que le marché se redresse pour construire, et la zone reste encombrée de vieux entrepôts remplis d’herbes folles.
Gare à la gueule de bois
Avec un taux de vacance de 20 % et des prix de location au mètre carré qui ont chuté de moitié, le marché de l’immobilier de bureaux à Rio est en effet en pleine déconfiture. Quant aux besoins en résidences principales, ils ne sont pas gigantesques, puisque les trois quarts des Cariocas sont propriétaires de leur logement (à noter que cette proportion reste stable, quel que soit le niveau de revenu des ménages). Pour leur part, les locataires sont davantage occupés à s’accrocher à leur emploi qu’à emprunter à des taux à deux chiffres pour faire l’acquisition d’un chez-soi. « La rapide détérioration du marché du travail et des conditions d’emprunt génère des inquiétudes quant à la santé et à la résistance de l’immobilier », indique l’observatoire de l’immobilier Fipe Zap. Pour l’instant, les prix de vente du secteur résidentiel ne se sont pas totalement écroulés, car les vendeurs potentiels préfèrent attendre des jours meilleurs pour se séparer de leur bien. Mais, selon l’indice Fipe Zap, ils ont baissé de 1,6 % en 2015, et de 3 % depuis. En termes réels (c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation), cela représente une chute d’environ 20 %. Ajoutons que la marge de négociation s’est élargie et qu’elle atteint souvent 10 % du prix proposé. Cependant, cela ne suffit pas à faire repartir le marché, plombé par la récession et par la crise politique. Pour leur part, les agences immobilières spécialisées dans la vente à la clientèle étrangère martèlent que c’est précisément le moment d’acheter. Si les étrangers ne bénéficient pas de la décote due à l’inflation (puisque leurs revenus n’augmentent pas au rythme de la hausse des prix brésiliens), ils peuvent en revanche tirer parti de la dévaluation de plus de 30 % du réal. « Je réalise plus de transactions début 2016 que l’an dernier à la même époque, en immense majorité avec des étrangers », affirme ainsi Arnaud Bughon, le fondateur de Rio Exclusive, l’une des plus grosses agences d’immobilier de luxe. Celui-ci conseille à ceux qui veulent faire une acquisition de se concentrer sur les meilleurs quartiers : ceux bordés par une plage, comme Copacabana, Ipanema et Leblon (par ordre de prix croissant) et, pour les amateurs de l’American way of life, Barra da Tijuca. Et de choisir, dans ces quartiers, les meilleurs immeubles, de façon à maximiser le prix de location. Car peu d’étrangers qui investissent à Rio y vivent en permanence : soit ils louent leur bien à l’année, soit ils viennent deux fois par an et optent pour la location saisonnière.
Les prix ? Selon l’association d’agents immobiliers Secovi, ils atteignent en moyenne 3 800 € du mètre carré à Copacabana, 4 300 € à Ipanema et 4 600 € à Leblon. Mais la plupart des étrangers dépensent plus pour éviter d’investir dans un banal immeuble en béton des années 60 resté dans son jus, et pour jouir du petit plus qui fait tout le charme d’un appartement à Rio : un grand balcon ou une terrasse et une jolie vue. Un beau 100-m2 avec deux chambres, balcon et vue sur mer à Copacabana vaut ainsi 600 000 €. A Ipanema, un 70-m2 avec une chambre et vue sur la lagune et les montagnes est à 500 000 €. Et un triplex de 240 m2 au sommet d’un immeuble de 16 étages avec trois chambres, grande terrasse, piscine privée et vue à 360° sur la mer et les montagnes vaut 2 M €. Enfin, à Leblon, un 60-m2 avec vue sur la ville, les montagnes et l’océan au 21e étage de l’un des plus beaux immeubles de Rio est en vente à 440 000 €. Et un appartement de 250 m2 en front de mer dans un immeuble refait à neuf vaut 2,2 M €. Au gré des quartiers et des prestations, on oscille ainsi dans le grand luxe entre 6 000 € et 8 800 € le mètre carré, sauf à Barra da Tijuca, où Christie’s vend un superbe appartement de front de mer à 3 500 € le mètre carré. On peut soit considérer que cela est exorbitant pour un pays émergent (Leblon reste de loin le quartier le plus cher d’Amérique latine), soit estimer que, pour le prix d’un médiocre ou très banal appartement parisien, on peut acquérir à Rio un logis d’exception de même taille situé à quelques mètres de la plage. A noter que, pour les amateurs de maisons, une propriété de 780 m2 à Barra da Tijuca, avec 380 m2 de terrasses, vue sur le lac et sur les montagnes, bain à remous, spa, piscine, home-cinéma et équipements de pointe vaut (on n’ose dire « seulement ») 2,1 M €. Et à Gávea (derrière Leblon, à 15 minutes de la plage), une splendide demeure de 450 m2 avec dépendance de 60 m2, piscine de 25 m, grand jardin plat et vue sur la montagne est en vente pour 1,45 M €. Sauter le pas n’en reste pas moins un pari. Car les prix à la location sont relativement abordables (avec 1 000 € par mois, on peut louer 60 m2 à Leblon, 70 m2 à Ipanema, 85 m2 à Copacabana et 100 m2 à Flamengo). Surtout, si certains estiment que le remplacement de la présidente Dilma Rousseff remettra le Brésil sur les rails, ce qui réanimerait le marché immobilier, on peut aussi penser que, quelle que soit l’évolution politique, la période qui suivra les jeux Olympiques s’apparentera à une gueule de bois. Le pays mettra des années à retrouver le chemin d’une vraie croissance et le prix des appartements n’ont pas fini de dévisser. Dans les deux cas, le soleil brillera toujours près de 320 jours par an à Rio de Janeiro.
L’évolution des favelas
L’Etat et la ville de Rio n’ayant pratiquement aucune politique de construction de logements sociaux, ce sont les favelas qui en tiennent lieu. Elles hébergent 1,7 M d’habitants dans la région métropolitaine de Rio, et 18 d’entre elles comptent entre 10 000 et 80 000 habitants. Dans la ville même, 24 % des habitants vivent dans ces quartiers « subnormaux », un record au Brésil. Depuis 2008, la présence croissante des Unités de pacification de la police (UPP) dans de nombreuses favelas a permis de rendre la vie plus facile, en limitant le pouvoir des gangs et des trafiquants de drogue. Par conséquent, les loyers ont augmenté. A Vidigal, favela avec splendide vue sur mer, des centaines d’étrangers ont été jusqu’à acheter des maisonnettes. « La pacification a contribué à l’embourgeoisement de certaines favelas, mais la récession a calmé cette tendance. Surtout, l’équipement en eau courante, les égouts et les stations de bus manquent toujours à l’appel », explique Theresa Williamson, de l’ONG spécialisée CatComm. Quant aux jeux Olympiques, ils ont provoqué la destruction partielle ou totale de plusieurs favelas, pour laisser place à des infrastructures. Depuis sept ans, malgré leurs protestations relayées par la presse, 77 000 personnes ont ainsi été évincées de leur logement contre des indemnités indignes (entre 1 500 € et 10 000 €) et un relogement dans des bâtiments sociaux souvent éloignés et de très mauvaise qualité.
Acheter en évitant les pièges
Tous les étrangers peuvent faire un achat immobilier au Brésil. Il est nécessaire de s’entourer d’un conseiller juridique qui vérifiera tous les documents et titres de propriété, leur enregistrement officiel, les emprunts du vendeur et la validité du contrat signé. Certains vendeurs essaient en effet de céder des biens qu’ils ne possèdent pas ou qui sont accompagnés de dettes. Ce conseiller fera aussi enregistrer l’investissement au moment de l’achat, de façon à pouvoir réexporter les fonds à l’étranger. Autres nécessités : ouvrir un compte bancaire (les agents immobiliers n’acceptent pas les paiements de l’étranger) et se déclarer comme contribuable. Pour obtenir un visa d’investisseur, il faut créer une société brésilienne qui achètera le bien. Enfin, côté taxes, il faut payer l’ITBI (2 % du prix), l’enregistrement et l’acte public (entre 600 et 3 000 € chacun), l’IPTU (payable chaque année et variant selon l’emplacement et le prix du bien, il convient donc de connaître son montant avant l’achat) et l’IOF (sur la conversion de monnaie importée). Les biens situés à proximité de réserves d’eau (et donc ceux en front de mer) sont soumis à une contribution spéciale appelée Laudêmio. Pour naviguer au mieux, il est préférable d’acheter auprès d’agences habituées à la clientèle étrangère, comme Sotheby’s International Realty et Judice & Araujo (qui représente Christie’s), ou bien gérées par des étrangers, comme Rio Exclusive ou WhereInRio (qui proposent aussi des locations saisonnières).