The Good Business
Certaines anomalies débouchent sur des découvertes qui bouleversent le monde, scientifique d’abord, profane ensuite. Et puis il y en a d’autres qui font pschitt.
« La particule X ? » Au téléphone, Patrice Verdier, directeur adjoint scientifique pour la physique des particules au CNRS, semble hésiter. « X ou Higgs ? » X avec un K. Il réfléchit : « Ah ! Vous parlez de la fluctuation à 750 GeV [gigaélectronvolt, NDLR] de l’été dernier ? » Oui. L’interview n’a pas commencé que, déjà, la réaction du physicien en dit long sur le souvenir laissé dans son esprit par l’hypothétique particule X, presque découverte l’année dernière. « Vous savez, poursuit-il, ces petites excitations surviennent souvent dans notre milieu, tous les deux ans, je dirais. On croit voir quelque chose dans les données récoltées, on s’enthousiasme, on poursuit les mesures et, la plupart du temps, on se rend compte que la petite anomalie détectée n’était due qu’au hasard. » En juillet 2016, il n’y avait pourtant que 0,27 % de chance que ce soit le cas.
La théorie de la supersymétrie
Quelques mois plus tôt, en 2015, en Suisse, l’instrument de mesure le plus cher et le plus performant du monde, le grand collisionneur de hadrons (LHC, pour Large Hadron Collider), avait redémarré à un niveau d’énergie jamais atteint dans l’histoire de la physique, passant de 8 à 13 TeV (teraélectronvolt). De quoi fabriquer de nouvelles particules, très massives et jamais encore observées dans un accélérateur. Autant dire que les physiciens entraient dans une zone inconnue. Et voilà que dès les premières mesures, un pic inattendu, observé simultanément par les deux détecteurs du LHC, surgissait des courbes d’analyse et venait jouer les trouble-fête. Pourquoi les trouble-fête ? « Parce que cette hypothétique particule avait des propriétés si étranges qu’elle aurait mis à mal la théorie dominante », explique Isabelle Wingerter-Seez, chercheuse du CNRS au laboratoire de physique des particules d’Annecy-le-Vieux.
Et la théorie dominante, c’est la supersymétrie. Une théorie « élégante », qui prévoit que toutes les particules composant la matière ordinaire ont des sortes de jumeaux, inconnus, invisibles et impalpables. Pourquoi une telle idée ? Entre autres parce que, dans les années 30, en observant le ciel, les astronomes se sont aperçus que les galaxies ne tournaient pas comme elles auraient dû. Tout se passait comme si elles étaient bien plus grosses que prévu. Un peu comme si Kate Moss, en montant sur la balance, voyait s’afficher 300 kilos au lieu de 55. On se dirait alors que quelque chose ne tourne pas rond, que la balance est cassée… ou qu’une partie de Kate Moss est invisible. De ce constat est née l’idée que la matière que nous connaissons ne constituerait que 5 % de l’univers. Le reste serait pétri, à 27 %, de matière noire (l’embonpoint invisible des galaxies) et, à 68 %, d’un truc encore plus flou qui expliquerait l’expansion actuelle de l’univers : l’énergie noire. En vogue depuis plusieurs décennies, la théorie de la supersymétrie donne une description théorique de ce que pourrait être la particule de matière noire. Le hic, c’est qu’à ce jour elle ne s’appuie sur aucune preuve expérimentale. Autrement dit, personne, pas même le plus affûté des physiciens, n’a jamais détecté un début d’indice de l’existence d’un bestiaire des particules supersymétriques. « En 1989, lorsqu’on a ouvert le CERN, tout le monde pensait découvrir des particules supersymétriques, mais non, rien, raconte Isabelle Wingerter-Seez. Pour le LHC, rebelote : on pensait les détecter rapidement, mais, là encore, rien. » Un néant qui pourrait devenir gênant s’il n’était pas intrinsèquement expliqué par la théorie.
La découverte fortuite du muon
Il est rare que les physiciens découvrent une particule élémentaire de façon tout à fait fortuite. C’est arrivé une fois, en 1939, aux États-Unis. Alors que Carl David Anderson et Seth Neddermeyer travaillaient sur les rayons cosmiques, ils ont détecté une particule qui, dans un champ magnétique, présentait une trajectoire étrange, différente de celle dessinée par des électrons ou par toute autre particule connue. Comme l’électron, elle avait une charge négative, mais elle était plus massive. Comme s’il s’agissait d’un électron « lourd », un muon. A l’issue de cette découverte, les physiciens se sont aperçus qu’il existait non pas une famille de particules, mais trois.