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La route ne cesse de se réinventer. Après la Wattway photovoltaïque, c’est au tour de l’autoroute électrique de se développer. Une portion de 5 kilomètres a été inaugurée en mai dernier en Allemagne.
La route, ce ruban de bitume que l’on croyait volontiers immuable, est en pleine métamorphose. Dernièrement, les ingénieurs de Colas l’imaginaient solaire en garnissant son revêtement de cellules photovoltaïques. Las, la théorie toujours optimiste se heurte à la pratique, plus prosaïque. Les premières portions de Wattway demandent des investissements très élevés pour sa construction, mais son rendement se révèle plus faible que prévu.
Récemment, une nouvelle idée a germé dans le cerveau des ingénieurs. Suivant l’adage selon lequel les vieilles recettes sont souvent les meilleures, ils ont eu l’idée d’appliquer aux camions le bon vieux concept du trolleybus. Le travail prometteur a débouché sur l’autoroute électrique. Avec cette nouveauté, est-on en route vers un monde des transports plus écologique ?
Où trouve-t-on l’eHighway ?
Historiquement, la première voie rapide électrique est inaugurée en Suède, en juin 2016. Elle s’étend sur 2 km sur l’autoroute E16, non loin de la ville de Gävle. Puis c’est au tour des Etats-Unis de construire un tout petit tronçon test en Californie. Sous peu devrait également naître une portion de voie rapide électrique en Italie, au nord de Milan.
Outre-Rhin, tout a débuté en juin 2018. Le gouvernement lance alors le projet « Trucks for German eHighways ». Ce plan débouche un an plus tard sur la construction d’une première portion d’autoroute électrifiée. Le segment choisi s’étend au sud de Francfort. Il accueille chaque jour 135 000 véhicules, dont 10 % de poids lourds.
« On ne verra pas pour autant tout de suite des caténaires pousser le long de toutes les voies de circulation allemandes. Seuls quelques axes routiers principaux en seront équipés », modère Karl-Friedrich Ziegahn, professeur à l’université de Karlsruhe, spécialiste des transports. Malgré tout, l’objectif est d’atteindre 1 000 km d’eHighway en 2025 et entre 3 000 et 4 000 km d’ici à 2035.
Comment ça marche ?
En gros, il s’agit d’électrifier une autoroute. L’étape principale consiste à installer des caténaires sur la voie de droite. Cet ensemble de portiques et de fils électriques, comme on en croise en ville sur le trajet des trolleybus ou tout simplement le long des voies ferrées, permet au courant de circuler. Il faut ensuite équiper les camions et les autobus de pantographes. Installés au-dessus de leur cabine, ces éléments permettent de capter l’électricité en faisant la liaison avec les câbles. Et le tour est joué ! Les poids lourds sont dans un premier temps équipés de moteurs hybrides Diesel/électriques. Avec ce système, l’alimentation en électricité s’effectue sans avoir recours à aucune batterie. Les véhicules peuvent dès lors circuler en mode 100 % électrique, jusqu’à 90 km/h, sans aucun rejet.
Lorsqu’ils doivent quitter la voie électrifiée (par exemple, pour procéder à un dépassement ou pour prendre une sortie et rejoindre leur destination), les camions sont alors alimentés soit par leur moteur électrique, soit par leur moteur thermique. A terme, ces voies rapides pourront accueillir des poids lourds 100 % électriques. En cas d’accident, l’alimentation des câbles de 650 volts est instantanément coupée. Les chauffeurs qui testent le système allemand sont ravis : « C’est une sensation très étonnante de conduire un camion électrique. On n’entend plus le moteur. On est tellement surpris qu’on se demande ce qu’il se passe », confie l’un des participants au test.
Qui s’en occupe ?
L’eHighway de Francfort est l’une des solutions de transport de marchandises neutres imaginées sous l’impulsion du ministère de l’Environnement allemand. Elle est développée en collaboration avec l’industriel Siemens. Les premiers camions sont fournis par le constructeur suédois Scania. Il s’agit de modèles R450 à motorisation hybride Diesel/électrique qui sont munis de pantographes Siemens.
L’Etat allemand a mis la main à la poche et a financé l’installation en test dans la Hesse à hauteur de 14,6 millions d’euros, pour un investissement total s’élevant à 30 millions d’euros. Du côté des camions, le surcoût s’élève à environ 150 000 euros par véhicule. Selon le ministère, le nombre de poids lourds aptes à circuler en mode connecté devrait être multiplié par cinq d’ici à 2020.
Bientôt en Italie…
Le tour de l’Italie viendra sous peu. Le pays est actuellement en phase de test. C’est l’autoroute A35 qui relie Brescia, Bergame et Milan, dans le nord du pays – la Lombardie est le plus important pôle économique italien – qui accueillera la première autoroute électrique. C’est la portion comprise entre le péage de Romano di Lombardia et la sortie Calcio qui a été choisie. Les poids lourds y représentent près du tiers du trafic. On retrouve Siemens et Scania aux avant-postes de ce projet.
Les deux industriels ont signé un partenariat avec la société d’exploitation et le concédant Concessioni Autostradali Lombarde (CAL). Le contrat prévoit d’électrifier la voie la plus lente, sur 6 km et dans les deux sens, d’ici à 2020. Dans un premier temps, l’objectif consiste à vérifier l’efficacité et la durabilité économique et environnementale du projet…
Quels avantages ?
L’autoroute électrique possède bien des atouts. Sa technologie – celle des trolleybus circulant dans de nombreuses villes du nord de l’Europe, notamment – est bien connue et éprouvée. Nécessitant un niveau d’investissement réduit, elle s’adapte aux autoroutes actuelles sans grosses modifications. Requérant seulement l’installation de caténaires sur leur voie de droite, elle impose toutefois l’utilisation de camions hybrides ou électriques à pantographes.
En revanche, ceux-ci n’ont pas besoin d’embarquer d’énormes batteries. A terme, cette technologie acceptera l’utilisation de camions tout-électriques (Tesla vient de présenter le sien) –sur l’eHighway, ceux-ci rouleront en mode 100 % électrique sans vider leur batterie. Un tel dispositif permet de réduire la consommation et la pollution des poids lourds, d’allonger l’autonomie des camions en mode tout-électrique et, last but not least, aux entreprises de transports de réaliser de substantielles économies sur leur facture de carburant.
Pour quels gains ?
Un camion consomme 35 litres de gasoil au 100 km. Il rejette environ 900 g de CO2 par kilomètre. Un camion électrique, pour sa part, n’émet que 60 g de CO2… soit quinze fois moins ! Siemens a ainsi calculé que si 30 % du trafic des poids lourds était électrifié en Allemagne, le secteur des transports verrait ses émissions de CO2 diminuer de 6 millions de tonnes par an. Sur l’eHighway, un camion de 40 tonnes économiserait, en outre, 20 euros de carburant tous les 100 km, soit 20 000 euros pour 100 000 km. Intéressant ! Qu’en est-il de la France ? En matière d’autoroute électrique, notre pays paraît malheureusement bloqué sur la bande d’arrêt d’urgence. Sur les 11 000 km de voies rapides (dont 9 000 km à péage), aucun projet ne pointe encore à l’horizon…
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