The Good Business
L’architecte et ingénieur à l’origine de nombreux édifices emblématiques en béton, tel le MuCEM, à Marseille, se fait volontiers polémiste et se revendique pamphlétaire avant tout. The Good Life l’a rencontré dans sa sublime maison sur l’eau, à Cassis. Un entretien explosif.
Rudy Ricciotti est en permanence sur un fil. Architecte star, concepteur du musée Jean-Cocteau, à Menton, du département des Arts de l’Islam du Louvre ou encore de la future manufacture de la mode pour Chanel à Aubervilliers, cet hyper- Méditerranéen de 66 ans adore se définir comme un « type paranoïaque ».
Cela lui sied bien. Auteur prolixe d’essais pamphlétaires remarqués, Rudy Ricciotti est brut de décoffrage et gourmand de formules qui choquent le bourgeois. Chez lui, le langage est aussi sophistiqué que fleuri. Pourfendeur autoproclamé de la normativité sociale anglo-saxonne rampante et des canons bien-pensants, on sent que c’est de la même énergie que procède le génie architectural de ce fils de maçon italien.
Ainsi, sa verve ne se traduit pas seulement dans les qualités esthétiques et radicales de ses œuvres les plus emblématiques, mais aussi dans l’ingénierie des moyens qu’il déploie, poussant les capacités des matériaux dans leurs derniers retranchements, allant même jusqu’à inventer de nouvelles techniques pour parvenir à ses fins. L’exostructure en béton du MuCEM – que beaucoup qualifiaient d’impossible à réaliser – a achevé de faire de lui une star dans son domaine. Une star clivante, bien sûr, redoutée pour ses saillies.
Mais Rudy Ricciotti aime aussi à rappeler qu’il construit son métier d’architecte avec un profond respect pour les gens avec lesquels il travaille. Forcément, en arrivant aux abords de sa somptueuse maison plantée à la pointe de la calanque de Port-Miou, à Cassis, où il nous a reçus, on s’attendait à ce qu’il y ait des étincelles. Nous n’avons pas été déçus.
3 questions à Rudy Ricciotti
The Good Life : Comment décririez-vous la maison où vous vivez, posée face à l’impressionnante silhouette du cap Canaille, à Cassis ?
Rudy Ricciotti : C’est un fragment de ville, plusieurs cabanons de pierres, entre un cap et une calanque. Comme une métaphore. La maison où on dîne n’est pas celle où on dort. D’autres bâtiments abritent des chambres pour les amis. Le site est exceptionnel, avec cet horizon métaphysique, ce bleu extrêmement puissant. Cassis : le centre du monde ! Cette maison était mal en point ; elle avait été maltraitée par le mauvais goût des propriétaires précédents. Il fallait célébrer la physicalité du site, remodeler une circulation perpendiculaire à la mer, recomposer le paysage avec des unités de jardins mono-espèces. Le jardin est un artefact complet. La mer s’est imposée, c’est la moindre des choses. Ici, elle oblige à quelques remords, à aseptiser le réel. Ce paysage magnétique m’aimante et explique en partie pourquoi je refuse de voyager. Je n’ai de cesse de remercier la vie d’avoir eu la chance d’y habiter. C’est un privilège… C’est une vie de travail, aussi !
« Toute la presse s’est emparée de cette affaire, mais personne n’a rectifié lorsque j’ai été blanchi.«
TGL : Cette maison a fait l’objet de récentes procédures judiciaires…
R. R. : Parlons-en tout de suite. Dans cette affaire, je n’ai pas été condamné à démolir quoi que ce soit, parce que tout est légal. J’ai eu 150 000 euros d’amende pour avoir modifié trois fenêtres. Il n’y a pas eu non plus de condamnation pour du travail au noir. Je n’ai fait que donner du pourboire à cinq ouvriers : 200 euros ! C’est passé aux yeux du juge pour une somme considérable. Il se trouve que la justice ne veut jamais réparer ses fautes. Toute la presse s’est emparée de cette affaire, mais personne n’a rectifié lorsque j’ai été blanchi.
TGL : Vous résumez votre enfance en Camargue à « un état semi-autiste par réduction de contact visuel, coincé entre un canal et un étang ». Par ailleurs, vous évoquez souvent votre anxiété. Y a-t-il un lien ?
R. R. : C’est vrai, mon enfance m’a fait fabriquer de l’anxiété. Mais elle ne m’a pas influencé sur le terrain de l’assurance, curieusement. Je peux être assez radical dans mes décisions architecturales. Mon rapport est aussi anxiogène que psychopathe au principe de création : je décide, je fais. Parfois à l’aveugle. Dans ce sens, je suis un bâtisseur. J’en ai tous les stigmates, par le côté irréversible des décisions prises. Dans notre métier, nous sommes comme les pilotes d’essai. Un ouvrage, c’est comme un avion : arrivé en bout de piste il faut tirer le manche à balai et décoller. Il faut avoir du ventre, être confiant dans tous les dispositifs. Je ne suis pas un architecte qui se cache derrière les autres.
Retrouvez la suite de l’interview dans le N°39 de The Good Life, actuellement en kiosque.