Culture
Musique ou cuisine ? Mixage ou mixeur ? Table tournante ou table à manger ? Pourquoi choisir quand on peut faire les deux ? C’est ce qu’a fait une bande de copains en fondant, en 2015, le label Animal Records & Kitchen. Rapidement infiltré dans les festivals et événements en misant sur ses deux forces, il franchit aujourd'hui une nouvelle étape en ouvrant son propre restaurant, Pantobaguette, à Paris.
À première vue, Pantobaguette ressemble à n’importe quel restaurant de quartier : terrasse improvisée sur les espaces de stationnement, jolie façade noire, néon au graphisme dodu. Un bar qui fait le lien entre la salle et la cuisine partiellement ouverte, des tables hautes, une étagère remplie de vinyles. Il faut tout de même revenir sur ce nom… On a beau se casser la tête, on ne voit pas bien ce que Pantobaguette veut dire.
Un personnage de manga ? Une métaphore ? Non. Juste un mix, composé des prénoms des fondateurs : Paul, Anto, Tom, Barth, Gauthier. Antonin, c’est le chef de la bande, soit le chef de cuisine. Celui qui possède les bases, les techniques, mais aussi une très forte identité culinaire. C’est lui qui a formé ses partenaires à la cuisine. Paul est devenu son second et s’est pris de passion pour le pain, Thomas fait les cocktails.
« À la base, on avait un groupe de musique et un petit studio. On avait envie de faire quelque chose, mais, il y a sept ans, la scène électro était bien saturée et on ne savait pas trop comment faire vivre un label de musique en se démarquant des autres. Je sortais de l’école de cuisine Ferrandi et on s’est dit : faisons un label hybride. En même temps qu’on aura des artistes en studio qu’on formera et fera éclore, on aura des chefs qu’on essaiera aussi de placer dans des pop-up, des événements, des festivals. Le premier lieu dans lequel on a cuisiné, c’est le Point Éphémère, sur le canal Saint-Martin. On faisait jouer nos groupes et on y cuisinait. »
Le mix du label Animal Records & Kitchen fonctionne, porté par une génération qui ne veut plus des assiettes bâclées des lieux de rassemblement et de fêtes. Le fooding est passé par là, ces grands événements culinaires qui rassemblent des milliers de personnes venues goûter aux petites assiettes que de jeunes chefs allumés préparent dans des stands hors du confort de leur cuisine. Au même moment, ce sont les food- trucks qui démontent les clichés et s’installent dans les festivals.
Les mix inattendus de Pantobaguette
Aimer la musique ne signifie plus se contenter d’une mauvaise bière dans un gobelet en plastique ou d’un médiocre hot dog spongieux. La streetfood s’impose comme le nouveau dogme. Elle est consensuelle, mais pas ennuyeuse, elle est créative, elle fait voyager.
De son côté, la cuisine emprunte à la musique son vocabulaire : on parle de programmation, de guests, de live, de performance culinaire, de scène, de plats qui pulsent et percutent… Les chefs deviennent mobiles, ouvrent des pop-up, échangent leurs cuisines, font des tournées.
Les gars de Pantobaguette n’ont fait que réunir ces deux univers, avec légitimité, avec professionnalisme aussi, car nourrir des centaines de personnes par jour dans un festival ne s’improvise pas, ouvrir un restaurant non plus.
Si les propositions varient selon les contextes, la cuisine d’Animal Kitchen réunit les points communs. Il y avait déjà dans les plats du Point Éphémère les prémices de la cuisine d’Antonin : une spontanéité, une liberté qui lui permettent d’oser des mix inattendus, où rien n’est prédéfini, n’entre dans des cases. Certes, le marqueur japonais est le plus fort. Traces indélébiles de son expérience à Sydney auprès du chef Tetsuya Wakuda, mais il y a indifféremment de l’espagnol, du basque, de l’italien, du franchouillard aussi, dans ses assiettes, avec des assaisonnements puissants et marqués.
Quelques exemples : les takoyaki (boulettes de poulpe) surmontés de flocons dansants de bonite séchée, les croquettes de boudin noir avec fromage blanc au curry, les œufs fermentés sauce wasabi, les brochettes de jambon, le taloa ou la pita Panto. Une fusion qui ose dire son nom, qui bouscule les préjugés autant que les papilles.
Des live Furikake
« Pantobaguette, c’est le point d’aboutissement de notre concept. Certes, le lieu est plus petit que ce qu’on aurait souhaité. On y fera difficilement des lives, mais on compte inviter aux platines autant des disquaires, des musiciens que des vignerons, des cuisiniers passionnés de vinyles qui joueront leur sélection musicale. Nous-mêmes passons des disques en même temps que nous cuisinons. Mettre une playlist, c’est sympa, mais quand tu la crées en direct, tu provoques une autre énergie. Si tu as un truc sur le feu, tu pioches un peu au hasard, ou tu choisis un truc un peu dynamisant.
Et puis on va faire des live Furikake (comme le condiment japonais), vraiment hybrides. Un accord musical et culinaire en sept ou huit étapes sur réservation pour une vingtaine de clients. On déroule le menu en direct et, par exemple, pendant que je bombarde avec mon Thermomix pour faire une émulsion, on enregistre le son et on l’intègre dans notre musique ; pendant qu’on fait blanchir des asperges, on a une ambiance de bulles qui devient un peu envahissante, il y a le bruit du shaker, on parle, on chante… Thomas, Paul et moi touchons là autant à la création musicale que culinaire dans ce live, c’est hyperexpérimental. On en a déjà fait deux et c’est très cool. » On veut bien le croire…
La playlist accords plats et musique de Pantobaguette :
• Takoyaki (boulettes au poulpe) / Hubbabubbaklubb, Mopedbart.
• Crabe mou, lard kintoa, guindillas / Music to Soothe The Savage Snake Plant, Mort Garson.
• Cocktail gin Apostoles Mate, céleri, coriandre, ponzu, shichimi, eau gazeuse / Move Your Body, Marshall Jefferson.
• Poulpe grillé, pastèque fumée, asperges sauvages / Mind Mischief, Tame Impala.
• Bloody Maria from Osaka (mezcal, jus de tomate, sauce soja, wasabi, yuzu) / Turn My Back On You, Sade.
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