The Good Business
Le Sud va-t-il écraser le Nord, le dragon chinois, balayer la vieille Europe et renverser le géant américain ? L’Inde va-t-elle parvenir à conjurer son passé, le continent africain réussira-t-il à se dépasser ? Eléments de réponses.
Nouvelles routes de la soie
Les pays émergents ont accusé le coup de la crise économique à partir de 2009, mais ils commencent à retrouver le chemin de la croissance. La Chine, qui s’est affirmée comme le guide des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), n’y est pas étrangère. Après le bond des années 1990-2000, Pékin recentre son économie sur son marché intérieur, mais cela ne signifie pas un repli, qui ne permettrait pas d’atteindre l’objectif de 6,5 % de croissance annoncé par les autorités chinoises pour l’avenir. La politique d’ouverture économique de Xi Jinping, esquissée par le dirigeant chinois dans son discours de Davos, début 2017, tend, au contraire, vers une mondialisation de son économie, notamment portée par le concept de « nouvelles routes de la soie ». Les investissements chinois en Asie et dans les pays émergents, y compris africains, ne se limiteront pas aux infrastructures, mais s’étendront au renforcement de partenariats politiques et culturels. Pour nombre de sinologues et d’économistes, la Chine s’affirmera ainsi comme « la » grande puissance, dont le régime restera une garantie de stabilité. « Ceux qui pensent que la Chine s’oriente vers un scénario soviétique de craquement interne se trompent. Les grands systèmes de contrôle de l’individu subsistent, y compris en utilisant les nouvelles technologies pour affirmer leur légitimité. Le modèle chinois est le plus proche de celui qu’on trouve dans Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley », affirme Jean-Joseph Boillot, spécialiste des économies émergentes. Les Etats-Unis vont toutefois conserver leur capacité de réinvention. « Le système américain, cette démocratie “illibérale”, a une capacité d’innovation que possède moins le despotisme oriental, une forme de gouvernance efficace, mais qui bride les initiatives individuelles », ajoute-t-il. Entre les deux, il pressent la mise en place d’une sorte de tandem houleux, avec d’incessantes escarmouches, mais sans guerre majeure.
Le Brexit brouille l’horizon européen
Le chercheur ne voit pas l’Inde s’inviter à la table de ces deux grands : « Elle ne trouvera pas le système économique et politique qui en ferait une superpuissance. Elle va se tourner sur elle-même, avec de grandes transformations internes, mais en 2038, malgré une croissance annuelle de 5 à 10 %, elle n’aura pas réglé le problème de la pauvreté de masse, explique-t-il. Et le système des castes, qui est entré dans son quatrième millénaire, ne va pas changer en vingt ans. » L’horizon le plus brouillé est celui de l’Europe, surtout à cause du Brexit. Si pour un expert comme Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, « le risque d’une désagrégation de l’Union est très faible », Jean-Joseph Boillot craint, à l’inverse, « la fin de l’esprit européen, avec un retour aux Etats-nations, voire à des fragmentations au sein des Etats ».
Pour l’OCDE, les avancées pour construire une nécessaire politique économique sont trop lentes pour maintenir le rythme du reste du monde. Sebastian Barnes pointe « un manque de leadership, rôle que tenait la Commission européenne il y a vingt ans ». Beaucoup d’économistes s’interrogent sur la notion de puissance, en Europe comme ailleurs, quand, sous les effets de la mondialisation, des entreprises ou des mégapoles commencent à prendre plus de poids que certains Etats, et font bouger les frontières, sans que véritablement un nouvel ordre mondial se mette en place pour autant. Comme si seul un conflit armé de grande envergure comme nous en avons connu au XXe siècle pouvait y parvenir.