The Good Business
Sa stature et son franc-parler évoquent plus la haute mer de ses racines bretonnes que les sinuosités des métiers de la publicité. Inconnu du grand public, mais prisé pour son excellence à transformer vite et bien, le patron de Publicis Media France fuit les cocktails, appelle ses 850 collaborateurs par leur prénom et dit passer ses journées au chevet… de ses clients !
On sent d’emblée, chez lui, une belle et rare aptitude à ignorer les codes. Les dîners mondains en baskets et costumes chic, les cocktails aux saveurs de lobbying, tout cela semble filer au large de son épais collier de barbe. Quand d’autres dirigeants accordent leurs entretiens dans l’anonymat d’une salle de réunion, lui vous accueille dans son petit bureau bien à lui, peuplé d’objets et de photos qui lui sont chers. Et pas question d’attaquer une interview sans évoquer sa famille, qu’il chérit par-dessus tout : une mère institutrice, un père marin à Paimpol, d’où Gautier Picquet est originaire.
Cet ancien élève « pas vraiment bon à l’école », et pas très chaud pour faire des études de commerce (qu’il a quand même menées à bien !), se rêvait d’abord en chef de la haute gastronomie. Mais contre toute attente, c’est dans la pub que ce « non-Parisien », étranger au microcosme, ira décrocher ses étoiles. Son parcours s’amorce par un séjour d’une décennie chez Prisma, aux côtés d’Axel Gantz. « J’ai eu la chance de travailler avec ce grand monsieur charismatique. J’ai appris à ses côtés que le bon travail devait rimer avec passion », se souvient-il. Puis il poursuit sa route à la barre de plusieurs agences : Mindshare (groupe WPP), Optimedia (Publicis) et Zenith, devenue ZenithOptimedia.
Un périple que le CEO accomplit au cœur de grands groupes – Nestlé, L’Oréal… – et dans l’effervescence d’une révolution numérique où il évolue comme un poisson dans l’océan. Gautier Picquet pilote et réorganise aujourd’hui cinq agences, dont la dernière-née, Spark Foundry, accompagne la marque Bel, ravie au groupe Omnicom au terme d’un appel d’offres par lequel le groupe laitier lui confie son budget média sur 22 marchés.
Mission : réduire la « TV‑dépendance » de Bel, et muscler son offre numérique. « Le marketing one-to-one, hyperpersonnalisé, s’est substitué à la ménagère de moins de 50 ans, explique Gautier Picquet. Avant, la pub était souvent une dépense média perçue comme un mal nécessaire. Aujourd’hui, elle est un investissement à la croissance. Et ça change tout. »
Son rôle à la tête de Publicis Media France, il le compare à celui d’un chef d’orchestre. « Ma vision globale consiste à décider à quel moment le trombone doit jouer, et à quel autre la batterie devra s’exprimer. Il m’appartient de m’assurer que mon orchestre – mes 850 collaborateurs, que je connais parfaitement – traduit bien la partition musicale de mes clients. »
Une compétence qui vaut à son profil de pâtir d’un défaut notoire, qu’il cultive et revendique, non sans un zeste de gourmandise : celui de rester… chez lui, le soir, quand ses comparses courent les dîners mondains. Au grand dam d’Arthur Sadoun, le big boss de Publicis, qui ne manque pas de le railler à ce sujet ! Autre possible bémol dans cette symphonie bien rodée : une certaine propension à brûler les étapes – à son arrivée, en mars 2016, il pensait monter son équipe en trois mois, il lui en a fallu quinze de plus ! – et à entraîner ses troupes dans un métier passion où les journées n’ont pas d’horloge, lui qui avale ses dix-huit heures de travail quotidiennes sans le moindre hoquet.
« l’infidélité des clients est une formidable épée de Damoclès »
Mais le bourreau de travail a le cœur grand et l’esprit ouvert. On le trouve engagé à défendre les couleurs de Noemi, une association qui plaide pour la reconnaissance du handicap, de sa différence porteuse de valeurs positives. Et le non-matheux de citer Antoine de Saint-Exupéry : « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. » Dans son métier aussi, il s’essaie à naviguer à contre-courant des recrutements formatés.
D’où ce rejet du CV auquel il ne croit pas. « Je choisis des personnalités. Je ne regarde pas les CV. Même une personne sans le bac peut avoir sa chance. Malheureusement, notre métier “lisse” encore trop les profils. » Le retour sur investissement de cette refonte du pôle média de Publicis ne se fait pas attendre – l’agence enregistre cette année l’une des plus fortes croissances du marché –, mais le meneur d’hommes sait qu’il doit maintenant appuyer sur l’accélérateur. Avec, dans ses traces, une Havas Media France et un groupM eux aussi dans les starting-blocks de la réorganisation. « Le socle de mon métier, c’est la confiance », affirme Gautier Picquet. Et l’infidélité des clients une stimulante épée de Damoclès…
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