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Icône discrète et navigateur passionné, l’héritier monégasque préfère l’infini de la mer aux mondanités des salons. Son défi du moment : l’Admiral’s Cup, prévue du 17 juillet au 1er août 2025, aux abords de l’île de Wight. Sur l’eau comme dans la vie, il trace sa route, maintient son cap. À Monte-Carlo, il nous a embarqués sur Tuiga, son voilier fétiche. Rencontre exclusive avec notre cover star du mois d'avril.
Et soudain, à la surprise générale, il plonge. Dans cette eau qui, en ce dimanche de fin février, doit titrer à tout casser 14 degrés, Pierre Casiraghi émerge torse nu, avec des airs d’enfant espiègle fier de son coup. Avant de remonter à la force des bras sur Tuiga, le vaisseau amiral du Yacht Club de Monaco sur lequel il a tenu à nous embarquer.
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Pierre Casiraghi : mer en héritage
Coup de frime ? Franchement ? Même pas. C’est peu dire qu’il semble davantage dans son élément à la mer que sur la terre ferme. Plus tôt, tandis qu’il posait pour des portraits plus formels à l’intérieur du Yacht Club – un lieu qui lui est pourtant familier : il en est le vice-président –, on a bien senti que l’expression « prendre le large » relevait, pour lui, de l’urgence vitale. Une soif de liberté qui saute aux yeux et fait remonter des souvenirs baudelairiens – « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! »

S’il tient son rôle avec une classe irréprochable aux côtés des autres membres de la famille princière monégasque lors de diverses occasions officielles, on ne peut pas dire qu’il monopolise le devant de la scène. Ni qu’il alimente la presse à scandale, laquelle trouva longtemps sur le Rocher une source d’inspiration inépuisable. La génération précédente a payé le prix fort, la sienne a appris à se protéger.
Pierre Casiraghi est un homme réservé, à la présence médiatique rarissime. On pressent ce fan de béhourd – un sport de combat datant du Moyen Âge – peu enclin à fendre l’armure. Mais quand il débarque sur le shooting, longue silhouette athlétique à la démarche féline, tignasse blonde en bataille et mine de capitaine, il prend la peine de serrer la main à toute l’équipe. Regard direct, poignée franche, qui envoie moins la vibe du politique en goguette que celle de la camaraderie du gentleman sportif.

On le comprendra plus tard, il a le sens du collectif. Mais aussi l’esprit de compétition, et, si l’on en juge par les cicatrices qu’il assume non sans fierté, le goût du risque. Lui, c’est sur l’eau qu’il aime jouer avec le feu. Il se prépare à participer cet été à l’une des courses les plus difficiles au monde, l’Admiral’s Cup – on y reviendra.
Une lignée de marins
Skippeur averti et multiprimé, Pierre Casiraghi, 37 ans, a pourtant un parcours nautique atypique. Il n’a jamais pris un cours de voile de sa vie. Mais il a, pour ainsi dire, reçu la mer en héritage. « La passion pour la voile est familiale, glisse-t-il. Nous sommes une lignée de marins. Pendant la guerre de Cent Ans, mon ancêtre Rainier Ier, premier seigneur de Monaco, nommé amiral de France par Philippe le Bel, allait combattre les Anglais. »

Huit siècles plus tard, le petit Pierre sent bien que la mer est un chouette terrain de jeu, mais surtout un espace de liberté infini : il se souvient que quand, vers l’âge de 10 ans, il sort pour la première fois de la baie de Monaco, son horizon s’éclaire. Après s’être formé à la course au large avec le skippeur italien Giovanni Soldini, il gagne à 22 ans sa première course sur Tuiga, yacht de course construit en Écosse en 1909 par le mythique architecte naval Fife.
Acheté à l’état d’épave en 1995 par le prince Albert, président du Yacht Club de Monaco, il a fait l’objet d’une restauration complète. Ce voilier aux lignes follement chic est aujourd’hui l’un des quatre derniers 15 mètres JI encore en navigation. Manœuvrer ce bijou qui ne possède pas de winchs exige de la force mentale, mais aussi un équipage d’une vingtaine de personnes parfaitement alignées.

C’est ce travail collectif qui fait vibrer Pierre Casiraghi. « Courir en solitaire ne m’intéresse pas. J’aime l’esprit d’équipe, le groupe qui se coordonne, quand on communique tellement bien qu’on communie », confie-t-il. Il est aussi persuadé qu’à la classe du yacht doit répondre celle des marins. « J’aime un équipage en harmonie avec le bateau. Ça nous aide à gagner. Un bateau élégant navigue mieux », jure-t-il.
En matière de style, la mer le suit même sur la terre ferme : son vêtement fétiche est un caban qu’il ne quitte pas, et qui, bien que siglé Dior Men et taillé dans un magnifique cachemire, possède les caractéristiques techniques de la veste des vrais loups de mer – boutonnage dans les deux sens pour se protéger du vent, d’où qu’il vienne, patte de serrage au col… La mode n’est peut-être pas sa passion, mais « l’élégance est une forme de respect de l’autre. Je m’adapte sans trop réfléchir à toutes les circonstances », observe-t-il.
Il sait ce qui lui va et ce qu’il veut (ou non) porter. La chemise prévue pour une des photos peine à conte – nir sa carrure ? Qu’à cela ne tienne, sa femme vient à la rescousse avec une valise de vêtements personnels. Leur complicité – ils se parlent en italien – est évidente. Elle, c’est Beatrice Borromeo, aristocrate brillante rencontrée sur les bancs de l’uni – versité Bocconi, à Milan, où Pierre a étudié l’économie internationale et la gestion. Ils se sont mariés en 2015 sur les rives du Lac Majeur, et ont deux fils de 7 et 8 ans.

Journaliste respectée, elle s’est distinguée par des papiers anti-Berlusconi et a réalisé Dans l’ombre du trône : Victor-Emmanuel de Savoie, une excellente minisérie documentaire aux airs de thriller judiciaire, qui a fait sensation sur Netflix l’été der – nier… et a fort déplu aux héritiers de la couronne d’Italie. Le couple se montre juste ce qu’il faut, mais finit toujours classé, sans sembler avoir fait le moindre effort, dans le palma – rès des Best Dressed du gotha.
Bientôt l’Admiral’s Cup
Là aussi, l’allure personnelle de Pierre Casiraghi est une affaire d’héritage. S’il a une relation particulière avec la maison Dior, c’est aussi parce que la marque le lie à son père, disparu dans un tragique accident en mer quand lui n’avait que 3 ans. « J’ai trouvé des costumes Dior de mon père que j’ai fait retailler, glisse-t-il. Dior fait de très belles vestes, dans lesquelles je me sens bien, dans lesquelles je suis à l’aise, et qui ne masquent pas ma personnalité. »

Et lui, que souhaite-t-il transmettre à ses fils en matière de style ? « Faire simple. Rester simple », répond Pierre Casiraghi. Car pour lui, la simplicité est une forme de liberté. Voire, dans le cadre protocolaire de la principauté, de léger anticonformisme. À cet égard, on ne peut s’empêcher de remarquer qu’il porte sa Richard Mille rouge au poignet droit alors qu’il n’est manifestement pas gaucher. « C’est pour ne pas être gêné par la couronne de remontoir », sourit-il.
Car il s’apprête à bouger peut-être encore plus que d’habitude. Il se prépare activement à participer à la prochaine édition de l’Admiral’s Cup, prévue du 17 juillet au 1er août 2025, à Cowes, sur l’île de Wight. Cette compétition prestigieuse, souvent considérée comme la « coupe du monde officieuse de la course au large », n’a pas été organisée depuis plus de vingt ans, la dernière édition remontant à 2003.

L’Admiral’s Cup combine des régates côtières techniques et des courses au large exigeantes, telles que la légendaire Rolex Fastnet Race, réputée pour sa dangerosité en raison des conditions météorologiques souvent difficiles et des défis inhérents à la navigation en haute mer. Sur la Fastnet, il s’est déjà fait la main en 2017, où il a concouru en duo avec Boris Herrmann à bord de Malizia II, terminant à la troisième place dans la catégorie IMOCA.
Pour cette première participation historique, le Yacht Club de Monaco alignera deux bateaux : le TP52 Jolt 3, skippé par Peter Harrison, et le Carkeek 40 Jolt 6, que Pierre mènera « avec un équipage axé offshore » précise-t-il. Peur, lui ? Oui, mais non. « On se bat contre les éléments, contre un monstre géant. Une erreur peut en amener une autre et c’est fatal. Mais c’est tout ce que j’aime. Le sport, l’aventure, le partage, la performance technique. On vit des moments de victoire, de découverte. On sait quand on part, mais, par définition, on ne sait pas quand on arrive. Et la plus belle des émotions, c’est l’arrivée au port. »

Marin par passion et icône malgré lui, Pierre Casiraghi n’a manifestement jamais voulu suivre le vent. Il continue à préférer le défier. Sur l’eau comme dans la vie, il trace sa propre ligne d’horizon : audacieuse, élégante, racée. Celle d’un homme libre, en somme.
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Photos : Karen Faurie
Réalisation : Azza Yousif