The Good Business
En cent cinquante ans, cette maison de parfums, qui a compté parmi sa clientèle une grande partie de l’aristocratie anglaise, n’a jamais dévié de sa ligne d’origine : être excentriquement conservatrice.
Si Penhaligon’s était une série télé, une de ses saisons serait réalisée par James Ivory, les autres par Terry Gilliam, Tim Burton, Guy Ritchie… Chaque opus de son portfolio, soit pas moins de 48 flacons, pourrait donner matière à un scénario original. Cette année, cette maison londonienne fête ses 150 ans, et le fait en puisant, une fois encore, dans la culture britannique. Pas moins de six créations célébreront, tout au long de l’année, l’anniversaire de cette parfumerie qui ne s’est jamais compromise.
Quand, en 1869, William Penhaligon, barbier de son état, quitte ses Cornouailles natales pour s’installer à Londres, l’Angleterre vit alors ses plus belles heures victoriennes. Son empire règne sur le monde et l’Aesthetic Movement révolutionne les arts. Aucun milieu artistique n’échappe à l’influence de ce courant qui rompt avec le style conventionnel et étriqué de la Royal Academy, pas même les parfums. Alors qu’il loue depuis un an un fauteuil aux bains turcs de Piccadilly, sur Jermyn Street, notre barbier appose son nom sur les onguents et les lotions qu’il fabrique pour les clients de ce hamman fréquenté par toute l’aristocratie.
Animalité ardente et voluptueuse
Ces messieurs les apprécient, à commencer par Oscar Wilde, qui portera toute sa vie Hamman Bouquet, un jus créé en 1872. Derrière ce bouquet de roses, de jasmin, de lavande et d’iris pallida, on peut déceler l’immoralité sulfureuse et décadente de ce hamman où la gent masculine vient se laver de la poussière des guerres coloniales. A cette époque où l’esthétisme est un vrai style de vie pour les classes supérieures de la société victorienne, ce sillage, qui se sent comme on lit un roman à tiroirs, laisse échapper en fond une animalité aussi ardente que voluptueuse.
Tous les parfums que William Penhaligon composera seront à plusieurs langages. Cette complexité leur a permis de traverser le siècle et d’être toujours actuels. Leurs formules ont été à peine modifiées, juste ce qu’il faut pour se conformer à la législation. Mais revenons au fondateur. Ses affaires fonctionnent si bien qu’en 1874 il reprend, au rez-de-chaussée des bains, le bail d’une boutique. Six ans plus tard, il s’associe avec un autre barbier, Jeavons. La société ne cessera de grandir en notoriété. Elle est même fréquentée par le chah d’Iran qui vient lui-même acheter ses flacons de Hamman Bouquet au 66 Jermyn Street.
L’excellent nez de Walter Penhaligon
William Penhaligon décède brusquement en 1902, suivi quelques semaines plus tard par son comparse. Walter Penhaligon, qui travaillait déjà auprès de son père comme parfumeur, lui succède. Réputé excellent nez, il crée, pour le duc de Marlborough, le somptueux Blenheim Bouquet qui sera porté par un autre membre de cette famille, Winston Churchill. Alors que jusque-là tous les parfums masculins sentent la rose ou la violette, Walter Penhaligon va institutionnaliser la lavande dans leur composition.
Dès lors, elle sera déclinée par différentes marques comme Yardley ou Crabtree & Evelyn, et sera le fil conducteur de toutes les fragrances pour homme… même en France. En 1903, Penhaligon’s se voit attribuer son premier Royal Warrant of Appointment [mandat royal, NDLR], par la reine Alexandra, épouse d’Edouard VII.
Après Walter, son fils Leonard prendra la succession de l’entreprise, mais, à l’aube des années 70, la mode n’est plus à ce style de parfumerie. Penhaligon’s vivote, périclite et, finalement, est sauvée de la banqueroute par Sheila Pickles. Cette femme, qui a un goût sûr pour les odeurs et la passion des fleurs, est alors l’assistante du cinéaste Franco Zeffirelli, client de la maison. Il va l’aider à reprendre la marque. Il semblerait même qu’il fut quelque temps propriétaire du nom.
Penhaligon’s in Paris
Son regard éduqué à la beauté par le metteur en scène, Sheila Pickles n’aura de cesse de poursuivre l’oeuvre de William Penhaligon. Elle se plonge dans les archives et continue de proposer chaque création dans le flacon d’origine avec son ruban de soie noué au col. Ses parfums s’appellent Victorian Posy, Elisabethan Rose, Artemisia… et sont préparés dans l’arrière- boutique du nouveau magasin de Covent Garden.
Aujourd’hui, ils sont tous fabriqués dans le comté du Hampshire. En 1988, Sheila Pickles obtient un troisième Royal Warrant of Appointment, celui du prince de Galles. L’âge venant, elle finit par revendre la société au fonds d’investissement américain Fox Pains & Company. Quand, à son tour, le groupe catalan Puig devient propriétaire de Penhaligon’s, il acquiert un petit trésor qui ne demande qu’à se développer.
Cela tombe d’ailleurs bien, puisque le vintage plaît. Il rassure et demeure, pour beaucoup, synonyme de qualité. Basée désormais à Paris, la nouvelle équipe de création, qui collabore avec les nez les plus réputés, n’a de cesse de cultiver cette tendance. A son tour, elle plonge dans le riche patrimoine pour s’en inspirer. Naissent Halfeti, Oud de Nil, Cairo…
Mais surtout, elle lance une nouvelle collection. Entre Downton Abbey et The Crown, les Portraits racontent avec extravagance et fantaisie les tribulations d’une famille d’aristocrates. Il y a lord George (The Tragedy of Lord George), son épouse lady Blanche (The Revenge of Lady Blanche), sa maîtresse Clara (Clandestine Clara)… Et cet été, un hôte illustre est attendu au manoir, un certain William Penhaligon. Ce qui promet…
Quelques chiffres
• 45 boutiques en propre dont 7 à l’international (Irlande, New York, Singapour, Hong Kong, Taïwan et 2 à Paris).
• 34 pays distribués et 700 boutiques.
• 380 salariés.
• 48 fragrances.
• Top 3 des parfums :
– No 1 :The Tragedy of Lord George
– No 2 : Halfeti
– No 3 : Blenheim Bouquet.
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