Culture
Après des disques magnifiques consacrés à César Franck, Felix Mendelssohn, Frédéric Chopin ou Franz Liszt, Bertrand Chamayou propose une intégrale de l’œuvre pour piano de Maurice Ravel qui devrait faire date. Rencontre.
The Good Life : Vous avez enregistré l’intégrale de l’œuvre pour piano de Maurice Ravel et vous la donnez en concert en une seule soirée. Et vous choisissez de débuter par Jeux d’eau, qui n’est pas la première œuvre pour piano du compositeur. Pourquoi ce choix ?
Bertrand Chamayou : Cette œuvre s’ouvre de manière impalpable, de façon un peu rêvée. J’aime l’idée que le disque, comme le concert, naît du silence. Ici, on a du mal à percevoir la frontière entre le silence et l’émergence de la musique. Un peu comme pour Ondine, le premier mouvement de Gaspard de la nuit. Et puis, de façon un peu plus personnelle, cette œuvre a été le point de départ de mon intérêt, quand j’étais enfant, pour l’univers de Ravel.
TGL : La composition de cette œuvre pour piano s’est étalée sur près de vingt-cinq années. Y a-t-il une évolution de l’écriture pianistique ?
B. C. : Chez Ravel, il n’y a pas vraiment d’évolution. Si vous écoutez ses œuvres sans connaître les dates de composition, il est impossible d’en trouver la chronologie. D’un autre côté, la musique de Ravel est immédiatement reconnaissable. Il y a chez lui une volonté de s’adapter à différents genres, comme s’il s’était lancé des défis : l’impressionnisme, avec Jeux d’eau, des pastiches de valses, avec Valses nobles et sentimentales, un néoclassicisme imprégné de sonorités du XXe siècle, avec Le Tombeau de Couperin…
TGL : Vous avez été l’élève de Jean-François Heisser, lui‑même élève de Vlado Perlemuter, qui avait étudié l’œuvre pour piano aux côtés de Ravel lui-même…
B. C. : Tout à fait. De plus, c’est avec les enregistrements de l’œuvre pour piano de Ravel par Perlemuter que j’ai grandi. J’adore sa conception de la musique de Ravel, mais si j’ai été très influencé par son jeu, je n’ai jamais cherché à le copier. On peut subir une influence sans reproduire une interprétation. Un tempo qui paraîtra d’une grande justesse chez un interprète pourra sembler trop lent ou trop rapide chez un autre. C’est très personnel.
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TGL : Certaines des œuvres de cette intégrale – je pense au Gibet, de Gaspard de la nuit, aux Oiseaux tristes, de Miroirs – sont bouleversantes, sans qu’on parvienne toujours à comprendre d’où vient l’émotion qu’elles suscitent…
B. C. : Il y a dans les œuvres que vous évoquez un côté litanique, obsessionnel. Le pianiste doit faire preuve d’imagination et ne pas manquer le caractère hypnotique de ces compositions. Nous sommes ici à mi-chemin entre le monde du rêve et la réalité.