The Good Business
La manufacture Pyrenex a développé un savoir-faire plumassier qui lui permet d’être présente, et parfois leader, sur plusieurs secteurs clés de la décoration et de la mode. Un cas d’école.
Quel est le point commun entre votre oreiller et votre doudoune ? Vous ne vous posez guère la question, et pourtant, dans un cas comme dans l’autre, il n’y aurait ni bon sommeil, ni protection optimale contre le froid sans elles : les plumes. Tout est dans la plume. « Elle a une capacité à emprisonner l’air, ce qui la rend isolante, et une élasticité naturelle qui lui permet de retrouver son gonlant naturel quand on la comprime », explique Eric Bacheré, le directeur général de Pyrenex depuis vingt-quatre ans.
Des qualités qui ne peuvent être préservées que grâce à un savoir-faire artisanal. Après avoir longtemps été installée au cœur de la ville de Saint-Sever, entre l’abbatiale bénédictine et l’hôtel de ville, la manufacture Pyrenex a transféré ses ateliers au bord de l’Adour, une démarcation naturelle entre deux régions. Sur une rive du fleuve, les contre-forts des Pyrénées, qui ont donné leur nom à la marque ; sur l’autre, la plaine landaise, avec ses champs de maïs et les élevages de canards que l’on gave pour obtenir du foie gras et qui fourniront à Pyrenex sa matière première.
Tout commence en 1859, quand Abel Crabos se lance dans la tournée des fermes pour récupérer les plumes des palmipèdes. Presque deux siècles plus tard, son entreprise est restée familiale et fabrique les plus beaux matelassages. Mais ne nous y trompons pas : il y a plume et… plume ! C’est sans conteste le mulard qui a le plus beau duvet et le plus abondant. Un canard de 6 à 8 kg, qui n’a rien à voir avec son cousin élevé en Chine, par exemple, qui pèse en général de 1,5 à 2 kg. « Notre fondateur a inventé, à sa façon, l’économie circulaire : récupérer, recycler et faire d’un déchet un produit noble, s’enthousiasme Eric Bacheré. Nous sommes donc très vigilants quant à l’impact environnemental de notre fabrication. Etre installés au cœur de la production régionale de foie gras nous permet de récupérer directement notre matière première, de réduire les temps de transport et de pouvoir traiter très rapidement nos plumes. Nous avons aussi mis en place sur notre site une station d’épuration grâce à laquelle nous recyclons et réemployons 90 % des volumes d’eau utilisée. Nous avons également remplacé les détergents par des savons naturels et biodégradables et nous valorisons chaque étape de notre fabrication, jusqu’aux emballages qui sont tous des sacs de coton réutilisables. » Dès qu’elles arrivent, les plumes passent en machine à laver, puis en sécheuse, en dépoussiéreuse et en trieuse.
Pyrenex a développé et a breveté ses propres outils (qui ressemblent à des cabines téléphoniques vintage) et a sauvegardé un véritable savoir-faire qui lui a permis d’améliorer son « feeling power », c’est-à-dire la capacité de gonflement et, donc, de remplissage d’un duvet. Le feeling power définissant aussi sa légèreté et son pouvoir d’emprisonner l’air, le duvet se révèle être un isolant naturel bien plus efficace qu’un tissu synthétique. En bout de chaîne, on plonge les mains dans des flocons incroyablement doux et évanescents. C’est voluptueux ! Les machines fonctionnent ainsi 24 heures sur 24 et ont une capacité de production de 15 à 20 tonnes par jour (30 kg de duvet sont nécessaires pour façonner 120 doudounes).
Pyrenex : engagement et solidarité
Jusqu’en 1968, date à laquelle elle prend le nom de Pyrenex, la manufacture était entièrement spécialisée dans la fabrication de couettes, de sacs de couchage et d’oreillers et les exportait notamment en Allemagne et en Scandinavie. Les premières doudounes de montagne ont été créées cette année-là avec le guide de montagne Louis Audoubert. Deux ans plus tard, l’iconique Authentic Jacket était lancée. Mais il faut attendre les années 2000 et l’explosion de la doudoune sur le marché de la mode pour que la ligne prenne toute sa place au cœur des activités de la famille Crabos. En 2017, Pyrenex semble appliquer les valeurs insufflées par René Crabos, le fils d’Abel : engagement et solidarité. Ce grand théoricien du rugby moderne dans les années 20 – capitaine de l’équipe de France, puis président de la Fédération française de rugby (FFR) –, surnommé par les Anglais « le génie du rugby », a diversifié ses activités autour de son unique matière première, esquissant un territoire que peu d’entreprises de ce type peuvent revendiquer.
La vente en gros, à l’export, de plumes prêtes à l’emploi représente, selon les années, de 20 à 30 % du chiffre d’affaires. Avec 40 % du chiffre d’affaires, le segment literie se répartit entre fabrication à façon pour des marques de distributeurs et des produits haut de gamme signés Pyrenex (un oreiller Legend est vendu environ 300 euros). « C’est un secteur qui a le vent en poupe depuis que l’hôtellerie de luxe américaine a donné aux clients le goût de l’excellence et l’envie de la retrouver chez eux », indique Eric Bacheré. A noter que ce confort, ce retour aux matières ouatées était le thème fort du dernier salon Maison & Objet. Il y a deux ans, Pyrenex s’est également faufilée, avec d’autres enseignes, comme la marque australienne Ugg, sur le marché balbutiant du homewear, en développant la collection Cosy. Si son confort est absolument indéniable, elle a pourtant probablement manqué de modernité et de peps. Elle sera d’ailleurs entièrement remarketée cette année…