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Les rédacteurs en chef ont la lourde tâche de représenter le média qu'ils incarnent. Portrait de 4 passionnés, 2025 - TGL
Les rédacteurs en chef ont la lourde tâche de représenter le média qu'ils incarnent. Portrait de 4 passionnés, 2025 - TGL
Lia Goarand

The Good Business // Profiles

Quels sont les rédacteurs en chef qui font la presse indépendante ?

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Les Gardiens de la Presse, épisode final. Alors que The Good Life s’offre un lifting, fidèle à son esprit avant-gardiste tout en captant l’air du temps, nous consacrons une série de cinq articles aux métiers de la presse. Comment vit un journal ? Qui en orchestre le contenu ? Comment ses pages prennent-elles forme ? À l’heure du tout-numérique et face aux défis posés par l’intelligence artificielle, il est plus que jamais essentiel de célébrer une information écrite par et pour des humains.

Qu’ils soient sur le devant de la scène ou qu’ils agissent dans l’ombre, les rédacteurs en chef ont la lourde tâche de représenter le média qu’ils incarnent, tout en devant porter un autre poids sur les épaules : celui de la survie de leur magazine. Un défi remporté par ces 4 passionnés pour qui la presse indépendante n’est en rien un fardeau.


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Métier fascinant

Objet de fantasmes et de mystères, le métier de rédacteur en chef fascine autant qu’il inquiète. Si pour certains, ils ont le pouvoir de faire la pluie et le beau temps sur le paysage médiatique, ils vivraient aussi, pour les autres, une vie rythmée entre rencontres avec les célébrités et domination sur le reste de leurs employés, à la manière de l’exécrable Miranda Priestly dans Le Diable s’habille en Prada.

Portrait de Clémence Guinamard, rédacteur en chef du magazine biannuel Athletica.
Portrait de Clémence Guinamard, rédacteur en chef du magazine biannuel Athletica. DR

Un cliché qui a longtemps collé aux rétines de Clément Guinamard, rédacteur en chef du magazine biannuel Athletica : « Je suis un garçon qui vient de la province, je fantasmais totalement sur ce milieu, j’imaginais ceux qui y travaillaient comme des créatures sortant tout droit de Glamorama de Bret Easton Ellis. »

Après avoir travaillé durant huit ans comme directeur artistique, styliste et coordinateur éditorial, il reprend les rênes, en 2023, de ce magazine alliant les univers du sport, de la mode et du luxe. Pour lui, un bon rédacteur en chef est avant tout quelqu’un qui sait reconnaître le travail de ses équipes : « J’ai tellement été témoin de management toxique que je me suis juré de faire tout le contraire. Le succès de mon média repose sur un climat de paix et d’écoute. Ce que j’apprécie le plus, c’est la capacité à fédérer les équipes et à obtenir des résultats. Mais surtout, c’est de ne jamais m’ennuyer, d’être constamment surpris par mon équipe et par les résultats obtenus. Je conçois un projet, et la réalité dépasse souvent mes attentes. » Cet hiver, il obtient même, à grand renfort de mails envoyés et de persévérance, une cover avec la star ultime du ballon rond : Zinédine Zidane.

Ligne droite

La France comptant près de 3 900 titres de presse, une des missions principales du rédacteur en chef est de tracer une ligne éditoriale claire, nette et précise. Une ambition que s’est fixée Jeanne de Fouchécour en intégrant la rédaction du magazine de mode Duel : « Le magazine était principalement axé sur du contenu visuel, puisqu’il a été fondé il y a sept ans par un studio de création dirigé par Fahd El Jaoudi et Julie Dubos. L’idée initiale était de rassembler des créatifs autour d’un bel objet. Nous souhaitions également agréger des talents et faire de la curation, ce qui a donné une première forme au projet, presque comme une carte de visite augmentée. » Le succès du média se faisant ressentir, l’équipe décide cette année de retravailler sa position éditoriale.

Portrait de Jeanne de Fouchécour, rédactrice en cheffe du magazine de mode Duel.
Portrait de Jeanne de Fouchécour, rédactrice en cheffe du magazine de mode Duel. DR

Le but ? Devenir identifiable aux yeux du public et sortir du lot parmi un flot de potentiels concurrents : « Nous avons finalement décidé d’élaborer une véritable ligne éditoriale, ce qui nous a pris un an et demi, puis nous avons réalisé un manifeste et repositionné notre propos, en nous appuyant sur la dualité comme fil rouge de notre ligne éditoriale. Bien sûr, l’idée n’est pas de forcer tous les sujets à s’adapter à ce thème, mais de tirer parti de la richesse que cette dualité peut apporter. » Si la refonte de ce magazine autofinancé est avant tout une question d’image et de crédibilité, d’autres médias indépendants avouent qu’ils doivent aussi compter avec un facteur non négligeable en termes de survie : celui de la publicité.

Culture pub

« L’aspect commercial est en effet un défi majeur », conçoit Antoine Leclerc-Mougne, rédacteur en chef du magazine de mode Mixte. « En tant que magazine indépendant, nous ne sommes pas rattachés à un grand groupe de presse pour la gestion des pages publicitaires. Financer la réalisation et la production de chaque numéro de Mixte suppose donc un investissement quotidien très exigeant. Mais notre indépendance nous offre justement une plus grande liberté d’expression et de choix artistiques, et cela devient une force. »

Lise Lacombe qui, du haut de ses 26 ans, devient la rédactrice en chef de Mosaïque, un trimestriel axé sur le rap qu’elle cofonde avec son ami Thibaud Hue en 2022.
Lise Lacombe qui, du haut de ses 26 ans, devient la rédactrice en chef de Mosaïque, un trimestriel axé sur le rap qu’elle cofonde avec son ami Thibaud Hue en 2022. Lia Goarand

Un parcours atypique pour un magazine créé il y a presque trois décennies, ce qui lui permet aujourd’hui d’être reconnu par le milieu de la mode et de la culture tout en offrant une plateforme à de nombreux profils, photographes comme journalistes : « Notre vocation est de révéler et de faire vivre un réseau de talents avec une vision singulière et engagée qui est particulièrement respectée par l’industrie de la mode et les marques en général », ajoute Antoine Leclerc-Mougne. Si les annonceurs viennent chez Mixte, c’est avant tout pour s’inspirer et bénéficier du regard pointu et contemporain du magazine. Dans un contexte économique actuel difficile et marqué par une diminution des investissements publicitaires, créer un magazine de qualité est un défi permanent. Il faut savoir rester créatif et trouver des solutions. »

Un défi qui ne fait pas peur à la nouvelle génération, à l’instar de Lise Lacombe qui, du haut de ses 26 ans, devient la rédactrice en chef de Mosaïque, un trimestriel axé sur le rap qu’elle cofonde avec son ami Thibaud Hue en 2022 : « Nous avons décidé de nous lancer car nous ressentions un réel vide sur le marché, il n’existait pas de magazine de rap avec une esthétique léchée. »

Fanzines, magazines gratuits, réseaux sociaux… la presse doit, depuis quelques années, constamment se réinventer afin de rester dans la course.
Fanzines, magazines gratuits, réseaux sociaux… la presse doit, depuis quelques années, constamment se réinventer afin de rester dans la course. Lia Goarand

Ils commencent leur aventure en lançant un crowdfunding qui dépasse leurs attentes, puisqu’ils écoulent 700 exemplaires de leur premier numéro en trois jours alors qu’ils pensaient réaliser ce chiffre en trois mois : « Cela a suscité un intérêt beaucoup plus grand que prévu et nous avons mis en place un système où les ventes du magazine financent l’impression du numéro suivant, et nous avons récemment introduit un système d’abonnement. Je précise que nous ne nous versons pas de salaire ; les personnes que nous rémunérons sont un alternant, des stagiaires et de nombreux freelances. » Une ambiance Do It Yourself qui, comme l’espère ce duo de diplômés de l’école publique de journalisme de Tours, portera ses fruits dans les années à venir.

Nouveaux défis

Fanzines, magazines gratuits, réseaux sociaux… la presse doit, depuis quelques années, constamment se réinventer afin de rester dans la course. En 2023, la diffusion de la presse a reculé de 4,6 % selon l’organisme certificateur du marché, l’Alliance (ACPM), ce qui concrètement indique que les Français ont acheté 700 000 journaux et magazines de moins qu’en 2022. Il est donc essentiel, pour le rédacteur en chef, de garder un œil sur les chiffres et sur les concurrents, même si ces derniers ressemblent de plus en plus à des créateurs de contenus qu’à des journalistes encartés.

Mosaïque écoulé 700 exemplaires de son premier numéro en l’espace de trois jours.
Mosaïque écoulé 700 exemplaires de son premier numéro en l’espace de trois jours. Léo Jean Joachim

« Je crois que c’est une évolution vertueuse, analyse Antoine Leclerc-Mougne. J’estime que toute création est positive, en particulier dans le domaine des médias. L’histoire nous le démontre : l’arrivée de la télévision n’a pas sonné le glas de la presse écrite, ni celle de la radio. De même, Internet n’a pas tué la télévision. Il y a toujours eu un rééquilibrage, une coexistence entre les différents médias. Il en va de même avec l’émergence des créateurs de contenu. Ils sont concurrents, certes, mais ils contribuent aussi à enrichir le paysage médiatique. Je m’inspire parfois de leur travail dans mes articles, et je suis certain qu’ils font de même, en s’appuyant sur des articles de magazines papier pour traiter certains sujets. C’est un échange continu. »

Une alliance qui n’est pas pour déplaire à Clément Guinamard, qui envisage les différents acteurs de la presse non pas comme des concurrents, mais comme des partenaires : « Nous invitons régulièrement des plumes issues d’autres médias, c’est le cas de la revue Nez, qui vient pour la seconde fois de signer des articles dans le magazine, ou Carton Magazine, une publication digitale à qui j’ai confié la direction artistique d’une série beauté. J’adore créer des synergies, c’est une des chances de l’indépendance : avoir une liberté totale. »


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