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Avec son riche héritage historique et culturel et ses styles bigarrés, Shanghai, demeurée longtemps la rivale de Hong Kong, est devenue, en Chine, la capitale de la mode. Plus la peine de s’expatrier à Milan : les jeunes créateurs de l’ex-« Perle de l’Orient » percent enfin chez eux.
Les dandys et fashionistas qui patientaient dehors, sur Yongfu Road, entrent enfin. Une jeune femme en tailleur noir les guide vers une imposante demeure Art déco. Bienvenue à Yongfoo Elite, un club sélect sis sur le domaine d’un ancien consulat métamorphosé en lounge par l’ancien styliste de mode et collectionneur d’art Wang Xing Zheng. Un lieu très prisé, où Karl Lagerfeld a même organisé un dîner pour 200 convives. Ce soir, dress-code de rigueur pour la première fashion-party de la saison. Dans une atmosphère aussi rieuse que tamisée, typique du Shanghai nocturne, des airs électro embrasent le grand salon. Filles et garçons jouent des coudes pour un selfie avec la styliste Xinyi, figure des plateaux télé et créatrice de la marque Pully. La mannequin shanghaïenne Maxine Li, 20 ans, étoile montante des podiums, est là aussi. Elle est l’égérie de trois marques alternatives locales : Urlazh, Doris Zhang et Poesia, de la créatrice Chris Chang. Dos nus, robes courtes futuristes, cols oversize et vestes croisées asymétriques, et même sportswear chic… les 300 invités – personnalités en vue, créateurs, stylistes et entrepreneurs –, rivalisent d’élégance.
Quelques jeunes femmes ont revêtu un qipao, cette robe en crêpe ou satin de soie très glamour en vogue dans le Shanghai des années 20 et 30. Un style apparu en Chine dès le XVIIe siècle, comme le raconte, dans ses romans, Eileen Chang (1920-1995), la Virginia Woolf chinoise, auteur du fameux et sensuel Lust, Caution. Le qipao est désormais un apparat star, et Chanel, Ralph Lauren, Gucci ou Jason Wu proposent les leurs. « Les Shanghaïennes restent attachées à un luxe raffiné, et rien ne met mieux leur beauté en valeur que le qipao. Son succès illustre le retour en force du sur‑mesure », témoigne la directrice artistique Sylvia Chan. Même engouement, côté hommes, pour les costumes sur mesure, fleuris, à rayures ou bariolés, comme ceux d’Alexander McQueen (@McQueen) ou de Jase King.
Shanghai, capitale de la mode chinoise
Éprises de luxe et de beauté, les Shanghaïennes s’habillent en Prada. Elles sont toujours prêtes à tirer le marché vers le haut, grâce à leur pouvoir d’achat élevé. Mais elles visent également l’émancipation et savent mixer les styles, porter cool, simple et pas cher. « L’Indépendance des femmes », c’est d’ailleurs le nom de la dernière exposition collective montée à Shanghai, au K11, par la galeriste Magda Danysz, avec l’artiste et styliste Yi Zhou pour égérie, qui a grandi en Europe, avant de revenir à Shanghai en 2013 – on lui doit la collection Breaking the Ice pour Iceberg.
« Curieusement, les nouveaux créateurs de Shanghai sont très locaux et visent peu l’international », constate-t-elle. Alors que par le passé les stylistes locaux bravaient des vents contraires puis s’expatriaient – d’autant plus que la clientèle chinoise ne jurait que par le haut de gamme européen –, nombreux sont ceux qui, comme Zhang Na (Fake Natoo), Momo Wang (Museum of Friendship), Nicole Zhang et Zhang Da (Boundless), Zhang Yuhao, Lu Kun ou Fiona Lau ont aujourd’hui définitivement imposé leur style à Shanghai.
Promue sur WeChat (l’app la plus populaire en Chine avec 800 millions de comptes actifs), leur mode s’expose dans les salons, les centres commerciaux et les musées. Marques, griffes et stylistes se tournent aussi vers les artistes. La peintre Ann Niu, exposée au musée des Beaux-Arts de Shanghai et chez Anne-Cécile Noïque (Art Cn), a peint une œuvre « au rouge symbole d’amour et de passion » dédiée à Cartier. La styliste Ji Cheng, véritable révélation, a créé toute une collection avec Hozen Art. La mode, à Shanghai, se déploie dans ces croisements qu’illustre encore le travail de l’artiste Kim Xu. Une ébullition que confirme Patrick Kouzmine-Karavaieff, cofondateur de l’école de mode IFA Paris. « Au cours des dix dernières années, j’ai observé à Shanghai une extraordinaire mise à niveau des secteurs de la mode et du luxe, dit-il. Le luxe a atteint des sommets, et les jeunes créateurs évoluent dans un environnement désormais favorable. Ils peuvent imprimer leur style, s’exprimer et vivre, pour beaucoup d’entre eux, de leur passion. » Une effervescence qui donne le tournis, deux fois par an, lors de la désormais très courue fashion-week de Shanghai !