The Good Business
Certaines anomalies débouchent sur des découvertes qui bouleversent le monde, scientifique d’abord, profane ensuite. Et puis il y en a d’autres qui font pschitt.
Les tribulations du boson de Higgs
Car les particules de matière noire auraient pour caractéristique première d’interagir peu, mais alors vraiment très peu, avec la matière ordinaire. « Il se pourrait que, sans nous en apercevoir, nous baignions dans de la matière noire, explique Patrice Verdier. A la limite, rien n’empêche d’imaginer un monde spatialement superposé au nôtre et composé de cette matière inconnue. » Fascinant, mais expérimentalement handicapant. Car comment détecter des particules incapables d’interagir avec des instruments de mesure si banalement faits de matière ordinaire ? « On pourrait le faire de façon indirecte, explique Yves Sirois, chercheur CNRS au laboratoire Leprince-Ringuet. Car, d’après la théorie, les particules supersymétriques seraient soumises aux mêmes lois que celles de la matière ordinaire. » Elles réagiraient ainsi à la gravitation, comme le suggèrent les anomalies de rotation des galaxies, mais aussi aux tribulations du boson de Higgs, la particule qui indique leur masse à toutes les autres. « Très discuté » (pour Yves Sirois) et « tout à fait attendu » (pour Isabelle Wingerter-Seez), le boson de Higgs a existé dans ce double état quantique jusqu’à sa détection formelle en 2013, au sein du LHC.
Aujourd’hui, il est présenté comme une sorte d’intermédiaire entre les particules de matière et le champ de Higgs. S’il est difficile de se faire une idée exacte de ce qu’est ce champ de Higgs, on peut approcher le concept en imaginant un immense tapis roulant d’aéroport sans rambarde. Si l’on met Kate Moss dessus, celle-ci peut se laisser porter, aller à contre-courant ou de travers. Selon la direction choisie, elle sera plus ou moins gênée dans sa progression par le tapis roulant. Eh bien, la masse, c’est (à peu près) ça. Chaque particule a une orientation qui colle plus ou moins avec la direction du champ de Higgs. Si la particule va dans le sens du champ, elle n’est pas gênée et sa masse reste petite. Si les directions diffèrent, la particule est gênée, devient massive et interagit avec le boson de Higgs. Pour chaque particule, ces directions sont fixes, d’où une invariance de la masse. « On s’attend à ce que le boson de Higgs interagisse aussi avec les particules supersymétriques, reprend Yves Sirois. Du coup, si on multiplie les observations de ce boson, on pourrait finir par détecter un manque énergétique qui serait susceptible de s’expliquer par une interaction avec des particules invisibles. » Prouver l’existence de quelque chose en détectant non pas sa présence, mais son absence, il n’y a que les physiciens – et quelques politiques – pour avoir des idées pareilles ! L’augmentation du niveau d’énergie du LHC devrait en tout cas permettre d’en avoir le cœur net, puisque l’un des objectifs des prochaines années est justement de mieux comprendre la physique de ce fameux boson de Higgs.
Une fluctuation statistique
Autre piste : la théorie de la supersymétrie prévoit l’existence, non pas de un, mais de cinq bosons différents. Si un deuxième type de boson de Higgs est découvert, les partisans de la supersymétrie pourront commencer à souffler. Et clouer le bec aux autres théoriciens qui, en l’absence de données, et donc de contraintes, sont passés maîtres en matière de création de modèles théoriques hors sol. La particule X aurait pu d’ailleurs leur donner un peu de grain à moudre, si elle avait existé. Car en multipliant par quatre la quantité de données récoltées, les physiciens du LHC ont dû se rendre à l’évidence : la particule X n’est qu’une fluctuation statistique, fille du hasard et non d’une nouvelle physique.
Concernant la supersymétrie et l’existence de cette matière noire insaisissable, il reste en outre à considérer une autre possibilité. Frédérique Marion, chercheuse du CNRS au laboratoire d’Annecy-le-Vieux de physique des particules rappelle ainsi que « les anomalies de rotation des galaxies observées peuvent être liées à la présence d’une hypothétique matière noire, ou au fait que la gravitation ne fonctionne pas exactement comme on le croit… » Et pour étayer son raisonnement, elle cite deux cas historiques : la découverte de Neptune et l’anomalie de Mercure. « Au XIXe siècle, des astronomes avaient prédit l’existence de la planète Neptune en détectant une anomalie dans l’orbite d’Uranus. Du coup, lorsque ces mêmes astronomes ont observé une anomalie dans le mouvement de Mercure, ils ont pensé à la présence d’une autre planète. Mais, non. Cette fois, c’était la gravitation qui ne fonctionnait pas comme on le pensait. » Albert Einstein le démontrera quelques décennies plus tard avec sa relativité générale.