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refugee food quand les réfugiés deviennent les membres d'une brigade
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The Good Culture // Gastronomie

Refugee Food : toute la richesse (culinaire) du monde dans l’assiette

Gastronomie

The Good Culture

Depuis neuf ans, le Refugee Food Festival organise en France des dialogues culinaires entre chefs réfugiés et chefs de l’Hexagone en programmant des repas à 4 mains partout en France. Rencontre avec trois duos qui ont participé à la dernière édition. Tous assurent que la cuisine agit comme un baume contre le déracinement.

Du 4 au 24 juin 2024, le Refugee Food Festival se tenait à Paris, comme chaque année depuis 2016. L’occasion pour The Good Life de se pencher sur l’action de cette association qui milite pour accélérer l’insertion professionnelle des réfugiés dans la restauration.


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Cuisine de l’exil et partage sans frontières

« Je voudrais faire découvrir la cuisine palestinienne, son identité, raconte Lulwa Elsarraj, cheffe indépendante, née à Gaza. Il faut comprendre que c’est une cuisine familiale qui sort du foyer, qui fédère les voisins. On cuisinait avec mes parents, ma grand-mère surtout, c’est avec elle que j’ai appris le plus à cuisiner. Les repas étaient pour tous ceux qui nous entouraient. » Elle a quitté Gaza à l’âge de 14 ans pour rejoindre la Cisjordanie. Elle arrive ensuite en France pour des études de stylisme et de langue mais c’est finalement la cuisine qui fait sens pour elle.

Aujourd’hui, devenue cheffe indépendante, elle fait partie des 200 toqués qui ont cuisiné à 4 mains dans le cadre du Refugee Food Festival qui avait lieu mi-juin. De Paris à à Marseille, de Montpellier à Rennes, les restaurateurs de l’hexagone ont accueilli le temps d’un repas leurs confrères et consoeurs réfugiés d’origine afghane, nigerienne ou géorgienne par exemple. C’est au total 60 nationalités qui sont représentées : « Quand on s’est rencontrés avec Lulwa, elle avait apporté une vingtaine de plats palestiniens à faire déguster à toute l’équipe, se souvient Alessandra Montagne, cheffe de Nosso à Paris, marraine de l’événement et binôme de la cheffe palestinienne, je me suis dit : on se ressemble, les clients ne vont pas mourir de faim ! »

Des bouchées imaginées par Alessandra Montagne, cheffe de Nosso, au Refugee Food Festival.
Des bouchées imaginées par Alessandra Montagne, cheffe de Nosso, au Refugee Food Festival. Elise Augustynen

Hasard ou destin, la cheffe brésilienne est arrivée en France au même âge que Lulwa : « Je sais ce que c’est que de quitter son pays, mais aussi de le retrouver à travers les recettes, les saveurs, les parfums. » Lulwa Elsarraj confirme, « la cuisine est un refuge » et c’est pour elle embrasser un peu plus fort ses propres souvenirs. Les gestes et les recettes sont ce qui lui reste malgré l’exil, à commencer par une salade gazaouite appelée daqqa ou da’a où tomates, oignons et piment se mêlent à des graines d’aneth écrasées au mortier et à de l’aneth fraîche. « Il y a des trésors aromatiques en Palestine qui sont spécifiques à notre territoire. Notre sumac par exemple qui est à mon sens le meilleur en comparaison avec ceux d’autres pays. Il est d’un violet profond, plus humide, plus acidulé que celui d’Iran ou de Turquie, et j’en ai fait des tests, assure-t-elle, tout cela est en train de disparaître avec la guerre, c’est toute l’agriculture qui est arrêtée voire perdue en ce moment. » Lulwa est arrivée en France dans l’idée de continuer son parcours dans la mode mais la cuisine l’a rattrapée comme une urgence : « C’est une façon de raconter mon histoire et de la transmettre. »

La Daqqa, une salade typique de Gaza.
La Daqqa, une salade typique de Gaza. Tuqa Al-Sarraj

« Malgré les barrières de la langue, on s’est très vite compris devant les fourneaux »  

Chaque année, la participation au festival est toujours aussi suivie quand elle ne s’accroît pas, aussi bien du côté des chefs accueillants que du côté des chefs réfugiés. Au restaurant Bonne Aventure à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), c’est la deuxième fois qu’Alcidia Vulbeau fait partie de la programmation. Cette année, elle cuisinait des momo, des raviolis juteux garnis de viande ou de légumes. C’est une recette que l’on doit à Tshering Kelsang, réfugié tibetain, son associé le temps de ce dîner inédit. « Au départ, on était un peu timides, constate à rebours la cheffe, chacun avançait prudemment vers l’autre car il y avait cette barrière de la langue, les différences culturelles et la peur du malentendu. Puis on s’est très vite compris quand on a commencé à cuisiner tous les deux, on atteignait la même longueur d’onde, chacun voyant chez l’autre les mêmes réflexes devant les fourneaux. »

Tshering Kelsing a toujours cuisiné, « comme un homme au foyer« , plaisante-t-il avec un sourire désarmant qu’il ne quittera pas, même lorsqu’il racontera son parcours de réfugié. Sa femme doit quitter urgemment le pays suite à des pressions politiques. Son beau-père subit des tortures lorsqu’il est fait prisonnier par le régime chinois. Son beau-frère milite pour la libération du Tibet. La situation devenait dangereuse pour toute la famille. Il fait la demande pour rejoindre sa femme en France, cela prendra trois annnées durant lesquelles il devra rester en Inde avec ses deux enfants.

Musicien passionné, il aura dû vendre ses deux guitares pour s’en sortir à cette époque : « Je suis arrivé en France et je ne parlais pas un mot de français. Alors la cuisine que j’aimais faire à la maison était une manière de m’insérer, de m’exprimer, sans avoir besoin de la parole« , dit-il en enchaînant les pliages des petits chaussons farcis. Durant le dîner, Alcidia Vulbeau apporte sa touche en combinant le bouillon de nouilles du chef avec du sésame et des petits pois de saison. L’enjeu pour elle est fort : « Ce qui est important avec ce festival, c’est que non seulement on donne un coup de projecteur sur une cuisine qu’on connaît peu, mais on met aussi en avant le talent et la passion de chefs réfugiés. Ça donne bien plus que de la visibilité : ça donne de la dignité. » Un rappel à ce titre : en Ile-de-France, 50% des emplois dans la restauration sont pourvues par des personnes immigrées.

L’équipe du Café Jaune, au Refugee Food Festival.
L’équipe du Café Jaune, au Refugee Food Festival. Elise Augustynen

Un accompagnement tout au long de l’année grâce à Refugee Food

Le travail de l’association et de ses 500 bénévoles ne s’arrête pas au festival. L’insertion professionnelle est la première démarche du Refuge Food qui possède ses propres programmes de formation. Chloé Charles, derrière les fourneaux du restaurant Lago dans le 11ème arrondissement de la capitale, a d’ailleurs fait appel à l’association pour étoffer son équipe en cuisine. Elle embauche Assia Zelbah en septembre dernier, cuisinière réfugiée algérienne qui dans une première vie était cheffe d’une société de nettoyage à Alger : « Elle m’apprends à être plus patiente, même s’il m’arrive encore de changer les menus au dernier moment, confie la cheffe parisienne en souriant, je sens que je m’assagis auprès d’Assia parce qu’elle a déjà une grande expérience professionnelle, elle a dirigé une entreprise. »

Assia, au restaurant Lago.
Assia, au restaurant Lago. Victoire Terrade

Durant sa formation culinaire au sein du Refugee Food, Assia Zelbah a cuisiné des plats venus du monde entier auprès des autres apprentis réfugiés, complétant sa bibliothèque de recettes voyageuses. « Ici, c’est très différent de ce que je faisais avant, révèle la cheffe algéroise, Chloé me pousse à m’affranchir des fiches techniques. Il s’agit de partir de recettes traditionnelles pour les emmener ailleurs, que ce soit dans le dressage, dans des mariages de goût inédits, dans la variété des textures, énumère-t-elle enjouée, mais ce que j’aime le plus ici, c’est qu’on est comme une famille, je me sens entourée de chaleur. » Elle pense ouvrir son propre restaurant, s’inspirant des recettes qu’elle cuisinait en famille à l’instar de la rechta, un plat de pâtes à base de vermicelles cuits trois fois à la vapeur et sur lesquels on dépose des morceaux de poulet et des légumes cuits au bouillon, typique de la capitale algérienne.

Chloé Charles regrette quelque peu que sa démarche d’embauche reste isolée : « On n’est pas nombreux à rentrer en contact avec le Refugee Food pour compléter notre staff sur la durée et pourtant j’ai pu parcourir tous les CV des chefs réfugiés. Ce sont beaucoup de reconversion mais les parcours sont très impressionnants et tout le monde est motivé.” Avec 200 000 à 300 000 postes encore à pourvoir dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, l’équipe du Refugee Food accompagne même les réfugiés nouvellement formés dans la création de leur établissement. Depuis la création du festival, une douzaine de chefs réfugiés ont pu ainsi ouvrir le restaurant de leur rêve à travers la France.


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Site internet de Refugee Food

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