The Good Business
La presse automobile fait toujours bonne figure en Europe, si l’on en juge par le nombre de magazines dédiés chez les marchands de journaux britanniques, allemands, italiens ou français. Pourtant, elle n’échappe pas au tsunami numérique, qui oblige les éditions papier à multiplier les applications en ligne et à rechercher un nouveau business-modèle.
Cette offre abondante dans les kiosques, ces couvertures chatoyantes sur papier glacé sur lesquelles rugissent de splendides bolides d’hier ou d’aujourd’hui font assurément rêver, mais ne doivent cependant pas faire trop illusion. Qu’ils s’appellent, tels ces luxueux magazines anglophones, Octane, TopGear, MotorSport ou Classic & Sports Car, ceux-ci relèvent tous de la presse dite « de niche », une catégorie plus à l’abri de la crise de mutation des médias.
Ces magazines visent une clientèle plutôt réduite et très spécifique, souvent élitiste, de passionnés de voitures de course, de compétitions automobiles, de collectionneurs de voitures anciennes… Ils sont donc prêts à débourser, chaque mois, l’équivalent d’une dizaine d’euros pour assouvir leur passion. Et peu concernés par une édition numérique, ils font volontiers trôner ces élégantes revues sur la table basse de leur salon.
Les couvertures et les articles sont agrémentés de magnifiques illustrations, parfois sur doubles pages détachables, tandis que les publicités vintage et les annonces de ventes aux enchères ont tout pour séduire ces lecteurs nostalgiques. Ils rêvent alors de la rouge Aston Martin DB6 Mki Vantage 1967, de la Lamborghini Countach 5000 QV des années 70 ou de la Jaguar Type E… Le londonien Classic & Sports Car, du groupe média Haymarket, propose, dans son édition du printemps dernier, une longue success-story avec, cette fois, des photos noir et blanc, intitulée « Artisans from lost age » (artisans des temps anciens), où, dans les années 30, de belles élégantes en chapeau posaient devant les flamboyantes Panhard, Bugatti ou Delage et autres cabriolets imaginés par le carrossier Gaston Grümmer de Clichy-sur-Seine. Au même moment, son concurrent britannique MotorSport, fondé en 1924, consacre un article titré « Changing of the old guard » (la relève de la vieille garde) aux jeunes pilotes roulant, un demi-siècle plus tard, à bord de semblables bolides sur les traces de leurs illustres prédécesseurs.
Les poids lourds du secteur
Mais, bien sûr, en termes de diffusion, ces prestigieux journaux prisés par les passionnés de bolides et les collectionneurs « vintage » sont largement devancés par les poids lourds de la presse automobile, dont la spécialité est de tester les nouveaux modèles afin d’aider les futurs acquéreurs de véhicules plus classiques à trouver la voiture qui leur convient. Ce sont notamment les anglophones Car, du groupe Bauer, qui diffuse à 300 000 exemplaires en Grande-Bretagne et dispose d’une douzaine d’éditions étrangères, sous licence, comme en Chine ou au Brésil et, d’autre part, le quadragénaire What Car ?. Son audience est de 1,4 million en Grande-Bretagne et de 214 millions aux Etats-Unis !
Citons également, dans ce peloton de tête, le mensuel Auto Motor und Sport, en Allemagne, et Quattroruote, en Italie. Enfin, en France, l’hebdomadaire Auto Plus (2,10 €), le mensuel Auto Moto (3,95 €), le bimensuel L’Auto-journal (3,90 €), ou le mensuel L’Automobile magazine (5,50 €), dont le slogan est « Toute l’actu auto depuis soixante-dix ans ». Selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), ces titres spécialisés en France oscillent entre 267 900 exemplaires pour Auto Plus, 152 900 exemplaires pour Auto Moto, et quelque 109 000 pour L’Auto- journal et L’Automobile magazine.
Si l’on compare les unes de ces deux derniers titres en kiosque le même mois, on voit bien qu’il s’agit de viser non pas les collectionneurs ou les nostalgiques, mais les futurs acquéreurs de voitures. Ainsi, L’Auto-journal propose un spécial SUV avec des questions telles qu’« Au-delà du look, comment choisir ? ». De son côté, L’Automobile magazine présente « Les must du salon 2018 » (de Genève) et annonce un dossier de 26 pages sur « Le nouveau pari premium de Peugeot ». Enfin, pour les thèmes des éditoriaux, on notera que le rédacteur en chef de L’Auto-journal fait le constat que « Le diesel bouge encore », tandis que celui de L’Automobile magazine déplore que « l’intelligence » de cette industrie ne soit plus guère récompensée.
Un brin lyrique, il conclut ainsi son propos : « …l’industrie automobile ne peut juste se contenter d’agiter les chiffons de l’électrique et de la conduite autonome (…). A moins d’être un moulin à vent qui profite de la brise du moment au lieu d’imaginer demain et d’insuffler l’envie. » Toujours selon le classement ACPM, le leader français du marché, Auto Plus (groupe Mondadori), dont les ventes papier s’appuient sur plus de 40 % d’abonnés, connaissait, fin 2017, une légère érosion de sa diffusion (baisse d’environ 10 % en cinq ans).
Les versions numériques, elles, représentaient moins de 2 % de la diffusion individuelle payée. Le lectorat reste largement masculin « même si, note un expert du secteur, les femmes deviennent de plus en plus prescriptrices pour l’achat d’une voiture et ne s’intéressent plus seulement à la couleur de la carrosserie ou des sièges ! » L’étude d’audience pour Auto Plus dénombre, en 2017, plus de 1,6 million de lecteurs pour 412 000 lectrices.
Etre utile au lecteur
Pour booster ses ventes, Auto Plus a sorti, début 2018, une nouvelle formule à l’occasion de son 30e anniversaire, avec une mise en page plus moderne et un accent mis sur son laboratoire d’essais indépendant et sur les rubriques résolument pratiques telles que « Les infos anti-PV » (nouvelles lois, radars, privatisation du stationnement payant…), « Le bureau des vérifs » (examen des promesses publicitaires) ou « SOS experts Auto Plus » (avocats, médecins, experts aident les automobilistes perdus dans la jungle des réglementations).
Mais aussi, et toujours, des titres de une providentiels, comme « Radars. 4 nouveaux pièges. Ne vous faites pas surprendre sur la route des vacances ! ». Fort de ce nouveau sommaire et de telles enquêtes annoncées en couverture, toutes résolument conçues au service du lecteur, Auto Plus proclame qu’il est « le seul journal qui se met à la place du conducteur… »
Pour les titres grand public de la presse automobile – et cela est vrai aussi pour les news-magazines et les quotidiens d’information générale –, c’est assurément en se rendant le plus utiles possible à leurs lecteurs et à leurs lectrices qu’ils parviendront, malgré les nombreuses ornières et intempéries de l’ère numérique, à toujours… tenir la route.