The Good Life : Vos garde-temps se vendent‑ils vraiment tout seuls ?
Richard Mille : La demande a explosé un peu partout. Nous pourrions ouvrir les robinets en grand. Mais, nous avons décidé de nous développer à un rythme raisonnable, sans suivre la demande. Nos capacités de production ne sont pas suffisantes pour alimenter le marché comme il le faudrait. C’est notre choix. Nous voulons rester sur le créneau du luxe extrême. Ainsi, nous avons calé la croissance sur une hausse annuelle d’environ 15 %. Déjà pas mal. En 2016, nous avons réalisé 3 600 montres, en 2017, 4 000. L’an prochain, nous nous approcherons de 4 600 exemplaires. Nous préférons progresser step by step, comme disent les Anglais. Une chose est sûre, nous ne fabriquerons jamais 10 000 montres par an. Nous ne voulons pas finir comme l’industrie du luxe qui s’est galvaudée en investissant le marché de masse. Aujourd’hui, dans une grande ville, on trouve plus facilement une enseigne haut de gamme qu’une station-service. Je pense, au contraire, que le luxe doit savoir rester rare, conserver une part de mystère.
TGL : Quelle distribution avez-vous choisie ?
R. M. : Nous nous sommes recentrés sur le développement de notre réseau de boutiques monomarques. A ce jour, nous disposons d’une quarantaine de points de vente dans le monde. Mais, là encore, j’ai dû calmer le jeu, compte tenu de notre faible volume de production. Dans un magasin, il est impératif d’avoir des pièces à vendre. Au Japon, cette année, les montres partaient si vite que notre vitrine était souvent presque vide. En parallèle, et pour privilégier notre réseau de boutiques, nous avons fermé certains détaillants multimarques. Ce canal se montre moins bien adapté que par le passé. En effet, notre gamme de produits ne cesse de se développer. Aujourd’hui, il est primordial d’avoir de la place pour présenter nos produits correctement. Un détaillant qui dispose de quelques mètres de vitrine seulement ne peut, en aucun cas, exposer convenablement nos familles masculines ainsi que nos nouvelles collections féminines. Il devra faire un choix.
Richard Mille roule des mécaniques
Richard Mille est passionné par la mécanique, sous toutes ses formes : automobile, aviation, horlogerie… Ses montres sont pour la plupart des modèles squelettes. Elles n’ont pas de cadran pour laisser apparents leurs mouvements high-tech. La marque s’investit dans de nombreux événements du secteur de l’automobile vintage, comme le concours Chantilly Arts & Elégance ou Rétromobile, le salon parisien dédié aux voitures de collection. « Je préfère les voitures anciennes qui m’ont fait vibrer dans ma jeunesse, et notamment les bolides de course des années 70. Les ordinateurs et le design dominent la conception des véhicules actuels », regrette le dirigeant. « Je possède une Ford GT40, une Lola T70 ou encore une Porsche 908. J’ai aussi une Lancia Stratos de rallye. » Mais, au quotidien, il se déplace au volant d’une Porsche Panamera d’aujourd’hui. Et même si l’envie est grande, il a toujours refusé de développer son propre modèle de voiture. Histoire de ne pas s’éparpiller.
TGL : Quelle politique pratiquez-vous sur Internet ?
R. M. : Dans cette gamme de prix, la vente en ligne ne fonctionne pas. Internet n’est donc pas notre priorité. Il est, par ailleurs, fort délicat de contrer les escroqueries qui fleurissent sur la Toile. Les fausses montres, y compris de nos modèles, y pullulent. Le système de magasins apparaît mieux adapté. Le client y est choyé, il prend son temps. Le prix de vente élevé de nos pièces explique que l’on se déplace. Quant aux réseaux sociaux, nous les pratiquons avec parcimonie.
Richard Mille, des montres qui durent…
TGL : Et que pensez-vous des montres connectées ?
R. M. : Nous restons très attachés au mécanique. La montre connectée n’est donc pas un passage indispensable. De plus, je ne constate aucune demande de la part de ma clientèle pour ce type de produit. La high-tech est régie par l’obsolescence rapide de l’électronique. Cela va à l’encontre de la philosophie de nos montres qui sont des produits d’investissement. Elles doivent toujours fonctionner dans trente ans. Pourtant, je ne suis pas contre une petite dose d’électronique. Mais dans ce cas, il faut :
– qu’elle apporte une information que le mécanique ne peut assurer, comme le chronographe au 1 000e de seconde,
– que la montre fonctionne même si le module électronique s’arrête ou est en panne. Je pense que l’électronique peut s’ajouter au mécanique, mais ne doit pas le remplacer. Il faut donc se diriger vers un produit hybride,
– pouvoir assurer le SAV pendant trente ans au minimum. Avec de la connectique, cela devient délicat. Les voitures de collection des années 50 ou 60 sont faciles à réparer. Les autos d’aujourd’hui, bourrées d’électronique, sont de véritables casse-têtes à entretenir.
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TGL : Quelle est la tenue de vos montres dans le temps ?
R. M. : Nos produits sont très rares sur le marché de la seconde main. C’est le signe que les acheteurs y sont attachés et ne s’en séparent pas facilement. Ils en ont souvent plusieurs. Elles sont fort rares dans les ventes aux enchères. Du coup, nos montres tiennent bien la cote. C’est étonnant pour une marque aussi récente et c’est très rassurant concernant l’avenir. Les voyants sont au vert pour nous.