The Good Business
Acculée par le manque d’espace, coincée entre mer et montagne, la principauté de Monaco doit faire face à l’étroitesse de son territoire d’une superficie de 2,02 km2 seulement. Pourtant, l’exiguïté de la cité-Etat est inversement proportionnelle à l’ambition de ses projets urbanistiques. Cet incroyable projet prévoit une extension en mer de 6 hectares dans le quartier de l’anse du Portier.
Toute l’histoire de l’urbanisation moderne de Monaco peut être résumée par la bataille acharnée que la cité-Etat a menée pour acquérir de l’espace. Le moindre mètre carré gagné étant la promesse d’une possibilité de développement, d’une optimisation des infrastructures et de profits juteux. Dès le XIXe siècle, Monaco s’engage dans des chantiers d’aménagements urbains, se jouant de ses contraintes territoriales. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Principauté comprend qu’il est indispensable de s’assurer d’autres sources de revenus que le tourisme. Le prince Rainier III s’attache alors à faire de Monaco un environnement attractif pour les industries. Pari réussi, puisque la cité-Etat passe d’une population d’environ 10 000 salariés à la fin des années 50 à plus de 45 000 aujourd’hui.
Avec 37 800 habitants et une densité de 18 000 habitants au kilomètre carré (2015), Monaco se condamne à être en chantier permanent. L’extension est pensée en trois dimensions : verticale, souterraine et horizontale, la seule possibilité dans ce dernier cas étant de gagner de l’espace sur la mer. Dès 1961, un premier terre-plein, dans le quartier du Portier, voit le jour, qui permet de conquérir 3,5 hectares. En 1963, la Principauté enchaîne avec les terre-pleins du Sporting et du Larvotto. Ce sont 13 hectares supplémentaires de gagnés. Le record est établi en 1971 avec la construction du terre-plein de Fontvieille et 22 hectares conquis sur la mer. Bingo ! En 2003, l’aménagement du port Hercule permet cette fois un gain d’environ 9 hectares. En près de cent cinquante ans, la principauté de Monaco a réussi à s’accroître de plus de 40 hectares, soit l’équivalent de 20 % de sa superficie d’origine, démontrant sa capacité à compenser l’exiguïté de son territoire par la transformation d’une partie de ses eaux territoriales en terrains constructibles. C’est donc dans la continuité de ces grands ouvrages d’urbanisme maritime initiés par « le prince bâtisseur » que son héritier, le prince Albert II, lance officiellement, en 2006, un appel d’offres pour un nouveau projet d’extension en mer, dont l’objectif est de gagner 10 hectares. Le projet est titanesque et son coût total est estimé à environ 8 milliards d’euros. En 2008, le projet est pourtant subitement abandonné. Les protestations virulentes de nombreuses organisations écologiques et environnementales ajoutées au contexte global de crises économique et financière ont raison du projet. Qui est finalement exhumé en 2013. Mais les ambitions sont alors revues à la baisse quant à la superficie envisagée (6 hectares au lieu de 10) et à la hausse, d’un point de vue environnemental.
Un écoquartier construit sur la mer
Le 3 mai 2013, un appel à candidatures international est lancé, visant à sélectionner un groupement d’entreprises capable d’appréhender le projet urbain dans sa globalité, de sa conception à sa réalisation, tout en assumant la totalité des coûts de construction, jusqu’à sa commercialisation. Quatre groupements de candidats répondent présent : Vinci, la société de construction navale italienne Fincantieri, ardemment soutenue par le gouvernement italien, Terraforma Monaco Gildo Pastor Pallanca et la société anonyme monégasque (SAM) L’Anse du Portier. Le 15 janvier 2014, le gouvernement monégasque décide d’entrer en négociation exclusive avec cette dernière, qui regroupe, entre autres, Bouygues Travaux Publics et Le Portier Holding SCA pour une durée de douze à dix-huit mois, afin d’élaborer un traité définissant l’ensemble des modalités techniques, juridiques et financières pour la réalisation du projet. Au sein du groupement de la SAM L’Anse du Portier, on note de nombreuses entreprises de construction monégasques, assurant de facto l’implication d’acteurs économiques régionaux, souvent propriétés de la famille Pastor, véritable dynastie immobilière presque systématiquement associée aux grands travaux menés par la Principauté. Il est prévu que les investisseurs se financent sur l’exploitation et la commercialisation des surfaces immobilières construites selon un traité de concession. Ce qui est désormais présenté comme un écoquartier sera construit, si tout va bien, dans l’anse du Portier, au pied du Jardin japonais, soit entre l’hôtel Fairmont et le Grimaldi Forum. Le projet est délimité en mer par deux réserves naturelles protégées (la réserve du Larvotto, au nord-est, et le tombant coralligène des Spélugues, au sud-ouest). Un trio d’architectes – Renzo Piano, Alexandre Giraldi et Denis Valode – et un paysagiste – Michel Desvigne – ont été chargés de donner forme et vie à cette presqu’île artificielle pour qu’elle s’intègre au mieux à l’environnement existant.
C’est l’agence Valode & Pistre qui pilote l’ensemble du projet. « Créer une extension en mer est une action artificielle, rappelle Denis Valode. La conception du projet cherche, a contrario, à accréditer l’idée que ce nouveau territoire gagné sur la mer est naturel. Elle s’applique à créer deux écosystèmes, l’un terrestre, sur l’extension, l’autre marin, au droit à l’extension. » Sont prévus 60 000 m2 pour accueillir des logements de luxe, des immeubles d’une dizaine d’étages et des villas en bord de mer, « à l’instar des premières urbanisations de la Riviera », des commerces, des équipements publics impliquant notamment une extension du Grimaldi Forum (3 500 m2), un parking public souterrain, un port de plaisance (30 anneaux seulement), un parc végétalisé de un hectare, en colline, des jardins d’eau, etc. Le tout dans une profusion de nature domestiquée et durable promise à une ribambelle de certifications environnementales. N’en jetez plus ! Concernant la réalisation de l’infrastructure maritime, le socle du projet, son coût est estimé à un milliard d’euros, la seule voie d’accès pour mener le chantier à bien étant la mer. Il s’agit d’un terre-plein entouré d’une ceinture de 18 caissons en béton armé hauts de 26 mètres et pesant 10 000 tonnes chacun, fabriqués dans le port de Fos-sur-Mer. Le tout reposera sur un remblai sous-marin constitué de matériaux élaborés en carrières, livrés à Monaco depuis le port de Toulon. Une fois les caissons remorqués vers Monaco, ils seront échoués sur le remblai d’assise. La construction finale du terre-plein pourra alors commencer, avec du sable marin extrait au nord de la Sicile. Son achèvement est prévu en 2020. Démarreront ensuite les travaux de superstructures et de construction.
La durée totale du chantier est estimée, pour le moment, à une dizaine d’années. Dantesque ! Le coût total de l’extension en mer de l’anse du Portier (on ignore à ce jour quel sera le nom de baptême de ce nouveau quartier) est évalué à deux milliards d’euros. Une loi doit toutefois être adoptée cet été pour sceller l’avenir du projet. Ce texte prévoit la désaffectation des parcelles du domaine public (soumis au vote du Conseil national), destinées à accueillir les constructions privées, l’intégration du futur terre-plein dans le domaine public de l’État au fur et à mesure de sa construction et la cession des équipements publics (port, extension du Grimaldi Forum, parking, etc.) à l’État. Au total, la principauté de Monaco recevrait plus de un demi-milliard d’euros en aménagements publics, sans avoir déboursé un centime. Ainsi tous les regards sont-ils tournés vers la mer. A la mer de tenir ses promesses…