The Good Business
Après avoir fait ses classes dans l’univers du luxe, Lionel Giraud a pris la tête de Vuarnet, l’une des plus belles histoires de marque française.
Lionel Giraud connaît ses classiques. Toutes les petites histoires qui ont fait et font la renommée de Vuarnet, il les délivre au fil de la conversation comme un conteur se plaît à introduire dans son récit un peu de suspens et une dose d’humour. Sa nomination au poste de président par le fonds d’investissement Neo Investment Partners, en juillet 2015, a de quoi rassurer. Et laisse augurer un supermanagement, entre respect des employés de l’usine de Meaux – parfois en poste depuis plus de vingt ans –, et boom créatif, avec la nouvelle équipe commerciale et de design recrutée pour la remise en orbite de l’opticien. Un challenge que Lionel Giraud semble tout à fait prêt à relever, presque avec délectation.
Après avoir travaillé dans le groupe Richemont pendant plus de dix ans – notamment en tant que directeur du développement du secteur horlogerie chez Cartier –, puis être devenu vice-président et directeur artistique de Chaumet (LVMH), ce diplômé de l’Essec et de l’IEP Grenoble quitte l’univers discret de l’accessoire de luxe pour pénétrer dans les salons de la maison Courrèges en 2012. Avec les repreneurs de la griffe française culte des années 60, Jacques Bungert et Frédéric Torloting, deux anciens coprésidents de l’agence de pub Young & Rubicam France, il gère, notamment, L’Atelier Design, un concept créatif transversal touchant aussi bien le textile que la déco ou encore la beauté. Courrèges connaît alors un nouveau souffle : collection capsule pour La Redoute, réédition de modèles iconiques, e-boutique, lancement d’un parfum… Deux ans plus tard, à la tête d’André, Lionel Giraud propose une nouvelle identité pour le chausseur, avec l’ouverture d’un concept-store au cœur du 16e arrondissement de Paris. L’expertise et la stratégie de ce brillant manager font mouche. Désormais, les collections sont plus pointues, et de jeunes créateurs, designers ou directeurs artistiques, comme ceux de Velvetine, Souts ou Jour Férié, imaginent des modèles en exclusivité.
Retour à la tradition
Lionel Giraud est donc devenu celui qu’on appelle à la rescousse pour redynamiser les ventes et faire bondir le chiffre d’affaires. Lorsque le fonds d’investissement Neo, détenteur de Vuarnet à 75 % depuis 2010, lui propose de diriger la marque, il n’hésite pas une seconde. Lui qui a grandi dans les années 80, une époque où « tout le monde en voulait une paire », durant laquelle Vuarnet réalisait 100 millions de dollars de chiffre d’affaires (à peine 10 millions aujourd’hui). Lionel Giraud revient en toute transparence sur les hauts et les bas de celle qui fut longtemps une référence, gage de qualité et de technicité, deux atouts incomparables sur le marché des lunettes de soleil. Reste à les faire valoir auprès des consommateurs, plus enclins aujourd’hui à s’offrir une paire griffée.
Vuarnet est loin de l’image glamour et jet-set, mais cela ne signifie pas qu’elle n’a pas sa place sur un secteur assez concurrentiel. « Notre volonté consiste à relancer la marque en se recentrant sur les lunettes, et en misant sur le made in France, qui fait la différence », indique Lionel Giraud. Adieu les licences donc : il s’agit de se reposer désormais sur l’expertise de Vuarnet et sur son métier d’origine, verrier. En 1957, le fondateur, Roger Pouilloux, créait le verre Skilynx, qui permet de voir tous les reliefs en montagne. Cet opticien avisé avait su, à l’époque, capter l’attention de skieurs professionnels. D’où la fameuse rencontre avec le champion de ski Jean Vuarnet, qui porte la monture 002 lorsqu’il remporte la médaille d’or de descente aux jeux Olympiques de Squaw Valley (Californie), en 1960. Symbole de savoir-faire unique, la marque bénéficie alors d’une renommée internationale. Il ne reste plus aujourd’hui qu’à la réactiver. Lionel Giraud est bien parti pour y arriver. En moins d’un an, les ventes n’ont cessé de progresser. Aujourd’hui, avec une quinzaine de recrues « motivées », il souhaite insister sur les outillages, développer la filiale américaine et miser sur la création. Sur ce dernier point, le designer français Christophe Pillet joue le jeu, celui de « mettre à niveau le style et la qualité des verres ». Entre modèles iconiques revisités (Glacier, 002, 003, 006…), nouvelles créations (Romy, Horizon…) et Vincent Cassel en égérie, Lionel Giraud risque bien de réussir, une fois de plus, son pari. Même James Bond, dans Spectre, a craqué.
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